#Legislatives2024 – Les résultats obtenus par les partis d'extrême droite, à l'occasion des élections européennes, font déferler une véritable vague brune sur le Parlement. En France, la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron, après la défaite de son parti, laisse craindre un gouvernement d'extrême droite. Les principales organisations du livre réagissent timidement, sur la défensive, à ces bouleversements politiques.
Le 13/06/2024 à 16:46 par Antoine Oury
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13/06/2024 à 16:46
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Organisées en France les 8 et 9 juin 2024, les élections européennes ont vu le taux de participation s'élever à 51,49 %, soit une légère hausse par rapport à 2019 (+ 1,37 point). La liste d'extrême droite « La France revient ! avec Jordan Bardella et Marine Le Pen » est sortie largement en tête du scrutin, recueillant 31,37 % des suffrages exprimés et obtenant ainsi 30 sièges sur les 81 places au Parlement européen à pourvoir.
Alors que les résultats étaient en cours de consolidation, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé, dès le dimanche 9 juin au soir, la dissolution de l'Assemblée nationale. « J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a-t-il souligné alors que son parti, Renaissance, représenté au sein de la liste Besoin d'Europe (avec MODEM, Horizons, Parti Radical et UDI), pointait en deuxième, avec 14,60 % des suffrages (13 sièges).
Afin de composer une nouvelle Assemblée nationale, des élections législatives sont donc annoncées, avec un premier tour le 30 juin et un second le 7 juillet 2024.
Dans un contexte de normalisation des idées réactionnaires de l'extrême droite, les partis européens véhiculant la même idéologie nauséabonde ont fait florès dans plusieurs pays de l'Union. En Autriche, Italie, Hongrie et Belgique, les candidats les plus à droite sont aussi arrivés en tête, quand ceux de l'Allemagne, des Pays-Bas et de la Pologne se sont particulièrement bien placés.
Les élus de ces différentes listes devraient rejoindre, au Parlement européen, les groupes ID (Identité et Démocratie) ou CRE (Conservateurs et réformistes européens), mais peuvent aussi siéger en tant que non inscrits.
D'après la projection des sièges du nouveau Parlement européen diffusée le 10 juin dernier, ces deux groupes classés à l'extrême droite cumuleraient 131 sièges (soit une quinzaine de sièges supplémentaires), contre 185 pour le Parti populaire européen (PPE), qui réunit les partis de droite et de centre droit.
Quelles seront les orientations de ces deux groupes politiques, devenus plus puissants, vis-à-vis de la culture et du secteur ? Difficile de le savoir, dans la mesure où les sites d'ID et de CRE ne mentionnent pas une politique culturelle.
On peut toutefois se tourner vers les programmes des différentes formations nationales, à commencer par celui du Rassemblement national et de Reconquête, en France. Le relevé réalisé par ActuaLitté en amont des élections européennes soulignait l'absence de lignes précises au sein des propositions de la liste menée par Jordan Bardella.
« Défendre et promouvoir la civilisation européenne, en s’opposant à la déconstruction de notre histoire, de nos cultures [...] », avançait simplement le parti. Reconquête, avec sa liste conduite par Marion Maréchal-Le Pen, se montrait à la fois plus précis et jusqu'au-boutiste en proposant de récupérer les fonds du programme « Europe Créative », qualifié de « propagandiste », tout en réduisant les contributions nationales qui lui sont allouées.
La formation pointait également « l'idéologie woke », en prévoyant d'interdire « tout financement au wokisme et aux associations militantes LGBT ».
Le dénominateur commun des programmes de l'extrême droite reste la défense d'une identité « civilisationnelle », qui vise bien entendu à protéger les « racines chrétiennes » d'une culture essentiellement tournée vers le patrimoine, là aussi très circonscrit à certains lieux ou certaines époques.
Parmi les cibles possibles des parlementaires européens, Créative Europe, le programme de la Commission européenne pour la culture. Entre 2021 et 2027, son budget a atteint 2,44 milliards €, lui permettant de soutenir un grand nombre d'initiatives dans toute l'union, sur de nombreux secteurs culturels, dont le livre.
Les projets de coopération européenne, qui visent « à améliorer l’accès aux œuvres culturelles et créatives européennes, ainsi qu'à promouvoir l’innovation et la créativité » entre les pays de l'Union sont les plus largement soutenus par le programme.
