Fluide Glacial chez Madrigall, même en rimes, ça ne sonnait bien pour personne. L'annonce d'une prise de participation majoritaire par le groupe Bamboo, spécialisé dans la bande dessinée d'humour, n'aura pas vraiment surpris. Yan Lindingre, rédacteur en chef du magazine, et Olivier Sulpice, scénariste BD et créateur de Bamboo, reviennent sur ce rapprochement et l'avenir de Fluide.
Olivier Sulpice (Bamboo) et Yan Lindingre (Fluide Glacial)
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Olivier Sulpice : Il s'agit d'une prise de participation majoritaire. Ce qui est très clair, c'est que la stratégie relève de ma responsabilité, mais j'ai des rendez-vous réguliers avec Gallimard, pour échanger sur des points divers et variés. À moins que je ne souhaite changer le siège social ou le nom de Fluide Glacial, ce qui n'est ni envisagé ni envisageable, ce qui se fait dans le magazine relève de ma responsabilité, sans aucun problème.
Olivier Sulpice : L'idée est de rester dans cette configuration, il n'y a pas à terme une prise à 100 % par Bamboo et il n'y a plus de possibilité de prise de position majoritaire à présent. J'ai souhaité que Madrigall reste dans le montage, car il y a des gens de grande valeur chez eux et c'est toujours intéressant pour moi de m'appuyer sur eux ou d'échanger avec eux.
Yan Lindingre : Fluide Glacial était dans la corbeille de la mariée quand Madrigall a racheté Flammarion : on leur a dit le lendemain, « Vous oubliez ce truc, là... » Ce n'était pas la culture d'Antoine Gallimard, mais il a été un très bon actionnaire pour une maison comme la nôtre qui était en difficulté il y a 4 ans, et nous n'avons jamais eu le moindre mail ou coup de fil pour intervenir sur l'éditorial...
D'ailleurs, nous avions fait un numéro de Fluide spécial littérature. J'y avais réalisé un supplément dans lequel je pompais la collection blanche de Gallimard, avec des pastiches de best-sellers. Il avait demandé à Thierry Capot, notre directeur général, si nous allions refaire des pastiches tous les mois, preuve qu'il nous lisait... En réalité, j'avais testé mon actionnaire, pour voir s'il avait de l'humour et pour prouver aux auteurs que nous avions le champ libre. Pendant quatre ans, nous avons eu de l'argent et une paix royale.
Yan Lindingre : Pour faire simple, Gallimard est un très gros groupe, avec une inertie importante, une règle du jeu un peu dure à jouer pour nous. Quand on appartient à un groupe de gré ou de force, il y a des prestations à payer, et à la fin de l'année, on retrouvait un peu de l'argent qu'on avait versé les mois précédents.
Quelque part, les dirigeants ont bien vu que nous étions une trop petite boîte, avec des problématiques trop spécifiques pour ce porte-avions qu'est Gallimard. C'est intelligent de leur part de réfléchir à un partenaire plus adapté pour Fluide Glacial.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Olivier Sulpice : Madrigall a vu très peu de personnes en réalité. Je connais le directeur général adjoint, arrivé en début d'année, depuis une quinzaine d'années, et je lui avais dit en forme de boutade au moment du rachat de Flammarion par Madrigall que Fluide m'intéresserait à l'occasion... Nous en avons reparlé vers mars-avril, des années plus tard donc, et cela s'est fait assez rapidement, avec une implication des équipes très tôt. Une prise de participation majoritaire se fait rarement aussi rapidement.
Yan Lindingre : On va dire que le journal avait été un peu maltraité. Il y avait eu une grosse erreur de casting sur mon prédécesseur, un drôle de faisan qui a disparu dans la nature. Le journal était en roue libre, c'est comme cela que je me suis retrouvé rédac chef, parce que je faisais partie des auteurs qui ont créé le comité de rédaction. C'était urgent : tous nos confrères, les canards de bande dessinée adulte comme À suivre, Pilote et les autres, ont disparu en quelques numéros, l'équilibre est très précaire.
