Le préavis de grève court du 4 au 31 mai prochain et, ce 10 mai, une partie du personnel de la Bibliothèque nationale de France, à l'appel des syndicats CGT, FSU et Sud, s'est rassemblée dans le Hall Est de l'établissement. Soutenus par des représentants des lecteurs et usagers et des sénateurs communistes, les agents dénoncent une politique d'austérité persistante et une dégradation du service public.
Le 10/05/2022 à 18:59 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
10/05/2022 à 18:59
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Le ton montait depuis plusieurs semaines entre syndicats et direction, mais c'est bien l'annonce de la réduction des délais de communication des documents sur le site Tolbiac, qui aura poussé l'intersyndicale à ce débrayage. Les chercheurs ont en effet, depuis ce 2 mai, 3h30 l’après-midi pour récupérer des documents en communication directe, commandés le jour même, contre la journée entière précédemment. Des représentants des lecteurs, par l'intermédiaire d'AluBnF, l'association des lecteurs et des usagers de la BnF, se sont joints aux revendications syndicales, déplorant « un recul sans précédent du service au public ».
En arrière-plan de cette réorganisation du service public, sont aussi dénoncées « une politique de destructions d’emplois sous couvert de redéploiement de postes » et la « précarisation croissante des métiers comme l’augmentation de la pénibilité ».
Chers documents
450 absences le matin : c’est ce qu’annonce un gréviste syndiqué à ceux qui se sont rassemblés, à partir de 13h, ce mardi 10 mai, à l’accueil du Hall Est de la Bibliothèque nationale de France (Bnf). Une large mobilisation – constatée sur les lieux par ActuaLitté – qui a commencé bien avant ce 10 mai. Mais surtout « unanime », selon Ioannis Michalopoulos de la CGT BnF, qui évoque une pétition interne signée par 800 personnes sur les 2300 agents de l’institution. « Même le personnel d'encadrement, des chefs d'équipes, des responsables de départements nous soutiennent, sans pouvoir l'afficher ouvertement », assure-t-il.
Du côté des usagers et lecteurs de la BnF, une pétition, publique cette fois, a réuni plus de 14.000 signatures. Pour Nathalie Sage-Pranchère, responsable au sein de l’Association des Lecteurs et Usagers de la BnF (ALUBnf), cette grève constitue « une étape fondamentale de la mobilisation ». D'après elle, « la direction souhaite faire passer ses mesures en force, à partir d’éléments de langage qui ne reposent sur rien ».
L'ALUBnF, à travers de nombreux messages publiés sur les réseaux sociaux, pointe « soit du désintérêt, soit de la méconnaissance des dynamiques de la recherche » de la part de la direction. Nathalie Sage-Pranchère assure que, chaque année, environ 600.000 documents sont commandés, soit 2000 par jour : « Imaginez ce chiffre sur 3h30 de communication des documents, alors que les départements dédiés à la recherche sont ouverts 11 heures au total... » Précisons toutefois que, sur l'ensemble de ces documents, une partie est vraisemblablement réservée à l'avance, et non le matin ou la journée même, par les chercheurs.
Face aux critiques d'ALUBnf, auxquelles la direction de la BnF avait déjà répondu dans nos colonnes, l'établissement met en avant une possibilité élargie de réservation des documents, de 30 jours à l'avance à la veille, jusqu'à 20 heures. Elle prétexte aussi un accroissement du nombre d'ouvrages réservables – passé de 15 à 25. Des éléments qui peinent à convaincre certains chercheurs : ils soulignent qu'il n'est pas possible d'anticiper le besoin de consulter tel ou tel document.
« Comme nous l’avons déjà indiqué, le dispositif sur lequel nous avons travaillé n’est évidemment pas figé. Nous sommes à l'écoute de toutes les remarques constructives et concrètes qui peuvent nous être adressées », tempère un responsable de la BnF. Il avance à ce titre le recul de l'heure limite de réservation ou même la possibilité, pour les lecteurs titulaires d'un ticket 1 jour, de bénéficier de la communication directe.
