En 2016, Ki&Hi devint le premier manga des éditions Michel Lafon : 6 tomes et un agenda plus tard, le succès dépasse 1,03 million d’exemplaires (donnée Edistat) sur cinq années. 2021 amorce alors une nouvelle voie : Kazoku, le label manga de la maison. Et pour l’inaugurer, c’est le roman d’Albert Camus, La Peste, adapté par Ryota Kurumado. Une aventure éditoriale peu banale, dont les deux premiers tomes sortiront d’ici 10 jours.
Le 14/09/2021 à 11:33 par Nicolas Gary
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Publié le :
14/09/2021 à 11:33
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Kazoku, en japonais, signifie “famille”. Et entre celle des éditions Michel Lafon et la famille Camus, les liens sont étroits. En 2013, pour commémorer le centenaire de la naissance du Prix Nobel de littérature, sortait le livre Albert Camus, Solidaire et solitaire, un hommage de sa fille Catherine, paru chez Michel Lafon. La Peste, version manga, prolonge donc cette relation personnelle, tout en explorant la perspective de catalogues mangas 100 % japonais.
PANDÉMIE: Camus, best-seller en Italie
C’est à Fabrice Buon (qui traduit également le livre de Ryota Kurumado) que le label est confié : depuis 2013, cet ancien de Casterman, installé au Japon, devient l’éditeur tokyoïte de la maison. « Les éditeurs japonais connaissent bien l’industrie du livre en France et savent que c’est un marché conséquent. N’oublions pas que la France est le deuxième plus gros marché pour les mangas après le Japon », indique-t-il à ActuaLitté.
« Aujourd’hui, des liens forts existent entre les éditeurs nippons et les éditeurs français et le marché français étant encore très attrayant, le Japon est ouvert aux nouveaux venus comme nous avec notre nouvelle collection manga Kazoku. »
Cette présence sur l’Archipel a ainsi permis à Michel Lafon de bénéficier d’un lien privilégié avec les éditeurs locaux : « Le succès des mangas en France et la multitude d’éditeurs fait que c’est souvent une compétition pour obtenir les droits d’un titre et les éditeurs nippons savent qu’ils sont en position de force. Cela fait partie du jeu et au final, tout le monde y trouve son compte, le lecteur surtout vu le catalogue imposant à sa disposition. »
Ouvrir les vannes d’une production manga n’allait cependant pas s’effectuer sans peine : « Les relations avec l’éditeur japonais se sont passées sans encombre, mais Michel Lafon étant un nouvel éditeur manga, cela allait relativement lentement au début car il fallait expliquer notre histoire, notre démarche et faire preuve de notre sérieux », reprend l’éditeur. Il a fallu attendre le soutien définitif de la famille Camus pour que le projet décolle véritablement.
Élisabeth Maisondieu-Camus, avocate qui exerce à Nice puis Paris depuis 1997, assiste sa mère Catherine Camus, fille de l’écrivain, dans la gestion des droits sur l’œuvre. « Nous avons découvert l’existence d’un manga au Japon [l’œuvre est dans le domaine public sur l’Archipel] qui allait être commercialisé », explique-t-elle à ActuaLitté. La perspective d’une publication sur le territoire français a germé : la maison Lafon, de par ses liens amicaux avec la fille et la petite fille d’Albert Camus, et de par le développement opéré d’un département Manga, va s’imposer naturellement.
CHINE: La Peste, ouvrage prophétique
Dans l’interprofession, on s’attendait d’ailleurs à ce que les éditions Gallimard poursuivent, avec un manga, le travail d’adaptation déjà réalisé par Jacques Ferrandez : en avril 2013 sortait en effet L’Étranger en bande dessinée. Or, sans département manga, l’éditeur historique de Camus aurait dû s’associer à une autre structure éditoriale.
« C’est le dessin, qui nous a immédiatement conquises. Ma mère trouve le docteur Rieux très beau », s’amuse Élisabeth Maisondieu-Camus. « Thomas, son petit-fils (mon neveu) est très porté sur les mangas, elle avait donc une certaine proximité avec ce genre, dont elle avait entendu parler. Et puis maman est quelqu’un de très ouvert et elle respecte l’art, même celui qui lui parle moins. » Et loin d’un fossé générationnel, l’ouvrage devient un lien.
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Sans jamais avoir pu échanger avec le mangaka, qui préserve ainsi une grande part de mystère, fille et petite-fille ont découvert un traitement narratif tout autre. « Ces séquences où l’on se positionne dans l’esprit du personnage m’ont étonnée. Les blancs expriment beaucoup accolés à des phrases concises, qui au final préserve l’essentiel du texte. Comme un condensé, mais avec toutes les idées développées dans l’œuvre originaire. Je trouve l’adaptation du texte par Ryota Kurumado particulièrement réussie, et ce n’était pas simple ! », se réjouit-elle.
EXCLUSIF: découvrir les premières pages de La Peste T.2
Sur les quatre volumes prévus (les tomes 3 et 4 sortiront en janvier et avril 2022), ces deux premiers plongent dans une atmosphère « qui exprime pleinement celle ressentie dans l’Œuvre de Camus ». Mieux encore : « J’ai découvert que le mangaka avait déjà réalisé un manga mettant en scène Mozart, Ravel et Beethoven. Développer ce principe d’adaptations autour d’œuvres littéraires, c’est permettre d’accéder à des textes dont la pensée exprimée peut être difficile d’accès parfois. C’est aussi l’accès à un lectorat différent. »
Une certaine impatience plane maintenant : celle de la réception par les lecteurs. Il est vrai que le succès de La Peste en 2020, que ce soit en France ou en Italie, a dépassé l’imagination. « Il faut savoir cependant que le projet éditorial japonais avait été entamé bien avant la pandémie et les confinements. Il n’y a aucun opportunisme éditorial dans ce projet. », précise Élisabeth Maisondieu-Camus.
Fabrice Buon insiste : « Tout d’abord, notons qu’Albert Camus est un auteur très apprécié au Japon et que l’édition nippone de La Peste a dépassé les 1,6 million d’exemplaires vendus. La pandémie actuelle a bien sûr remis ce classique au-devant de la scène et le manga a bénéficié d’un vrai buzz en termes d’articles, et ce, malgré la quantité énorme de titres sortant presque tous les jours. »
Quant à la petite-fille, elle se réjouit surtout de cette nouvelle manière de valoriser l’œuvre d’Albert Camus : « À 13-14 ans, ma mère m’a fait lire L’Étranger, en expliquant qu’il s’agissait de notre grand-père… Mais nous ignorions tout de lui. On en parlait moins à cette époque. À présent, ma fille, mes neveux sont au courant de qui il était, en mesurent l’importance, on en parle constamment dans la presse. »
La suite, pour Kazoku, ce sont les livres Hellfire Messenger, de Satou, Morinari Miyagi et Tetsuhiro Nabeshima puis La lame de la rébellion, de Tarou Tsubaki, à sortir en octobre… La famille, que voulez-vous, c’est sacré !
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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1 Commentaire
Aradigme
15/09/2021 à 15:36
Une bonne initiative. On peut espérer que le manga donnera à certains l'envie de lire l'oeuvre à son origine. Le manga et d'autres types de bandes dessinées consituent pour moi une forme d'expression très intéressante qui permet souvent un accès à l'oeuvre plus aisé et plus immédiat que le roman. Ce dernier offre par contre la possibilité de préciser les états d'âme et de développer la mémoire comme l'imagination du lecteur.