La traduction littéraire fait aussi parti des volets les plus soutenus : 90 projets ont été subventionnés en 2021 et 2022, et « ont donné lieu à la traduction, par 651 traducteurs, de 1024 livres écrits par 815 auteurs. Initialement publiés dans 40 langues différentes, ces livres ont été traduits en 26 langues cibles », déroulait un rapport publié en janvier dernier. Grâce à Créative Europe, de nombreux artistes bénéficient également d'une aide à la mobilité.
Le rapport en question, porté par Massimiliano Smeriglio, invitait à quelques améliorations du programme, notamment une simplication de la procédure de candidature, et proposait à la Commission et aux États membres d'« augmenter considérablement la dotation financière du programme Europe Créative 2028-2034 ».
Ce rapport avait été largement adopté par le Parlement européen, à 489 pour, 87 contre et 40 abstentions. Sans surprise, les groupes ID (Identité et Démocratie) ou CRE (Conservateurs et réformistes européens), dont Jordan Bardella (ID), ont voté contre ou se sont abstenus...
Lors des discussions sur la situation sociale et professionnelle des artistes et des travailleurs des secteurs de la culture et de la création, découlant d'un rapport qui a fait date auprès des principaux intéressés, rebelote : les 5 voix contre au moment de l'adoption du document par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la commission de la culture et de l'éducation étaient celles du groupe ECR, tandis qu'une députée ID s'est abstenue...
Sollicitée sur la menace directe que font peser les groupes d'extrême droite sur le programme Europe Créative, la Fédération des éditeurs européens (FEE) rappelle avant toute chose qu'elle est « apolitique ». « Le programme Europe Creative soutient de nombreux projets culturels européens et notamment dans le secteur du livre. La FEE continuera à soutenir ce programme et à insister pour que le livre soit suffisamment représenté dans les différentes actions soutenues », nous précise Anne Bergman-Tahon, directrice de la FEE.
« Nous travaillerons avec la Commission, le Parlement et le Conseil pour que les conditions réglementaires qui seront mises en place favorisent une édition libre et diversifiée dans tous les pays de l’Union », ajoute-t-elle encore. « Nous défendons les valeurs de la démocratie et continuerons à demander à l’échelle européenne, au monde politique de défendre la liberté d’expression et de publier. »
« Organisation professionnelle qui ne commente pas l’actualité politique », le Syndicat national de l'édition nous indique être « aligné sur les positions » de la FEE.
Le Conseil permanent des Écrivains, association française à but non lucratif, observe « avec inquiétude tout repli identitaire mettant à mal ses valeurs fondamentales », déclare Séverine Weiss, traductrice et présidente de l'organisation. « [E]n tant que fédération de 15 organisations défendant les intérêts matériels et moraux des auteurs du livre, [il] encourage le dialogue entre les peuples, les échanges entre les cultures, et souhaite une Europe unie et sensible à la défense des droits des plus faibles. »
Le CPE considère par ailleurs que la remise en cause d’Europe Creative, avancée par certaines formations d'extrême droite, « serait extrêmement dommageable à tous les acteurs de la chaîne du livre » et souhaite « que l’Europe continue à investir dans des programmes et des agences favorisant l’éducation et la culture ».
Enfin, il rappelle « que l’IA doit être fortement encadrée au niveau européen et que l’innovation et le soutien à la “tech”, portés par de nombreuses formations politiques, ne pourront se faire qu’en tenant compte avant tout de la protection des droits des auteurs ».
Avec la dissolution de l'Assemblée nationale, les menaces de l'extrême droite ne sont plus seulement européennes, pour la France. Dans la foulée de la dynamique des élections du 9 juin, le camp de Jordan Bardella et Marine Le Pen pourrait bien se retrouver à Matignon.
Pour l'instant, les détails des programmes des différents partis ne sont pas connus et il est donc difficile de juger sur pièces. Les documents du Rassemblement national à l'occasion des législatives de 2022 n'évoquaient pas spécifiquement le cas du livre, et le programme présidentiel de Marine Le Pen, la même année, ne s'y intéressait pas vraiment non plus.
Elle évoquait plutôt la protection du patrimoine et la création d'une « Union francophone », pour « regrouper tous les pays pratiquant la langue française, sur quelque continent qu’ils se trouvent ». Du côté de l'éducation, elle promettait « une priorité absolue au français, aux mathématiques et à l’histoire de France », afin de « consacrer un temps d’enseignement suffisant aux matières fondamentales ».
Généralement ignoré des programmes de l'extrême droite, le livre n'est pas pour autant à l'abri des décisions politiques erratiques de ces partis. Alors que Marine Le Pen accédait au second tour de l'élection présidentielle, en 2022, ActuaLitté s'était fendu d'un inventaire à la Prévert des menaces que ce camp politique faisait peser sur l'édition : il est malheureusement toujours d'actualité.
