“Oui, on le savait. Mais personne n’a rien dit, surtout par peur”
Le 21 avril dernier, un article de Médiapart dévoilait les nombreux témoignages de professionnelles. Chacune pointait, dans ses relations, le responsable éditorial des éditions Bragelonne, Stéphane Marsan. Après la vague de révélations viennent les interrogations, les inquiétudes, les attentes. Adrien Tomas, auteur de fantasy, avait vivement réagi, et accepte de nous confier son texte. Le voici publié dans son intégralité.
Le 04/05/2021 à 11:32 par Auteur invité
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Publié le :
04/05/2021 à 11:32
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Oui, on le savait.
Même en tant que mec avec globalement zéro chance de subir quelque chose de sa part, je le savais. Pas tout. Beaucoup de choses dans l’article que je ne savais pas. Mais est-ce que je suis étonné, au final ?
Non.
Comme tout le monde, j’ai prévenu des autrices aspirantes et confirmées, en off. On en parlait avant le speed-dating des Imaginales, on en discutait en salons. On avait un peu honte de ne rien faire de plus.
On le savait. Les mecs aussi.
L’excuse « houlala je tombe des nues » ne marche pour personne dans le milieu SFFF [Ndlr : Science-Fiction, Fantasy, Fantastique]. Mais avant cet article, personne n’a rien dit. Par lâcheté, peut-être. Par égoïsme, pour ne pas se griller (Bragelonne est le Graal de beaucoup d’auteurs et d’autrices).
Mais surtout par peur.
Pas forcément peur de perdre sa chance ou ses bonnes relations directement avec Bragelonne. Mais parce que le milieu SFFF est petit, étriqué et, franchement, un peu consanguin.
Parce que s’attaquer à Goliath peut signifier avoir à affronter ensuite une armée entière. Tout le monde se connaît. Quand on se balade aux Utopiales ou aux Imaginales depuis plusieurs années, on reconnaît au moins 50 % des gens qu’on croise.
Et on ne sait pas tout à fait qui est pote avec qui, et surtout jusqu’à quel point. On ne sait pas si s’attaquer vraiment à un ponte, invité dans tous les salons, toutes les remises de prix, tous les cafés littéraires du milieu, ne nous blacklistera pas automatiquement.
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Je l’ai vu faire, pour des raisons bien moins graves, par certains festivals.
Vous voyez les menaces dont parle l’article, où les autrices craignent d’être blacklistées partout si elles remuent trop la vase ? Il n’est pas le seul à les avoir utilisées.
J’ai vu des auteurs et autrices ne plus être invités ici ou là pour avoir gueulé trop fort.
Le milieu SFFF est rempli de gens qui s’apprécient, se connaissent... et se protègent.
Quand un auteur est publiquement blacklisté pour avoir dit trop fort qu’un festival ne rémunérait pas les auteurs comme il le devrait, qui a pris sa défense ?
Quand une autrice nous raconte avoir subi des avances et des vannes lourdes, qui est allé confronter le fautif ?
Personne, ou presque.
Parce qu’on a peur. La carrière littéraire est fragile, et dans la SFFF plus encore. Tu es banni de deux ou trois festivals, ta tête ne revient pas au patron d’une grosse boîte de fantasy ? Tu as l’impression de pouvoir dire adieu à ta carrière en SFFF francophone.
À tort ou à raison.
J’ai connu des auteurs et autrices qui ont pu dépasser ces barrières... et d’autres qui ne sont jamais revenus dans le milieu.
On parle d’omerta, et on a raison. Ce sont mille anecdotes, mauvais comportements, petits secrets qui sont concernés et soigneusement enterrés par un milieu qui sait faire bloc. Et il a fallu un courage monumental à celles et ceux qui ont osé s’exprimer, anonymement ou non.
Alors oui, on avait besoin de cet article.
Lisez-le attentivement, regardez comme rien ou presque ne peut être individuellement qualifié au niveau judiciaire. C’est une anecdote, un errement, « ça va avec le personnage », chaque histoire peut être individuellement écartée.
Mais ensemble, elles peignent un portrait. Un comportement. Une réalité, vécue par bien trop d’autrices, d’éditrices, de traductrices et autres.
Notre milieu a besoin d’être assaini, et pour cela, il faut rappeler l’importance du rapport de force qui existe entre nous. Entre les auteurs et les éditeurs, les salons et festivals, qui peuvent avoir droit de vie ou de mort sur la carrière d’un auteur ou une autrice.
