Nouveau relais de croissance pour l’industrie du livre, le livre audio reste coûteux à produire. Et si les ventes augmentent, sa rentabilité est encore loin d’être assurée. Très loin. Sensible à ces problématiques, le Centre national du Livre ouvre un outil de financement aux éditeurs, pour la production d’audiolivres. Des aides allant de 2000 à 50.000 € seront accordées, suivant les dossiers.
Le 09/07/2021 à 10:47 par Nicolas Gary
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Selon les données du panéliste GfK, sur 2020, le livre audio aura généré 18 millions de téléchargements payants en 2020. La croissance de 27 % fait plaisir à voir, puisque le segment représente 135 millions €, soit une croissance de 26 % en regard de 2019. Des éléments significatifs, mais qui ne peuvent pour autant pas faire pousser de grands cris.
« La subvention à la création et au développement du livre audio a pour objet de soutenir les projets de création et de développement de collections de livres audio dans le cadre d’une production éditoriale de qualité », indique le CNL dans sa présentation de cette nouvelle aide.
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Pour autant, il s’agit là d’un revirement inattendu — voire inespéré. En effet, par le passé, lors de rencontres entre le CNL et le Syndicat national de l’édition, la possibilité de mettre en place une pareille aide avait reçu une objection ferme. Un certain Arnaud Nourry, alors PDG du groupe Hachette Livre, s’y opposait strictement — en sa qualité de membre du Bureau du syndicat.
« Selon lui, le secteur était rentable, et les éditeurs avaient les moyens de parvenir seuls à produire ces audiolivres », se souvient-on. « Mais surtout, il n’était pas nécessaire que de nouveaux joueurs interviennent. » On imagine bien que des aides à destination des éditeurs auraient pu élargir le champ d’action, d’une part, et ainsi couper les partenariats passés avec les structures aujourd’hui en place.
« De fait, un éditeur aurait pu réaliser son adaptation, sans avoir à signer d’accord avec un Lizzie ou un Audiolib. Et certainement, l’ex-PDG de Hachette avait à l’esprit de protéger une partie de son commerce. » Difficile à entendre : des aides auraient également pu bénéficier aux éditeurs d’audiolivres, pour favoriser, justement, ces partenariats.
L'approche du CNL se comprend ainsi : « Défendre et protéger un territoire est une méthode… qui a des limites. On ne peut pas empêcher un secteur de croître, juste en privant d’aides des éditeurs de moindre envergure. Il est normal que le marché s’ouvre, et c’est le rôle du Centre que d’accompagner l’ensemble des aspirants dans leur démarche. Du moins, le plus grand nombre possible », analyse une proche de ce dossier. « Dans tous les cas, cela ne peut qu’apporter une structuration de l’offre et de la profession. »
Mais l’une des craintes exprimées portait surtout la possibilité qu’un certain Amazon bénéficie de ces aides — en sa qualité d’éditeur/producteur d’audiolivres. « À l’époque, la solution était déjà toute trouvée : limiter les financements aux seules entreprises pour lesquelles le livre représentait plus de 50 % du chiffre d’affaires. » Mais en l'absence de cette règle, il semble qu'un Amazon soit tout à fait éligible – une règle connue et constante pourtant, dans le cadre de l'établissement.
En l’état, le dispositif du CNL fonctionne comme tant d’autres : jusqu’à 60 % des coûts de production sont pris en charge, avec des aides allant de 2000 à 50.000 €. La présidente, Régine Hatchondo, sera dernière décisionnaire, en regard des avis fournis par la Commission chargée d’examiner les dossiers. Quant à l’exclusion de gros joueurs comme Amazon, elle s’est opérée différemment : l’édition doit figurer dans l’objet social et les statuts de l’entreprise. D’autres conditions cumulatives permettent ainsi d’éliminer progressivement le géant américain, semble-t-il. Mais sur ce point, les avis divergent.
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En effet, que soit évaluée la « situation économique du demandeur », serait un critère discriminant, excluant immédiatement les GAFA — quoiqu’Apple soit peu engagé en France dans la production.
En revanche, nous pointe un éditeur indépendant, « qui est véritablement visé par cette aide ? Si l’on détaille son principe, il s’agit de la création d’un “ensemble de livres audio concernant un nombre significatif de titres en français”. Mais d’abord, avec 2000 € d’aide minimale, personne ne fait un livre audio, et moins encore une collection. Le projet est donc fléché vers les grands groupes qui ont déjà les ressources : est-ce là le rôle du CNL de soutenir ceux qui ont déjà les ressources », pointe-t-il ?
