Chercheurs et chercheuses, mais aussi des membres du personnel, notamment par l'intermédiaire du syndicat CGT, expriment leurs inquiétudes vis-à-vis de plusieurs modifications opérées dans les services et conditions d'accès aux collections de la Bibliothèque nationale de France, dans des pétitions diffusées depuis plusieurs jours. La direction de l'établissement est revenue sur ces choix, en réponse à nos questions.
Dans un mouvement parallèle qui n'est sans doute pas le fruit du hasard, l'intersyndicale de la BnF dénonçait une politique « d’augmentation de nos missions et projets à moyens constants », quand les usagers de l'établissement patrimonial déploraient des changements dans les modalités d'accès aux collections (le tarif du pass recherche et les délais de communication des documents), tout en soutenant les revendications syndicales.
La direction de la BnF a accepté de réagir dans nos colonnes, pour détailler les raisons derrière ces décisions.
ActuaLitté : Deux décisions ont suscité la pétition des usagers et lecteurs, qui portent sur la communication des documents et le tarif du pass recherche : quelle réflexion a motivé ces deux décisions ? À quel type de consultation la BnF a-t-elle procédé au préalable ?
Les missions qui nous sont confiées évoluent, s’élargissent ; les attentes de nos usagers également.
Sans évoquer longuement les nombreux services que la BnF a développés pour y répondre — numérisation des collections, ressources électroniques, possibilité de réserver une salle de travail en groupe, possibilité de réserver ses ouvrages la veille afin de les trouver dès l’arrivée à la Bibliothèque et d’être prévenu s’ils sont indisponibles… – il faut aussi prendre la mesure de l'évolution des usages que nous avons observés, indépendamment de la crise sanitaire et qui sont clairement des phénomènes tendanciels.
La baisse du nombre de communications, à la BnF comme dans les autres bibliothèques, est forte : -44 % entre 2010 et 2019. De la même manière, la faible fréquentation des plages matinales et le fait que seulement 4 % des lecteurs quittent l'établissement avant 13h sont des données relevées de décembre 2017 à novembre 2019, hors crise sanitaire. L'augmentation du taux de réservation à l'avance des ouvrages a, enfin, été observé pendant les trois derniers mois de l'année 2021, période pendant laquelle la communication directe (c'est-à-dire la possibilité de commander ses ouvrages sur place pour une consultation immédiate) était possible : il était alors de 50 %, à comparer avec le taux de 15 % d'avant la crise sanitaire, ce qui montre que les lecteurs ont bien perçu les avantages au fait de préparer leur venue.
Comme le soulignent très justement les chercheurs, la démarche de recherche suppose de pouvoir faire des rebonds, de ne pas s’arrêter à la liste d’ouvrages d’abord établie, d’avancer pas à pas… Après avoir mené une expérimentation consistant à n’assurer la communication directe que du lundi au vendredi et une communication sur réservation uniquement le samedi, nous avons choisi d'y renoncer — car cette formule nous est apparue très vite inégalitaire et pas entièrement satisfaisante pour certains lecteurs et agents — pour présenter un nouveau projet. Nous avions évoqué avec les représentants des lecteurs cette expérimentation du samedi, pris leur avis et expliqué que nous réfléchissions à de nouveaux modes d'organisation.
Notre projet réduit certes la plage horaire ouverte à la communication directe, qui ne sera pas possible le matin, période la moins fréquentée, pour être à nouveau possible à partir de 13h30, mais facilite les conditions de réservation en augmentant le nombre d’ouvrages que l’on peut réserver (de 10 à 25) et en reculant l’heure jusqu’à laquelle ces ouvrages peuvent être réservés pour le lendemain matin (de 14h, aujourd'hui, à 17h). Nous cherchons d'ailleurs encore à améliorer ce dispositif, à la suite des échanges avec les représentants des lecteurs, pour que les demandes de réservations pour le lendemain puissent être prises en compte au-delà de 17h et disponibles dès le lendemain matin.
Quant à l’augmentation des tarifs, qui a été présentée au CA de novembre 2021, il faut en apprécier le caractère limité : 5 € sur l’année (3 € pour le tarif réduit), c’est 10 % en 6 ans, donc un peu moins que l’inflation, et le tarif reste inférieur à ce qu’il était en 2016 (60 €) pour une offre augmentée.
Les services de communication des documents sont-ils insuffisants pour maintenir les conditions de communication le jour même ? La BnF a-t-elle étudié d'autres possibilités d'aménagement que la réduction des créneaux de communication directe ?