Ajoutons-y, pour l'actualiser, les nombreuses procédures judiciaires visant à intimider les intellectuels italiens, ouvertes par Giorgia Meloni et ses proches, notamment contre Roberto Saviano et l'historien Luciano Canfora, ou encore une censure particulièrement homophobe en Hongrie...
Le rétrécissement des libertés qui va de pair avec un pouvoir laissé à l'extrême droite inquiète évidemment un certain nombre de personnalités et d'organisations du secteur de la culture. Peu après l'annonce des résultats et de la dissolution de l'Assemblée nationale, 350 personnalités du monde politique, intellectuel, militant et artistique lançaient un appel solennel à l'union de la gauche. Celui-ci était notamment signé par Hervé Le Tellier, Lydie Salvayre, Pénélope Bagieu, Marie Darrieussecq, Marie Desplechin, Annie Ernaux ou encore Pierre Lemaitre.
Nous, dans notre diversité, personnalités du monde du travail, de la recherche et de la culture, activistes, militantes et militants associatifs, sommes convaincus que la victoire est possible, si nous répondons aux attentes sociales urgentes, si nous défendons les solutions pour le vivant, l’écologie et le climat, si nous valorisons les luttes féministes, le combat contre tous les racismes, contre le rejet des musulmans et l’antisémitisme, contre la stigmatisation des migrants et des minorités sexuelles et pour le respect, la dignité et l’égalité. Et si nous avons pour obsession la justice et pour boussole la démocratie, y compris pour nous-mêmes.
– Appel « L’union des gauches et des écologistes, maintenant ! »
Du côté des organisations du livre françaises, les engagements sont moins francs contre l'extrême droite. Le SNE, donc, « ne commente pas l'actualité politique », quand le Syndicat de la librairie française évoquera « le contexte politique actuel dans le cadre des Rencontres nationales de la librairie à Strasbourg », ces 16 et 17 juin.
Le CPE n'a pas de consignes de vote, mais « entretient actuellement un dialogue régulier avec les membres du Parlement aussi bien qu’avec les représentants de la France au niveau européen, et souhaite pouvoir à l’avenir poursuivre ce travail constructif avec des interlocuteurs conscients de l’importance de la culture pour faire vivre l’Europe dans toute sa diversité, et sensibles aux conditions des auteurs ».
L'Association des Bibliothécaires de France procède à « la rédaction d'un document à destination des candidats aux législatives », prochainement signé et diffusé. Nous avons contacté, dans le cadre de cet article, la Fédération des associations européennes d’écrivains (European Writers' Council) et la Ligue des bibliothèques européennes de recherche (LIBER), sans obtenir de réponses.
Dans l'ensemble, le monde du livre hésite à se mobiliser et à appeler au barrage à l'extrême droite, contrairement à d'autres secteurs culturels, ceux du spectacle vivant et de la musique, notamment les festivals, en tête. À notre connaissance, seul le Syndicat général du Livre et de la Communication écrite CGT a diffusé un message, lié à l'engagement du syndicat en général.
La Fédération des associations européennes d’écrivains (European Writers' Council) nous a fait parvenir ses réponses. « En tant qu’organisation de défense de la culture, de l’échange, de la diversité, de la démocratie, de la tolérance et de l’inclusion, nous sommes en faveur des principes fondateurs de l’Union européenne et promouvons leur respect pour toutes les positions politiques des partis extrémistes », indiquent Nina George, présidente d’honneur, et Miguel Ángel Serrano, président actuel de l'EWC.
« En ce qui concerne notre travail, nous constatons que l’agenda politique du Parlement ne commencera pas avant l’automne, et nous ne nous attendons pas à pouvoir prédire avant au moins un an comment fonctionneront ceux des 720 députés européens qui sont complètement nouveaux et inexpérimentés dans les processus démocratiques et consensuels de Bruxelles et de Strasbourg. L’expérience a montré que les intérêts particuliers nationaux ont peu de chances de parvenir à un consensus entre tous les pays », estiment-ils.
Les propositions des partis d'extrême droite lors de la campagne des élections européennes « ne sont pas adaptées », « d'un point de vue européen », remarquent Nina George et Miguel Ángel Serrano. Concernant le programme Europe Créative, l'EWC est plutôt serein, puisque « les décisions relatives à ces programmes nécessitent le vote à la majorité de l’ensemble du Parlement. Nous supposons que la majorité des députés européens continueront à soutenir le maintien et l’expansion des programmes. » Le poids politique de l'extrême droite au Parlement ne lui permettrait pas de s'y opposer.