« Nous travaillons également sur d'autres évolutions à mettre progressivement en place et qui, pour certaines, nécessiteront des moyens supplémentaires », assure encore la direction de l'établissement. Elle constate « que le dispositif a globalement bien fonctionné dès la première semaine et que l'immense majorité des lecteurs l'avait anticipé en réservant ses documents à l'avance selon des quotas considérablement augmentés ».
Précarisation ou déprécarisation ?
Les syndicats CGT, FSU et Sud dénoncent régulièrement l'application d'une politique d'austérité qu'ils attribuent aux gouvernements successifs depuis 2009. Selon eux, le ministère de la Culture aurait aussi une responsabilité vis-à-vis de l'établissement patrimonial.
Les premières victimes de cette politique budgétaire seraient les effectifs, malgré une certaine stabilité des équivalents temps plein – autour de 2300 agents – depuis 2016. « La gestion interne de la BnF fait qu'on observe malgré tout une suppression des postes de catégorie C, qui sont majoritairement visés, avec une perte de 25 % en quelques années », détaille Ioannis Michalopoulos.
« Moi par exemple, je suis dans une équipe de sept personnes. Mais nous ne sommes que cinq depuis le début de l’année », nous confie Gilles Meyer, représentant syndical FSU et agent au département des sciences humaines de la BnF. En poste depuis 1998, il a eu le temps de constater l’évolution du métier, notamment dans sa pénibilité : « Quand je suis arrivé, la moyenne d’âge était autour de 30 ans. Aujourd’hui, beaucoup de collègues ont autour de 45-50 ans. Et vu le rythme soutenu nécessaire, c’est de plus en plus difficile. »
La direction elle-même reconnait des réduction d'emplois de catégorie C, mais assure qu'elle a été « concentrée sur la période 2011-2014 » et reste « nettement inférieure à celle de la baisse des communications, de 44 % entre 2010 et 2019 ». L'administration ajoute : « Nous avons déjà confirmé, toutefois, que nous allions rééquilibrer la part des agents de catégorie C dans les effectifs totaux de la BnF. »
Le transfert d'une quarantaine d'agents du site Tolbiac vers Richelieu, à l'occasion de la réouverture de ce dernier, crispe aussi les organisations syndicales. De son côté, la direction avance une répartition des moyens « de manière raisonnée » pour assurer ses missions : dépôt légal des oeuvres numériques, numérisation de la presse, ouverture d'un nouveau centre de conservation à Amiens, notamment.
Côté syndicats, on déplore le non-respect du protocole de fin d'une précédente grève, remontant à 2016. Il prévoyait « le recrutement d'agents contractuels à temps incomplet sur des missions pérennes en CDI et le retrait de la récente disposition permettant ce recrutement en CDD d’un an renouvelable une fois », explique Ioannis Michalopoulos. Pour lui, la direction « souhaite embaucher des étudiants qu’ils paieront entre 700 et 900 €, au lieu d'embaucher en CDI. En conséquence, on perd la compétence qui se construit sur le long terme ».
Vincent, syndicaliste Sud du département littérature de la Bnf, en grève depuis le 2 mai, estime qu'il aurait fallu « plus combattre en amont, et non quand les mesures ont déjà été mises en place ».
Au contraire, la direction évoque une... déprécarisation des postes, le recrutement d'étudiants permettant « d’accompagner les agents contractuels les plus précaires (agents à temps incomplet de catégorie C) vers des emplois plus rémunérateurs à temps complet (emplois de titulaires ou de contractuels) ».
Elle reconnait toutefois que « pour assurer l’efficacité de ce plan dans la durée et ne pas reconstituer le vivier d’agents restant durablement dans une activité à temps incomplet en CDI, les nouveaux recrutements d’agents contractuels à temps incomplet seront dorénavant prioritairement conclus avec des étudiants pour une période maximale d’un an renouvelable une fois. »
Vers un futur combat budgétaire ?