Dans un contexte de stabilité des effectifs — avec 2300 agents — et alors que nous ouvrons Richelieu après plus de 10 ans de travaux, que nous devons intégrer dans notre activité le développement du dépôt légal numérique, que nous souhaitons intensifier les chantiers de traitement des collections (par exemple, le travail à réaliser sur les collections de presse, encore très peu numérisées, trop souvent incommunicables… et pourtant fortement sollicitées par les chercheurs), que nous répondons aux besoins de nos usagers liés au développement des humanités numériques, il fallait en effet faire des choix, en tenant compte des usages.
Conscients de ce qu’ils ont de difficiles, mais forts aussi de nos missions fondamentales, que nous exerçons avec engagement, et, encore une fois, en tenant compte des évolutions fortes des habitudes de nos lecteurs, cette évolution des règles de communication, définies avec à l’esprit les exigences de la recherche, nous apparaît équilibrée et largement compensée par l'augmentation de l'offre et des services.
Comment la BnF justifie-t-elle l'augmentation du tarif du pass recherche ?
Deux éléments expliquent cette augmentation. Les tarifs n'avaient pas évolué depuis 2017 (ils avaient à l'époque baissé de 20 % en passant de 60 à 50 € en tarif plein, le tarif réduit n'avait pas été modifié). À 55 €, le nouveau tarif prévu pour septembre reste donc inférieur au tarif antérieur à 2017 et se limite à une simple actualisation au regard de l'inflation alors que, parallèlement, les services offerts sont augmentés par l'accès au musée de la BnF qui ouvrira en septembre 2022, aux expositions temporaires également proposées sur le site richelieu et l'accès aux « ressources électroniques » qui ont été largement développées durant les deux dernières années.
La BnF est abonnée à des ressources électroniques payantes qu’elle met gratuitement à la disposition de ses usagers sur place et à distance. Tous les domaines de la connaissance sont couverts à travers une grande diversité d’éditeurs et de ressources parmi lesquelles de la presse, des bases de données dans de multiples disciplines, des études de marché, des livres, des revues et magazines, des encyclopédies, des bibliographies (161.131 revues électroniques, 613.722 livres électroniques, 232 bases de données).
La pétition évoque également les conditions de travail du personnel de la BnF : les conséquences de ces deux décisions sur la charge de travail du personnel ont-elles été évaluées ?
Cette organisation, dans un contexte d'emplois stable, permet aux agents magasiniers de pouvoir rééquilibrer leur emploi du temps entre le travail posté (qui sera réduit) pour assurer la communication des documents, le travail sur les collections (qui sera augmenté), en particulier pour participer aux chantiers nécessaires à l'avenir de la Bibliothèque nationale de France. Leur travail sera ainsi plus diversifié et moins sous la pression de la communication directe — ce qui répond à une demande exprimée de longue date par les agents et leurs représentants.
Ces décisions s'expliquent-elles par les difficultés budgétaires de la BnF et notamment le coût de fonctionnement du site Richelieu ?
Nous récusons entièrement l'idée que la BnF poursuivrait une politique d'austérité si cela est synonyme de réduction des moyens de l'établissement, car, au contraire, ils augmentent. Les subventions de l'établissement ont progressé de 12 millions € (+ 6 %) de 2017 à 2022 (hors financement exceptionnel), les crédits de personnel ont progressé de 10 millions € sur la même période (+ 7 %) et les emplois de l'établissement sont stables.
Nous assumons en revanche, comme tout établissement public, la nécessité d’affecter nos ressources pour répondre de la meilleure manière possible à l'ensemble de nos missions. Par l'effet combiné d'une gestion particulièrement sérieuse et du soutien du ministère de la Culture, la BnF est aujourd'hui en mesure d'assurer ses nombreuses responsabilités : le bon fonctionnement du site de Richelieu qui ouvrira avec une offre étendue (rénovation des salles de recherche, salle Ovale, nouveau musée) grâce à un investissement de 250 millions € de l'État, l'adaptation au futur dépôt légal numérique, qui a connu des avancées législatives majeures fin 2021, l'avenir des collections avec la création d'un nouveau pôle de conservation, un investissement de près de 100 millions €, dont le plan de financement est finalisé et qui offrira une capacité inédite de conservation pérenne et d'enrichissement à l'échelle du siècle. Tout cela ne témoigne d'aucune forme d'attrition de nos moyens et de nos ambitions !
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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