FLP2022 / ENTRETIEN – Trois mois après sa prise de fonction – quatre avant la manifestation – le directeur général du Festival du livre de Paris, Jean-Baptiste Passé effectue un tour d’horizon. En compagnie de Marie-Madeleine Rigopoulos, directrice artistique, ils dévoilent « le grand reboot » de la manifestation, « une révolution copernicienne ». Elle s'incarne dans un retour au Grand Palais, version Ephémère, le tout sous le contrôle désormais total du Syndicat national de l’édition.
Le 17/12/2021 à 08:10 par Nicolas Gary
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17/12/2021 à 08:10
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Piloté par Paris Livres Evénements, filiale commerciale du SNE (SA) adoptée fin septembre, feu Livre Paris devient donc le Festival du Livre de Paris. Fin de la collaboration devenue très laborieuse (voire douloureuse) avec Reed Expo France, le festival est propriété intégrale du Syndicat — avec un conseil de surveillance, pour partie composé des membres du Bureau du Syndicat. « En effet, une partie de mes clients sont mes administrateurs », reconnaît Jean-Baptiste Passé. Pas si simple.
Avec une carrière dans le monde de la librairie, le directeur général plaît avant tout pour ses compétences de gestionnaire. Et lui-même ne se cache pas de découvrir « le monde de l’événementiel », avec la difficulté de porter le renouveau d’une manifestation devenue source de conflits et de tensions, plus que de réjouissances et d'unanimité.
Premier changement : l’événement ne servira plus au financement du Syndicat — pour près d’un tiers de ses ressources par le passé. « Nous n’avons pas d’objectif de rentabilité fixé, uniquement celui de faire revenir le plus grand nombre d’éditeurs : il s’agit de séduire les acteurs et présenter une manifestation fédératrice pour la profession », poursuit-il. Pour l’heure, le SNE finance, il faudra tout de même rembourser.
Sur 2022, les échanges avec La Sofia, le Centre national du livre et la Région Île-de-France se poursuivent, mais la première étape réside dans l’engagement financier des exposants pour créer cette émulation. « Que les auteurs et les éditeurs soient satisfaits, c’est notre premier credo », reprend le directeur général. Pour les Régions, comme Nouvelle Aquitaine qui avait fait bâtir un stand spécifiquement pour la Porte de Versailles, on explique pudiquement que les discussions sont en cours.
Second point : pour tout festival s’impose une nécessaire éditorialisation. Trois axes éditoriaux seront déployés à travers l’espace. D'abord, Habiter le monde, réunissant loisirs, vie pratique, Beaux Arts, gastronomie et sciences. Puis, Raconter le monde, pour la littérature et les sciences humaines. Enfin, Imaginer le monde, pour jeunesse et 9e Art dans son ensemble.
« Nous ne travaillons plus sur le fonctionnement de Reed Expo : ici, nous offrons le champ de Mars et la tour Eiffel », insiste le DG. Autre chose, en effet, que la Porte de Versailles. « C’est aussi l’opportunité de s’affranchir de la tyrannie du mètre carré. » Avant tout pour les organisateurs, poussés par la vente au point de commercialiser de la moquette disponible, plus que de l'offre éditoriale, dans les dernières années.
À ce titre, les exposants auront le choix entre cinq formats de présence à travers des modules qu'ont achetés les organisateurs : désormais, on propose le mobilier clef en main. Des formules allant d'une offre d'appel encore à définir à 60.000 € (HT) pour le modèle le plus complet : l'ensemble permet une modeste personnalisation, mais garantit la présence des marques éditoriales.
Chaque module pourra accueillir un nombre prédéfini de références et un volume maximal d’exemplaires — ce point est précisé plus bas. Mais qui dit module, même tout aménagé, dit tout de même mètres carrés. (Le détail de l'offre catalogue est disponible en fin d'article).
Éditorialement, le public profitera d’une scène centrale, de 200 places, à la croisée des chemins — littéralement. « Nous souhaitons y encourager l’hybridation, mélanger les genres autour d’un sujet », précise Marie-Madeline Rigopoulos. « Le lieu sera isolé, pour profiter de la rumeur du salon, pas endurer le bruit. L’idée est de sanctuariser la parole, pour des interventions de 45 minutes. » Et l’on comprend que le niveau d’attention du public diffère entre un espace cosy et une simple chaise vide disponible.