Pouvoir s’en foutre qu’un salon connu ne nous invite pas, ça demande d’être installé.
Pouvoir se permettre de savoir que même sans tel et tel gros éditeur qui ne nous aime pas, on pourra quand même espérer publier, ça demande une carrière déjà bien lancée. Et en SFFF, il n’y a pas grand-monde dans ce cas.
Moi aussi j’ai la trouille. Parce que depuis dix ans que je fais ce métier, j’ai eu le temps d’apprendre qu’élever la voix n’apporte pas grand-chose de bon à ta carrière.
SEXISME: l'édition face à ses responsabilités
« Attention, les gens parlent, si tu passes pour un chieur personne ne te publiera/t’invitera. » C’est comme ça que ça fonctionne. Et franchement, il est temps que ça change. Il est temps d’obtenir un rapport sain avec les autres acteurs de la chaîne du livre, indépendamment de leur importance dans tel ou tel milieu, SFFF compris.
Il est temps que le « lien humain » qu’on nous rabâche et qui sert d’excuse à tous les abus, toutes les exactions, tous les blacklistages « because you hurt my feelings » passe en arrière-plan.
On veut des rapports professionnels et sains. On veut être publiés et invités sur la base de la qualité artistique et littéraire de notre œuvre, ou même son potentiel commercial, pourquoi pas après tout ?
Juste, pas sur la profondeur d’un décolleté ou le fait qu’on sache rester à notre place.
De bons éditeurs, de bons salons existent et acceptent déjà ce fait. Il est temps de systématiser le processus.
Et cet article est une première pierre. J’espère sincèrement qu’il y en aura d’autres.
NDRL : ActuaLitté souligne que M. Marsan bénéficie pleinement de la présomption d’innocence, n’ayant par ailleurs, selon ses propres termes « jamais été mis en examen, gardé à vue ou fait l’objet d’une enquête judiciaire ».
mise à jour 19/05 - 17 h 10 :
L'avocat de Stéphane Marsan nous a fait parvenir le droit de réponse suivant :
Crédits photo : Rodrigo Curi/ Unsplash ; Anderson Rian/ Unsplash
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7 Commentaires
Ron Swanson
04/05/2021 à 15:47
Est-il vraiment judicieux de publier l'avis d'un auteur qui a publié chez Marsan il y a cinq mois à peine (Castelmore = Bragelonne) et qui vient expliquer qu'il a passé son temps à mettre en garde les autrices?
Est-ce qu'il n'y aurait pas une différence entre ne pas s'attaquer à Goliath par peur des représailles et carrément bosser pour lui?
Et aussi, super la délocalisation du débat, qui passe du harcèlement sexuel et sexiste par un gros ponte de l'édition aux rapports de force entre les éditeurs et les auteurs.
Franchement j'ai pas envie de blâmer les auteurs et autrices de chez Brage, tout le monde n'était pas au courant, mais au moins épargnez-nous les discours moralisateurs.
Lidago
04/05/2021 à 18:50
On peut comprendre quand les gens craignent de se retrouver au chômage et cèdent au chantage ou à l'omerta.
Mais disons-le franchement: être publié n'est pas une question d'argent mais de prestige et de reconnaissance sociale.
Ah, il est beau le milieu de l'imaginaire francophone!
LOL
05/05/2021 à 07:58
Où avez-vous lu qu'être publié est une question de prestige ? On bouffe comment quand on est auteur ? En prenant un boulot de caissière ?
Il faut arrêter de se voiler la face. En attaquant l'article, je me suis dit : encore un article où l'on va avoir une bonne pleureuse de son temps. Et là, miracle : le débat est RECENTRÉ !
Alors, merci. Oui, le fond du problème n'est pas le décolleté de madame ou la névrose de monsieur. C'est le fait qu'être auteur est un métier précaire, VOLONTAIREMENT précarisé. On n'a qu'un droit, comme souligne fort bien ce monsieur : fermer sa gueule.
À l'armée, il y avait une formule qui donne bien le ton : marche ou crève.
