LeLivreaMetz23 — Après avoir séduit Nancy, où elle reçut le Prix des Libraires de la ville en 2021 pour son texte, Rien ne t’appartient, c’est Metz qui consacre Nathacha Appanah. Invitée d’honneur du festival Livre à Metz, elle discutera avec une autre invitée d’honneur, la journaliste Émilie Aubry, autour du thème de cette édition 2023 : le vertige... L’auteure de Tropique de la violence révèlera également sa bibliothèque idéale, qu’elle partage en partie avec ActuaLitté en avant-première...
Le 15/04/2023 à 19:54 par Hocine Bouhadjera
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15/04/2023 à 19:54
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ActuaLitté : Vous êtes cette année une des invités d’honneur du festival Livre à Metz. Quelle saveur ça a ?
Nathacha Appanah : Le salon est au carrefour du journalisme et de la littérature, et je m’inscris dans cette double appartenance, même si je penche plutôt du côté de la seconde activité : 8 romans, un recueil de nouvelles et un autre de chroniques. Ma formation est journalistique, et j’ai la chance depuis quelques années d’écrire des longreads pour la revue XXI, des séries d’été.
La thématique de cette édition, « le vertige », a du sens : 3 ans après la pandémie, une année après le retour de la guerre en Europe, en pleine interrogation sur l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux, cette notion nous invite à réfléchir sur notre réalité et la signification qu’on donne à la vérité. Et comment la fiction vient sublimer tout ça.
Quel est votre rapport au vertige dans l’écriture ?
Nathacha Appanah : Dans mon dernier texte, Rien ne t’appartient, le personnage de Tara a des remontées de mémoire, et elle ne sait que faire de toutes ses images : le passé et sa vérité, mais aussi sa relation à l’imaginaire… J’ai avancé avec ce mot de vertige, parfois sans ponctuation, avec les termes qui s’imbriquent les uns aux autres, afin de provoquer ce même vertige chez le lecteur.
Le vertige dans l’écriture à proprement parler, je l’ai pratiqué dans mes deux premiers romans : un vertige de l’idée. Tout un enthousiasme devant son carnet, son ordinateur. À partir du troisième, j’ai commencé à plus réfléchir à la structure, cherchant un équilibre entre l’histoire, sa forme, la manière de la raconter, et l’endroit où l’on se tient. Quatre questions devenues essentielles.
Le vertige serait donc un déséquilibre ?
Nathacha Appanah : Une intention littéraire à besoin d’un certain contrôle : je passe des semaines, des mois, à trouver la voix de celui ou celle qui narrera cette histoire, avec son comment et son pourquoi. Tout est en place parfois : j’ai l’idée, l’histoire, le climat, le début, le milieu, les silhouettes de personnage, mais tant que je n’ai pas le souffle de la voix, ce fil qui va tirer tout le roman, je n’ai pas encore mon texte. Avec cette voix, vous pouvez avancer à l’équilibre.
Je sors mon premier récit en septembre, sur mes grands-parents et la mémoire du déplacement, de la migration, et j’ai été souvent en déséquilibre. Le contrôle s’est heurté au vertige de la vérité familiale : le mot même de vérité est un vertige.
La vérité, autre concept qui pousse à des débats sans fin…
Nathacha Appanah : Nos vérités sont différentes, mais elles sont partagées quand il s’agit des faits. La vérité existe donc, mais elle est aussi multiple. Dans le récit qui sort en septembre, je narre des faits, mais avec mon prisme : ma voix, mon enfance, mon expérience.
Vous êtes une éminente journaliste autant qu’une écrivaine. L’un apporte à l’autre, ou au contraire, ils se desservent mutuellement ?
Nathacha Appanah : Le journalisme a été mon métier, et l’écriture, une pratique que j’ai commencée très tôt. D’ailleurs, à cette période, ce n’est pas que je supposais que devenir une autrice était inimaginable, je n’étais même pas au niveau de cette pensée. Mes romans, dont mon premier écrit à 26-27 ans, racontent toujours l’histoire des autres, et contiennent à chaque fois une dimension sociale.
Si la fiction n’est pas pour moi un prolongement du journalisme, il est vrai que beaucoup de mes oeuvres proviennent du terrain : une fois c’est quelqu’un qui m’a confié une histoire, ou pour Tropique de la violence, ce sont les mois où j’ai vécus à Mayotte qui ont rendu possible l'ouvrage. Au téléphone, mes amis, mes éditrices me disaient : tu vas écrire sur cette expérience, je répondais, jamais, jamais, jamais ! C’est seulement à mon retour en France que ces mois sur l'archipel de l'océan indien m’ont obsédé, donné le vertige justement…
On m’a conseillé de réaliser un documentaire ou un long article sur le sujet, mais pas de fiction : pourquoi, au sujet des zones « à problèmes », en crise, il faudrait documentariser. Nos frères et nos sœurs de ces zones n’auraient pas le droit à la fiction ? Ça me rappelle le traitement journalistique du film de Ladj Ly, Les Misérables, dont on vantait à tout bout de champ le grand réalisme, « à la limite du documentaire ». Ça révèle un biais : puisque c’est en banlieue, ça doit être traité d’une certaine manière, comme pour Mayotte.
Dimanche, vous allez partager avec le public votre bibliothèque idéale. Pouvez-vous déjà nous divulguer certains de ces titres en avant-première ?
Nathacha Appanah : D’abord, c’est toujours frustrant comme expérience, car il faut se borner ici à 10 oeuvres. Quand on me demande un livre favori, le premier qui me vient à l’esprit, c’est l’Étranger d’Albert Camus. On me l’a lu à voix haute, j’avais 13-14 ans. C’est ma première grande émotion littéraire. Un texte qui racontait quelque chose de tellement différent de ce que je pouvais vivre. C’est aussi la force d’évocation d’Albert Camus : c’est comme s’il ne s’adressait qu’à moi.
Je peux encore citer Une saison blanche et sèche, du Sud-Africain disparu en 2015, André Brink. J’ai eu la chance de le rencontrer : un grand monsieur. Quand j’étais étudiante à l’île Maurice où je suis née, l’Afrique du Sud était à 5 heures d’avion. Je croyais bien connaître ce pays grâce à mes cours d’Histoire, mais après avoir lu ce roman, j’avais l’impression d’avoir compris, ressenti l’Apartheid.
Il y a aussi Le roi Lear, sur les liens familiaux : à 17 ans j’écrivais à mes amis des sonnets à la Shakespeare… Ms Dalloway de Virginia Woolf, Jamaica Kincaid, Underground Railhead de Colson Whitehead, qui mêle magnifiquement Histoire et fiction, Hamlet de Maggie O’Farrell, L’Homme flambé de Michael Ondaatje, devenu Le patient anglais au cinéma.
Beaucoup de littérature anglo-saxonne, et d’auteurs avec un certain engagement.
Nathacha Appanah : Un attachement au réel oui, en même temps, je suis entré en littérature avec l’ambition des textes de peu, de rien : une poésie, une émotion. Trouver un équilibre entre cette délicatesse, et ce qui nous travaille : le déplacement, l’identité, la difficulté à trouver sa place, l’empêchement, la mémoire…
Quant à mon tropisme pour la littérature anglo-saxonne, je suis bilingue. Si j’ai finalement choisi d’écrire en français, c’est parce que mes lectures ont d'abord été les auteurs francophones.
Crédits photo : Prix de la langue française
DOSSIER - Le Livre à Metz 2023 : une 36e édition à donner des “Vertiges”
Paru le 17/05/2018
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