J'ai fait partie du premier comité de rédaction, mais la plupart des autres collègues n'avaient pas envie de se lancer dans cette gestion. Moi, j'y ai pris beaucoup de plaisir : il y avait tout à faire et on me foutait une paix royale : comme nous étions vraiment mal, les auteurs ne m'ont pas compliqué la tâche.
Je me suis proposé pour être embauché directement par Teresa Cremisi, qui m'a fait confiance malgré les défections de Margerin, la démotivation de Binet, les départs de Coyote ou Maëster, qui étaient des piliers financiers du journal.
Yan Lindingre : C'était l'époque où Goossens était assez prolifique, Édika également, j'avais quand même quelques rendez-vous historiques sur lesquels m'appuyer. Les numéros suivants ont été faits d'expérimentations, sans grande série, mais c'est là que j'ai pu ouvrir la porte à Salch, Texier, des auteurs comme ceux-là...
Yan Lindingre avec Timothée Ostermann et Camille Burger au Festival Le Livre à Metz 2016
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
J'ai essayé aussi de rendre le journal un peu plus grand public : des dessinateurs comme Goossens m'ont proposé de remettre des épées, des mecs qui font du « beau dessin », même si ma conception derrière ce terme est toute relative. Cela a mis beaucoup de temps, mais à présent, le journal a retrouvé une personnalité et de vraies séries, et je veux que ces séries fassent des livres qui se vendent un tantinet.
Yan Lindingre : La crise de la presse remonte environ à 2008 : Fluide est resté sur une inertie pendant un an ou deux, sans morfler comme la presse généraliste, et tout d'un coup ça a plongé. Un journal sans direction en pleine crise de la presse, ça ne pouvait pas conduire à autre chose qu'aux chutes du Niagara.
Quand nous avons repris les affaires en main, les ventes ont un peu repris, la nouvelle formule il y a 3 ans avec la hausse de prix d'un euro, nous n'avons pas perdu de lecteurs, mais depuis nous faisons face à une érosion de 6 % par an, ce qui nous fait atterrir en ce moment à environ 25.000 ventes au numéro et 18.000 abonnés. Sur les deux mois d'été, nous arrivons aux alentours de 60.000 numéros tout compris.
Nous avions une politique de 4 hors série par an, mais nous essayons de penser un peu mieux notre politique en la matière avec des thèmes plus bankables, comme les États-Unis récemment. Fluide Glacial tournait traditionnellement le dos à tout ce qui concernait l'actualité, nous essayons désormais de ne pas être totalement ignorants de l'actu sur les hors séries. Pour les numéros, nous pouvons faire un peu d'actu, comme pour la Coupe du monde, mais 25 pages sur 84, ce n'est pas énorme non plus. De toute façon, nous savons bien que le lecteur de Fluide a envie de se divertir : la politique, par exemple, c'est zéro dans Fluide, car on perd le lecteur.
Par contre, en fin d'année, on fête les 20 ans de la mort de Franquin et on fait un super gros hors série avec des interviews inédites sur Idées noires, des hommages... Nous travaillons sur une actu qui n'est peut-être pas joyeuse, mais que nous avons reconvertie en 40 ans d'Idées noires. Sur la politique éditoriale, pour les hors série, nous allons être plus logiques, un peu plus dans notre époque. Ce qui nous permet de faire des pics comme avec le hors série Bidochon de l'année passée.
Le nombre de kiosques fermant à vitesse grand V, nous devons mener une bataille sur le terrain du nombre d'abonnés avec de la location de fichiers, notamment. C'est notre grand chantier presse, parallèlement à une nouvelle formule. La formule numérique n'a pas de modèle économique pour nous : c'est dur de lire de la BD sur un téléphone, il faut donc que le papier résiste. Nous sommes sur une ligne de flottaison correcte, mais ce n'est pas avec la presse que nous allons nous développer, c'est avec l'édition. C'est pour ça que c'est intéressant d'être avec une maison proche de nos questionnements, et qui développe sa diffusion.
Pour les livres, nous sommes sur des ventes un peu faibles pour pas mal d'entre eux, entre 3000 et 4000, et si, en ayant notre propre diffusion, nous pouvions multiplier les chiffres par deux, ce serait déjà bien.