« Il y a des années importantes devant nous au cours desquelles nous façonnerons l’avenir des prochaines générations d’artistes et d’écrivains. Nous devons leur laisser une base de liberté et d’égalité des chances pour la liberté d’expression artistique et la participation politiquement diversifiée pour façonner la société sous toutes ses formes », précisent encore Nina George et Miguel Ángel Serrano.
Face à l'extrême droite, l'EWC ne donne pas de consignes de vote : « En tant que fédération représentant 50 organisations de 32 pays, il ne nous appartient pas de parler au nom des organisations membres locales. »
Des actrices et acteurs « des littératures de l'imaginaire » se sont manifestés, ce jeudi 13 juin, dans une tribune publiée par L'Humanité, « pour appeler à une union de toutes les forces dans un Front Populaire lors des élections législatives qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet prochains ».
Ils pointent le « risque inédit de l’accession au pouvoir d’une extrême droite raciste, xénophobe, islamophobe, antisémite, LGBTphobe, sexiste et ultralibérale » et le « risque plus concret que jamais d’un basculement de la France dans un néofascisme décomplexé et violent ».
Photographie : illustration, Pierre-Selim, CC BY-SA 2.0
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12 Commentaires
Will I am
13/06/2024 à 17:21
Comme en 1981, il est évident que les chars russes vont débarquer à Paris !
grouik
13/06/2024 à 17:40
"idéologie nauséabonde "
c'est une catégorie politique ça ? ahahah
pas besoin de lire plus ce torchon gauchiste...
Dude
13/06/2024 à 21:41
Vous jouez à vous faire peur ou quoi. Vous êtes ridicules.
Malik Frémion
14/06/2024 à 00:36
Ce commentaire a été refusé parce qu’il contrevient aux règles établies par la rédaction concernant les messages autorisés. Les commentaires sont modérés a priori : lus par l’équipe, ils ne sont acceptés qu'à condition de répondre à la Charte. Pour plus d’informations, consultez la rubrique dédiée.
Lilas.avril
14/06/2024 à 09:12
Sinon, il y a un très bon dossier dans Libé aujourd'hui sur Matzneff et consorts avec des enfants de 6 à 11 ans. Vous ne pourrez pas y échapper, c'est en une.
Team ActuaLitté
14/06/2024 à 09:13
Bonjour
L'équipe est sur le sujet. Merci !
Marie
14/06/2024 à 09:15
L'inanité des commentaires est affligeante." Le silence est d'or", pourquoi pas la plume??
Will I am
14/06/2024 à 10:46
Parce qu'elle sert à faire tomber les masques !
Marie
14/06/2024 à 09:21
Excuses, ma plume a "sprinté" : "Le silence est d'or", pourquoi pas celui de la plume??
Aurelien Terrassier
14/06/2024 à 10:12
C'est très bien que le monde culturel et littéraire se mobilise contre l'éventuelle arrivée de l'extrême droite au pouvoir qui m'inquiète beaucoup. La censure des auteurs et écrivains, l'arrêt de subventions à des associations pas seulement Lgbt mais aussi anti-racistes et humanitaires, interdiction à des mediatheques et bibliothèques de mettre à disposition des usagers des revues et livres engagés qui seraient "trop woke", ainsi que des menaces aussi qui pèse sur le métier de journalistes de terrain pour leurs enquêtes parfois périlleuse. Voilà à peu près tout ce que mettraient en œuvre l'extrême droite au pouvoir que ça soit Marine Le Pen ou Jordan Bardella. Et en dehors de ce qui se passent avec les gouvernements de Giorgia Meloni en Italie et de Victor Orban en Hongrie, il suffit rien qu'en France de voir les menaces sur la démocratie et la liberté d'expression et d'association dans les municipalités gérées par l'extrême droite. Tout ceci est évidemment documenté et cela fait froid dans le dos si l'extrême droite venait à gagner les élections le 7 juillet prochain.
Une traductrice
14/06/2024 à 14:10
Tout à fait d'accord avec vous. Je déplore le manque de courage des organisations du secteur du livre, qui devraient prendre clairement position contre le RN.
Porthos161
14/06/2024 à 12:00
Le Président déclare qu'il a ''travaillé comme un fou''. Je crains qu'il ne soit pas le seul à être dans cette pitoyable catégorie de travailleurs: ceux qui prennent les moulins à vent de leurs rêves pour de vrais menaces de première grandeur. Evidement, le fanatisme politique peut dévier le bon sens le plus élémentaire: ''Heureux les pauvres d'esprit...''