Jean-Baptiste Passé et Marie-Madeleine Rigopoulos - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Outre « cet écrin », six autres lieux de programmations, avec une capacité d’accueil de 50 à 60 places sont prévus – quatre cafés littéraires pour des échanges en tête à tête et deux ateliers, autour de la jeunesse et d’activités à destination des jeunes publics. En outre, pas de question sur le sujet : les auteurs intervenants seront rémunérés aux tarifs Charte/CNL.
Enfin, en parallèle de ces 3 jours de manifestation sur ces 9000 m2, les Franciliens auront accès à différents événements hors les murs : « Des propositions artistiques, des lectures dans des lieux parfois insolites, et des rencontres musicales, des chants, des projections, des spectacles de danse », reprend la directrice artistique. « Le livre n’est pas constitué que de la seule littérature : c’est un univers avant tout, et nous devons le mettre en scène. »
Pour cette édition, 100.000 visiteurs sont attendus, poussés par deux points : la lecture Grande Cause nationale (hem…) et surtout la gratuité de l’entrée. « Les inscriptions seront obligatoires pour découvrir les lieux, sans créneaux limitatifs – même s'il faudra prendre en compte un respect de la jauge. L’amplitude horaire est établie de 10 h à 22 h pour les vendredi et samedi, et 10 h/18 h pour le dimanche », précise Jean-Baptiste Passé.
Pour les lieux satellitaires, les Hors le murs, une tarification avec billetterie interviendra. Avant tout, parvenir à des opérations blanches, avec l’intention de couvrir les frais de production.
Cependant, les prévisions risquent d'être contrariées par Euclide : la jauge est de 5500 personnes à l’instant T pour le Grand Palais Ephémère. Sur trois jours d’ouverture, une projection plus réaliste porterait l'ensemble à 60.000 visiteurs l'affluence de l'événement.
La grande découverte, attendue depuis 2020, ce sera l’Inde, plus en tant que pays, « mais à travers les Lettres indiennes. Nous conservons l’idée d’un pays invité, pour mettre ses œuvres en valeur. La ville à l’honneur, elle, disparaît », note Marie-Madeleine Rigopoulos. Un Pavillon réalisé par l’organisateur se tiendra dans le salon Eiffel, sous la mezzanine, avec 450 m2 de surface, et vue… sur la tour. Sympa.
« Le pays partenaire, c’est une nécessité : le Festival ne saurait exister sans une dimension internationale. Rester autocentrés serait un mauvais message. La France est le pays qui traduit le plus au monde, et il faut encourager les liens du public autant que des professionnels vers les littératures étrangères », pointe-t-elle.
À ce titre, 30 auteurs seront conviés par les interlocuteurs indiens, avec le concours de l’Institut français en Inde, et une trentaine d’autres, invités par l’IF. « L’invitation est moins protocolaire que par le passé, et nous travaillons de concert avec le BIEF pour ajouter un marché des droits français, tourné vers l’international », souligne le directeur général. Mot d’ordre : « Rendre la manifestation lisible et intelligible pour tous, public et professionnels. »
Comme ActuaLitté l’avait souligné, cette année — pas plus que les prochaines, la tyrannie du mètre carré vendu à tout prix ayant fait long feu — on ne retrouvera ni Amazon ni McDo. Ni des espaces promotionnels touristiques comme celui vu pour l’Arabie saoudite en 2019. « La manifestation est centrée sur les éditeurs », pointe Jean-Baptiste Passé.
Pour s’en assurer, plusieurs critères d’éligibilité sont instaurés : la maison d’édition doit avoir une année d’existence, transmettre ses données au FEL (Fichier exhaustif du livre, outil interprofessionnel travaillant à la normalisation des données) et disposer d’un distributeur.
Par ailleurs, l’événement n’entend pas produire un format digital spécifique ni une programmation parallèle. Plutôt, par des captations in situ, promouvoir et faire revivre ce qui s’est passé – à l’exception des Hors les murs. Ce qui implique qu’il n’y aura pas de plan B en cas de mesures sanitaires spécifiques.
On se souvient, par exemple, que le salon de Turin 2020 avait décidé de basculer toute sa programmation sur YouTube, en plein mois de mai, avec un strict respect de règles de distanciation, mais pour ne pas annuler l’événement. De toute manière, une troisième année sans salon du livre à Paris aurait des conséquences funestes, digital ou non.