À l’heure actuelle, les différentes structures qui produisent des audiolivres sont connues — Gallimard, Actes Sud, Lizzie (filiale d’Editis), Audiolib (joint-venture de Hachette et Albin Michel). Mais toutes sont adossées à des groupes aux reins plus ou moins solides. « En l’état, cette aide va servir les gros… qui n’ont pas besoin d’argent ! »
Certes. Mais cette aide intervient aussi avec une approche expérimentale : pour autant, quelques-uns des domaines exclus font tiquer, mais découlent du décret de fonctionnement du Centre. Dommage pour l'ésotérisme, donc, mais c'est ainsi. D'autre part, le bilan de cette expérimentation interviendra en « juin 2022 après les deux premières sessions ». Et permettra une évaluation, ainsi que des ajustements « du règlement des aides ».
Valérie Levy-Soussan, présidente groupe Audiolivre au Syndicat national de l’édition, préfère prendre de la distance. « Le livre audio est enfin reconnu comme un moyen privilégié d’accéder à la lecture. Afin d’augmenter la diversité des catalogues, le CNL a décidé de mettre en place une aide, qui a toute sa place dans le paysage éditorial. »
Il s’agit par ailleurs de pallier un vide, alors qu’aucune aide du Centre ne permettait autre chose que la création originale pour les supports audio. Comme le souligne Valérie Levy-Soussan, « les aides à la traduction permettent d’accéder à des œuvres depuis des langues étrangères, vers le français. Il était important que le livre audio, qui représente une nouvelle manière de profiter de livres, bénéficie de ce soutien ».
Pour d’autres acteurs, l’apport du CNL découle d’une nécessité éditoriale première : « Adapter des ouvrages en audio représente un certain coût. Avec 2000 € d’aides — ce qui représente une production de 3000 € globale — on peut trouver des solutions. Tout dépend de la longueur du livre lu. » Mais surtout, il importait de contrer le forcing qu’un certain Audible exerce aujourd’hui : financer la production, en l’échange d’un contrat d’exclusivité.
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« Imaginer qu’Amazon puisse un jour avoir la main sur la production et la distribution n’a rien de rassurant. Quand les GAFA financent, l’avenir devient dangereux », insiste-t-on.
Le CNL se placerait donc en redresseur de torts ? Plus ou moins : le but affiché est celui d’aider des acteurs existants, certes, mais dans le même temps de donner un coup de pouce à des petites structures qui n’auront donc plus besoin de passer par de gros opérateurs. Prévenir les phénomènes d’exclusivité imposés par les contrats Audible devient un enjeu majeur.
« Nous avons toujours besoin d’aide au développement, sur ce segment, qui n’a acquis ses lettres de noblesse que récemment. Et justement, pour ne pas aller que vers des publications rentables, parce que grand public, et laisser une place à des œuvres plus confidentielles ou difficiles, cette aide a du sens. » En outre, un projet audiolivre financé par Amazon ne trouvera jamais sa place dans le catalogue de PNB, le prêt numérique (ebook et audiobook) à destination des bibliothèques. Autrement dit, l’œuvre disparaîtrait pour les usagers, et du service public.
Pour Cécile Palusinski, présidente de La plume de paon, association qui œuvre à la promotion du format audio depuis des années, cette aide « arrive à point alors que la période de confinement a vu une explosion des usages audio ». En outre, le coût de production de ces ouvrages reste élevé, et la subvention « devrait permettre de soutenir le développement de l’offre de livres audio, qui répond aussi à des enjeux d’accessibilité à la lecture pour tous (à l’heure où la lecture a été déclarée grande cause nationale) ».
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Plus encore, elle y voit cette reconnaissance frémissante au cours des dernières années, du livre audio « en tant que livre ». Si le chiffre d’affaires part de loin, l’appui des pouvoirs publics (le CNL étant sous tutelle du ministère de la Culture) vient à point nommé.
« Enfin, à l’heure de l’explosion des podcasts, qui représentent une forme de concurrence au livre audio, avec des modèles économiques gratuit/payant, ce soutien est, me semble-t-il, indispensable pour assurer le développement d’une offre de livre audio de qualité par les éditeurs », analyse-t-elle.