C'est cela la situation d'un auteur, bien indépendant de son sexe : avale tout ou casse-toi. T'as un contrat (quand on vous en offre un !), il n'est PAS négociable. Les clauses sont abusives (je dirais dans 90% des cas) : tant pis pour toi. Tu vas voir ailleurs si tu n'es pas content. Mais il n'y a pas d'ailleurs. Et puis, bouffer, ce n'est pas vraiment une option qu'on peut repousser ad libitum. Alors, l'éditeur, qui lui a un salaire, et chez les gros, un gros salaire, le sait bien.
Donc, oui, le problème est bien un problème de positionnement de l'auteur. Ça ne changerait sans doute pas grand-chose dans le cadre de pervers narcissiques, mais ça aurait le mérite de calmer les autres : curieusement, quand il y a un cadre fort, il y a moins de délinquance.
Maintenant, posez-vous la question : qui a intérêt à ce que cette situation perdure ?
Lida Gossou
04/05/2021 à 21:36
Puisqu'on en est au grand déballage, dites-nous tout: la maison d'édition en question n'avait-elle pas aussi tendance à oublier de payer ses auteurs?
C.C
04/05/2021 à 23:42
Si l'histoire est malheureuse, le comportement de certains n est pas des meilleurs.
Victime pour des regards trop appuyés ou des propos tenus par un porc. Une victime est une femme violés ou battue.
A ce train là toute femme se dit victime dans les rues.
Je remets pas en cause, je trouve juste le mot fort
Une chose est sur, Marsan ne devrait pas s'en tirer comme ça, seulement on ne condamne pas un porc pour "si peu" et c'est malheureux pour ça.
Ensuite le côté Jeanne d'arc de certaines "ont fou le feu à la boite" est ridicule. D'où je pense le manque d'empathie de la part du publique.
Et le côté moralisateur n est pas mieux.
C'est beau de craché dans la soupe une fois que l'on a vendu les légumes.
Je suis curieux de voir si les personne édités par Brag et qui font de si beau discourt vont mettre fin à leur contrat...
C'est vraiment mocheet bien triste cette histoire. J'espère qu'elle ne sera pas étouffé comme beaucoup d'autre.
tatou
14/05/2021 à 09:15
J'aime beaucoup l'expression "cracher dans la soupe après avoir vendu les légumes" et me demande si elle est de votre invention, pour ce qui est du deuxième terme ?
Il ne faudrait pas pour autant oublier que, par exemple dans le pot-au-feu, la partie riche, à tous points de vue, c'est le bouillon, et non les légumes, qui ont perdu beaucoup de leurs qualités nutritives par la longue cuisson qu'on leur inflige. Au point que dans les cuisines d'antan (sauf à le servir aux maîtres, ou aux malades), on conservait le bouillon (et ses yeux, cf le surveillant du Petit Nicolas) qui servait ad vitam, on presque.
Cabinet Pierrat & Associés - Droit de réponse de Stéphane MARSAN
12/05/2021 à 20:57
ActuaLitté a publié un article le 4 mai 2021 intitulé « Oui, on le savait. Mais personne n’a rien dit, surtout par peur» dans lequel je suis expressément visé et que je ne peux laisser sans réponse au regard des propos préjudiciables tenus.
Je tiens à récuser tous les faits qui me sont imputés et à réfuter formellement toutes prétendues accusations de harcèlement sexuel ou moral.
J’ai répondu aux prétendues accusations dans un droit de réponse publié dans son intégralité sur le site de MEDIAPART, la journaliste de MEDIAPART, a déclaré publiquement qu’a sa connaissance aucune plainte n’a été déposé ni avant ni après la publication de l’enquête.
Le 30 septembre 2020, j’ai déposé une plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation à la suite de la publication d’un article extrêmement contestable sur le site internet de Francetvinfo concernant l’édition française et ne donnant pas mon nom, mais aux allusions plus que contestables et erronées.
Votre article retranscrit des propos tenus par Adrien Tomas.
Il semble que la frontière entre une prétendue morale et le droit pénal soit parfois poreuse faisant régner une confusion intolérable.
Je tiens à rappeler que je bénéficie de la présomption d’innocence. Je n’ai jamais été mis en examen, gardé à vue ou fait l’objet d’une enquête judiciaire.
La propagation publique de rumeurs, particulièrement graves, à l’encontre d’hommes et de femmes accablés a des conséquences irréversibles telles que le suicide, à l’instar d’une affaire récente.
Je me réserve le droit d’intenter toute action à l’encontre de toute personne me portant directement ou indirectement atteinte afin de faire valoir mes droits par le biais de mes avocats.