Autre bouleversement, l’implication des libraires, à travers l’association Paris librairies. Ce qui nous amène à la présence des livres. « Nous allons acheter près de 300.000 livres, à travers quelque 50.000 références », dévoile le directeur général. En somme, le festival, donc la société commerciale du SNE, se fera libraire de la manifestation. « Nous achetons les livres avec faculté de retour avec l’objectif de passer sous la barre des 50% de taux de retour », précise-t-il.
« Les éditeurs choisiront évidemment leurs livres dans une taille de boite (nombre de références et quantités hors dédicaces) fixées par l’organisation. On cherche une solution avec la possibilité de deux réassorts par jour et un réassort le dimanche avec un stock déporté en RP. »
Pour y parvenir, plusieurs dizaines de libraires de l’association prendront part aux trois jours de l’événement, effectuant le lien entre public et éditeurs. Enfin, un espace d’encaissement, à la sortie, centralisera les achats « pour fluidifier la visite et optimiser l’espace ». Finies les ventes sur stands des exposants — et par conséquent, les marges plus intéressantes.
En cas d’indisponibilité des ouvrages, des bornes seront à la disposition du public, avec l’interface de Paris librairies, et son service de géolocalisation. Et si des titres venaient à manquer, les dépannages s’effectueraient avec les librairies du réseau. La répartition financière, ensuite, s’effectuera à 50/50 sur la marge entre libraires et organisateurs.
À la marge, on fera également son deuil de la sacro-sainte journée professionnelle — plus souvent un moment d’autocongratulation que de véritables échanges, justement — pour cette édition 2022. De même, les immenses banderoles plongeant du plafond pour indiquer la présence d’une maison ou d’une Région partiront aux oubliettes.
« La scénographie est très ouverte et l’on peut voir les modules de loin : personne n’est occulté, il n’y aura pas de mauvais emplacement », insiste la directrice artistique. « Une même maison aura la possibilité d’ouvrir plusieurs espaces à l’intérieur du festival, pour se retrouver dans deux, ou les trois espaces thématiques, suivant l’offre éditoriale qu’elle entend valoriser. »
Et Jean-Baptiste Passé de conclure : « Nous avons lu Dostoïevski, nous savons que la beauté sauvera le monde. Notre projet d’espaces vise l’harmonisation sans l’uniformisation. D’autant qu’il s’agit d’un mobilier conçu pour une déambulation positive, centré sur les visiteurs et biosourcé. » Fin, donc, de la vente de moquette à tout crin.
Le reste dépendra de l’adhésion des éditeurs.
crédits photo : Grand Palais © Patrick Tourneboeuf - Tendance Floue
DOSSIER - Festival du Livre de Paris 2022 : entre renouveau et contestations
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reverine
18/12/2021 à 15:59
"Pour s’en assurer, plusieurs critères d’éligibilité sont instaurés : la maison d’édition doit avoir une année d’existence, transmettre ses données au FEL (Fichier exhaustif du livre, outil interprofessionnel travaillant à la normalisation des données) et disposer d’un distributeur." mais à part ça, ils clament qu'ils sont "ouverts à tous les éditeurs", veulent montrer tout le panel de la littérature etc... non mais quelle HYPOCRISIE !
Pour savoir si on a affaire à une maison d'édition/auteur indé il suffit de son numéro d'entreprise, avec sa catégorie, enfin ! Les distributeurs, ça bouffe un quart du prix d'un livre et il n'existe en France quasiment que des distributeurs tenus par les grosses ME elles-mêmes ! La visbilité du SDL permettait à de jeunes ME de se faire connaitre, youpi les un an d'existence, juste après une pandémie qui a grandement affecté l'univers du livre et retardé des projets éditoriaux ! Vous parlez d'une diversité, d'un traitement égal, d'une volonté de mettre en lumière les talents ! Petites ME, auteurs professionnels indépendants, pour tout ceux-là, plus d'accès possible ! C'était déjà pas facile vu le coût des stands et l'inégalité de traitement en germes d'espaces, d'emplacement et d'allées au salon selon les genres "chouchou" des organisateurs, mais mà, ça va encore plus loin... C'est se moquer du monde !