Pierre Ouzoulias et Pierre Laurent, sénateurs communistes des Hauts-de-Seine et de Paris, ont porté la situation de la BnF au niveau parlementaire, en interpellant Roselyn Bachelot. Si la réponse risque de se faire attendre, le sujet reviendra rapidement dans les débats, comme l'affirme l'ancien secrétaire général du Parti communiste, présent à la BnF ce mardi 10 mai.
Pierre Laurent, sénateur communiste de Paris
« Il faut que l'on se prépare ensemble à mener ce futur combat budgétaire, pour mettre un terme à ces politiques de restriction des moyens publics au moment où, au contraire, les missions qui sont confiées au service public ne cessent d'augmenter », nous explique-t-il. « On voit bien que la conjugaison de l'austérité budgétaire et de la dégradation de l'emploi public conduit à des situations extrêmement dégradées pour les personnels. Ils ont de nouvelles missions à gérer, avec moins d'effectif. Pour les usagers, les conditions d'accès aux documents se réduisent. »
Les nouvelles missions de la BnF, notamment la numérisation des documents, « doivent générer une croissance des emplois, pas l'inverse », analyse-t-il. Par ailleurs, la stratégie de la BnF en matière d'emplois ne lui paraît pas adaptée : « Si l'on veut des magasiniers, par exemple, qui répondent correctement aux besoins de service public, il faut des magasiniers formés; C'est-à-dire à plein temps, et pas des petits boulots précaires, avec des horaires réduits, dans des plages horaires émiettées. La précarisation s'oppose toujours à la qualité du service public. »
Les résultats des prochaines législatives pourraient donc remettre sur la table la question du budget de la BnF, qui a déjà inquiété le Sénat par le passé. La direction de l'établissement semble pour l'instant maintenir une bonne entente avec le ministère de la Culture : Laurence Engel, la présidente, a récemment été promue commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres, quelques mois après sa reconduction à la tête de la BnF.
Le préavis de grève de l'intersyndicale court jusqu'au 31 mai - certains agents la poursuivront de manière ponctuelle et individuelle d'ici cette date, nous indique-t-on. De son côté, la direction met en avant « un nombre incalculable de réunions pour discuter du fonctionnement et préparer le retour aux horaires habituels de la bibliothèque dans le contexte de la crise sanitaire ». Et d'assurer que « [l]a BnF est même, probablement, un des établissements où le dialogue social est le plus soutenu et des revalorisations importantes des rémunérations ont été mises en oeuvre avec le soutien du Ministère de la Culture ».
Article coécrit par Antoine Oury et Hocine Bouhadjera.
Crédits photos : ActuaLitté CC BY SA 2.0
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Un agent mobilisé
10/05/2022 à 21:29
La mobilisation reste collective avec surement des jours de grève votés lors de notre prochaine Assemblée générale du 12 mai.
Aleph
11/05/2022 à 09:19
La direction de là-bas a manifestement pris le parti de ce qu'elle appelle "le dialogue", c'est-à-dire de l'enfumage total jusqu'à épuisement du mouvement, et elle a la bénédiction du Ministère pour des raisons inconnues, mais qui pourraient bien être des calculs débiles.
Ce qui est curieux, c'est que même en voulant concevoir un service un peu dégradé (point qui n'est pas admis par les opposants, mais qui peut être obligé par les circonstances budgétaires), et même sans toucher à d'autres dépenses totalement injustifiées, notamment de communication de vent (plusieurs dizaines de milliers d'euros pour des séances d'animation ridicules autour du Contrat d'Objectif et de Performance avec location de locaux prestigieux avenue de l'Opéra), la méthode retenue est aveugle et nulle.
La BNF a tout un service d'étude des publics. On sait où ils ont étudié. On sait ce qu'ils prennent au petit déj'. Mais personne ne leur a demandé s'ils préfèrent attendre en moyenne les livres demandés cinq minutes de plus ou ne pas pouvoir les retirer du tout. S'ils préfèrent marcher 30m de plus pour un renseignement ou ne pas pouvoir entrer du tout en salle. S'ils préfèrent avoir deux places, une pour les usuels (salle thématique), et une pour les communication des magasins (salle commune (ce qui permettrait de n'affecter en arrière-banque de salle que très peu de personnel regroupé pour servir une ou deux salles)), etc. pour toutes les possibilités d'organisation. Autrement dit, cerner les seuils d'acceptabilité n'est pas fait.