La direction du CNL souligne à ActuaLitté combien le dispositif est expérimental : au terme de deux commissions, une modification des aides sera présentée en juin 2022, lors du conseil d’administration. Et ce, « afin de tenir compte des difficultés rencontrées ». La commission sera constituée pour le mois de septembre, et une réunion liminaire permettra de « discuter de ses orientations durant cette phase expérimentale ».
Et de reconnaître : « Il est probable que seront privilégiés (sans que cela soit exclusif) dans cette première phase les projets permettant d’élargir le lectorat, notamment des jeunes publics. »
Par ailleurs, le Centre souligne qu’il sera possible de présenter une offre pour un ouvrage unique « au regard de l’importance et de l’intérêt de celui-ci ». En revanche, insiste la direction, « l’assiette des coûts éligibles (frais de création, conception, maquette, fabrication, conception, éditing, promotion, etc.) est assez large pour permettre aux maisons d’édition petites et moyennes d’être accompagnées dans tout le processus de création du livre audio ». Donc de limiter le risque de ne voir que des grands groupes financés.
Reste que si Audible, la filiale d’Amazon était éligible, et que la Commission retoque ses demandes, sur des critères discrétionnaires, on entendra rapidement des dents grincer. Mais pour le CNL, cette hypothèse de financement, c'est niet.
Leurs titres sont produits « dans un format propriétaire et pas dans un format normalisé ouvert… Ils ne sont pas enrichis de métadonnées bibliographiques et d’accessibilité selon les normes et les bonnes pratiques en vigueur — par ailleurs ces œuvres ne sont pas accessibles à la librairie indépendante, aux plateformes et aux bibliothèques via un edistributeur relié à Dilicom. »
Un argument des plus fragiles : en mai dernier, Amazon acceptait de prêter ses ebooks et audiolivres, dans les bibliothèques américaines. Une décision historique, découlant de mois de négociations – mais que personne n’aurait cru possible voilà encore cinq ans. Or, si en France, l’entreprise décidait d’effectuer le même mouvement, elle serait amenée à traiter avec Dilicom, qui prend en charge PNB, le service de prêt numérique, justement. Fragile, donc, et délicat.
Et le CNL de conclure : « Le succès du livre audio chez les jeunes publics (et le recul préoccupant de la lecture chez les ados) et les possibilités qu’il offre pour donner le désir de lire à de nouveaux publics justifient cette expérimentation. » En avril 2021, Médiamétrie faisait en effet état de ce qu’un jeune sur cinq, dans la population des 15-24 ans, avait déjà écouté un livre audio.
La date limite de dépôt est fixée au 23 septembre prochain, et trois commissions se tiendront dans le courant de l’année 2022 (le jeudi 10 février, le jeudi 12 mai, le jeudi 8 septembre). Les demandes doivent être opérées uniquement en ligne.
Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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10/07/2021 à 07:53
« « Imaginer qu’Amazon puisse un jour avoir la main sur la production et la distribution n’a rien de rassurant. Quand les GAFA financent, l’avenir devient dangereux »
C'est vrai que ce n'est pas en France qu'on verrait un éditeur français virer un auteur pour des raisons bassement politiques. Ou tous refuser d'éditeur un homme politique du parti majoritaire en France.
Ah si ? Alors, finalement, il y a un jour de moins avec les GAFA, non ? Tous des milliardaires qui font la pluie et le beau temps... en se gavant d'argent public.
Et les auteurs dans tout ça ? Comme d'hab : vous êtes le maillon faible. Ce ne sont quand même pas eux qui ont besoin d'argent, ces espèces de gueux indignes ! Un peu plus et il empêcherait ces éditeurs germanos-pratins de se gaver de caviar !
Zaitek
28/04/2023 à 10:22
Bonjour Pic,
Affirmer que "ce n'est pas en France qu'on verrait des auteurs exclus pour des raisons bassement politiques" atteste d'un manque d'information sur le sujet, mais surtout d'un idéalisme très tendance.
Avoir recours à des arguments politiquement marqués pour critiquer "des raisons bassement politiques" n'a pas de sens.
La cohérence est le premier élément pris en compte dans l'art de la rhétorique.
Portez-vous bien.
Cordialement
Forbane
11/07/2021 à 13:31
Par définition, un livre se lit, il ne s'écoute pas (sauf si bien sûr l'on est aveugle).
Quand on en arrive là, on se dit que la littérature est décidément à l'agonie.
Anne
13/07/2021 à 14:28
Et encore, les aveugles lisent en braille (le braille numérique fonctionne très bien), malheureusement, il est peu promu par rapport à l'audio. Il faudrait faire cohabiter tous ces formats.