C'est du bling bling contre l'expression des moins riches, du monopole d'un syndicat qui oeuvre déjà plus pour les gros groupes que le reste et qui placera ses membres en priorité. Alors qu'avoir deux organisateurs permettait les échanges enrichissants et réduisaient les risques de privilèges. Ben ça promet !
Je ne saluerai, au vu de ces informations, que l'initiative d'enfin être gratuit, comme les autres grandes foires du livre. Mais je crains de lui préférer désormais celle de Bruxelles, à seulement quelques heures de là...
Christelle-19
18/12/2021 à 17:53
Merci ! Vous avez tout dit ! C'est vraiment honteux ce fonctionnement et ils essaient de faire passer ça pour une évolution. Du foutage de gueule en règle.
ghislou
21/12/2021 à 07:52
Si ce n'est que la foire de Bruxelles est annulée pour le 2e année. Pas de foire en mars 2022
reverine
21/12/2021 à 12:10
De toute façon, ce serait trop juste cette année pour s'inscrire, mais en 2023... je sens que je vais migrer dans le nord, nos voisins ont plus de respect pour les auteurs et leur lectorat que Paris, manifestement ! (et l'adverbe est bien choisi, on parle tout de même d'un "syndicat" qui se vante d'avoir évacué un contre-pouvoir - paradoxal, n'est-ce pas ?)
Ley
18/12/2021 à 19:59
Salon du livre pour les élites! Adieu auteurs indépendants dont les livres sont de vrais bijoux à découvrir.
Adieu petites ME à taille humaine et ou les échanges sont super agréables avec les lecteurs.
Vos tarifs sont de plus énormes et seuls les plus gris pourront venir.
Vous n'êtes pas ouverts à tous vous êtes dans une bulle restreinte.
Dominique
20/12/2021 à 17:34
Bonjour
La première question a se poser est la suivante : combien coute la location du grand Palais ( éphémère ou non ) ? ; lorsque l'on a la réponse , il semble que les petits éditeurs ne peuvent se payer se genre de manifestation ; hors le grand palais c'est l'état , donc nous tous ... En fait le prix de la location immobilière à Paris est devenu trop cher pour beaucoup.
Dominique.
Kahn63
20/12/2021 à 22:16
C'est clairement pour ça qu'ils ont loué en plein Paris, pour redonner du faste et du luxe à un salon qui s'était trop encroûté avec tous ces petits producteurs de contenus qui bouffent le marché des acteurs historiques... Il n'y a pas à chercher plus loin, ils veulent rendre le salon élitiste et parigo-centré, c'est tout...
Désormais, LE salon du livre francophone phare en Europe, c'est Bruxelles et puis c'est tout... En plus les stands sont (un peu) plus abordables qu'à l'ancien Livre Paris (et qu'au nouveau, cela va sans dire lol)
Guillaume
23/12/2021 à 21:29
Bravo !
Vous avez rendu le salon inaccessible à tous : petite, moyenne et grande maison d'édition.
Il est IMPOSSIBLE d'être rentable sur le stand et vous le dites vous même dans votre brochure...
> 1.5m de chiffres d'affaire attendu
> 40% part libraire dont reste 900 000e à partager
> 16 stand à 60ke = 960000e
Donc rien que le prix des stands à 60ke dépassent le maximum du CA POSSIBLE.
ET il s'agit du chiffre d'affaires, pas des bénéfices...
Je ne comprends juste pas.
Aucune maison d'édition censée ne viendra.
Sophie
28/12/2021 à 16:18
Je trouve sa honteux moi qui pensais venir voir nos auteurs en AE ou même petite ME je vous juste des prix exorbitants pas de Paris pour bon nombre de personnes on préfère se déplacer dans d autres villes où les auteurs ou les ME ne se font pas saigner
Michel-Cosme BIDEAU
14/01/2022 à 15:52
Parfait mais je voudrais dès à présent m'inscrire pour les 3 jours en tant qu'auteur (dernier éditeur : Transboréal pour "Chaos khmer") , j'ai peur de l'histoire de la "jauge" et de ne pas pouvoir rentrer.
Mareike WOLF-FÉDIDA
27/01/2022 à 17:23
J'aimerais inscrire MJW Fédition comme exposant au Festival du Livre 2022.
Comment faire? Merci d'avance