Et ce n'est pas fait non plus du côté du personnel. Il y a des lignes rouges pour chacun. Mais il est très difficile de les connaître pour tous, il est vraisemblable qu'elles puissent changer d'une personne à l'autre au point qu'on puisse dessiner des groupes distincts capables d'assurer en se relayant selon des modalités différentes un service meilleur qu'une absence de service.
Même les nécessités dictées par le service ne sont pas clairement reconnues. Par exemple, si une banque sur deux ferme, il faut penser à faire des rondes loin du bureau de présidence de salle, et donc l'évoquer quand on parle des conditions du métier pour connaître les seuils d'acceptabilité du personnel. De même, le nombre de magasins où un agent peut prélever dans un temps donné dépend du nombre de communications constaté parmi les collections considérées. Or il n'y a pas de répartition astucieuse et adaptées des forces de travail en fonction de la réalité des tâches, ce qui engendre des disparités dans la pénibilité, etc., et une absence de repères utiles quand on évoque les coûts de fonctionnement au regard des possibilités, ce qui rend illusoire tout discours de la direction, et mal fondé tout appui du Ministère.
Enfin, dans un mail circulaire interne qu'un collègue qui bosse encore là-bas m'a fait passer, la direction évoque le fait que la plupart des lecteurs commandent de moins en moins ou pas d'ouvrages du tout, et par ailleurs, que les lecteurs venaient de plus en plus souvent pour des plages très longues. Mais les chiffres ne sont pas croisés, et on ne sait pas si ceux qui demandent des ouvrages restent à les lire longuement, et les études ne disent pas non plus s'ils restent justement parce qu'ils ont pu avoir les ouvrages. Et c'est là-dessus qu'on se fonde pour tout arrêter. C'est un peu comme si on avait constaté que la plupart des visiteurs de l'Observatoire du Pic du Midi étaient des randonneurs qui y pique-niquaient et qu'on en avait déduit qu'il serait judicieux de le fermer la nuit où ne vient quasi personne.
SamSam
11/05/2022 à 09:38
On peut pas mettre 3Mds€ pour balancer des bombes sur les Russes, et leur déclarer ainsi la guerre, en bon valet des maîtres US, et consacrer de l'argent à la culture. Vous l'avez réelu, vous avez le désastre servi.
rez
11/05/2022 à 11:58
en fait, le ministère de la culture est l'un des ministères qui fait le plus appel aux privatisations des services permanents, donc l'un des secteurs publics qui gaspille le plus d'argent en précarisant le plus les citoyens juste pour graisser les poches des actionnaires des groupes genre sodexo tout en touchant des pots de vin à une minorité.
s'il arrêtait la merde qu'implique tout cela, il pourrait embaucher plus, en cdi et rendre du fric pas dépensé à la fin de l'année. mais cela n'est pas trop LREM ni start-up like.
rez
11/05/2022 à 11:55
je ne suis pas confortable en critiquant les syndicats et les salariés mais... ils ne se sont pas inquiétés ni mobilisés quand des salariés des prestataires privées bossant à coté d'eux les ont contactés pour dénoncer leurs conditions, non plus quand depuis des années la section d'offres d'emploi du site de la BnF affiche sans se gêner des claires violations au code du travail et des offres ridicules et affreuses.
maintenant que cela leur frappe en pleine gueule, petite grève où il n'y a plus personne pour la soutenir et le constat qu'il est déjà trop tard.
En attendant, des centaines de vies précarisés ou même brisées si on compte les suicides.
nicgrover
17/05/2022 à 15:04
Quand on voit les syndicats participants on n'a aucun doute quant aux intérêts corporatistes... Ils ne pensent qu'à leur gueu...