Yan Lindingre : Je suis arrivé à ma limite de compétences, en quelque sorte, sur la manière d'emmener le projet jusqu'au bout, et je suis très frustré, il y a une partie de la chaîne que je ne maîtrise pas. Je ne crache pas sur la diffusion Flammarion, mais elle a 15 boîtes sur le dos et une structure comme la nôtre, en plein renouvellement, ne constitue pas une priorité. Sur beaucoup d'albums que j'ai portés depuis longtemps, nous aboutissions parfois sur un dialogue de sourds.
Olivier Sulpice : Lorsque j'ai commencé Bamboo, et qu'un livre ne se vendait pas, je le prenais pour moi. Ensuite, j'ai réalisé que si le livre a été posé comme il faut, si les auteurs ont fait le travail, si tout a été fait comme il faut, et que le livre ne se vend pas malgré tout, tant pis, c'est le jeu, il n'y a pas de regret. Ce qui n'était pas le cas pour Fluide Glacial : il faut que le travail éditorial, de fabrication de marketing, de diffusion soit bien fait.
C'est ce que Gallimard a analysé, et c'est la raison pour laquelle ils veulent simplifier la chaîne pour Fluide Glacial, pour un temps de réaction beaucoup plus rapide.
Je connais par cœur les remarques sur l'humour qui ne se vend pas, sur la BD d'humour qui ne fonctionne plus. Je ne peux pas entendre ce discours-là. J'ai entendu les critiques selon lesquelles Bamboo, c'est de l'humour de supermarché, mais je demande à certains de lire d'autres albums pour se rendre que ce n'est pas que ça. C'est ce que je trouve intéressant, maîtriser la diffusion de différents bouquins qui peuvent toucher du plus petit au plus vieux.
Pour la diffusion, nous avons un accord qui fait que dans l'année à venir, elle passera chez Bamboo Diffusion, mais nous le ferons lorsque nous pourrons le faire techniquement. La distribution restera chez UD, et la diffusion se fera chez Bamboo.
Olivier Sulpice : Il nous faut une bonne année avant Bamboo Diffusion. Nous restons chez UD distribution pour Fluide, nous le ferons lorsque les commerciaux sauront le faire. Car cela signifie deux outils différents, puisque Hachette se charge de Bamboo. Nous le ferons dans 8 mois ou dans un an, mais quand nous serons sûrs que nous ferons du bon boulot. Le magazine restera chez Presstalis.
La structure est créée, nous avons embauché une dizaine de personnes, nous avons 8 commerciaux qui se partagent la France pour les supermarchés et les librairies de premier niveau (librairies, espaces culturels, Fnac ou autres) et qui ont démarré depuis 1er octobre ou 1er novembre. L'idée est qu'ils diffusent à chaque visite une quarantaine d'albums au lieu des 200 qu'ils peuvent se faire ailleurs.
J'étais très content du travail de Delsol pour la librairie et de Hachette pour les hypers, mais on arrive à un plafond à un moment donné et qu'il faut changer. Créer ma propre diffusion pour mieux maîtriser les choses me trottait dans la tête depuis 2 ou 3 ans, et avec les 20 ans de la maison, j'ai décidé de me lancer. La diffusion, par contre, ne sera pas là pour diffuser d'autres éditeurs, elle reste là pour servir au mieux les éditeurs du groupe.
Si l'on va voir un libraire avec un mois un Bidochon, un autre mois un Prof, un autre mois un titre comme L'adoption, nous avons une actualité forte. Les centrales, les libraires nous ont bien reçus malgré la perspective d'avoir un commercial de plus. L'avantage, c'est que nos commerciaux peuvent présenter nos titres en une vingtaine de minutes, on peut même se permettre d'y aller sans rendez-vous. Nous serons aussi plus vigilants sur la mise en place et les réassorts : si un titre commence à bouger, les commerciaux pourront l'appuyer plus rapidement et efficacement qu'un diffuseur classique avec beaucoup de titres. La réponse à cette stratégie sera dans un ou deux ans.
Olivier Sulpice : On verra. Il y a aussi de la croissance interne : avec notre propre diffusion, des auteurs relativement importants nous ont appelés en manifestant leur intérêt. Auprès des auteurs, le fait d'avoir sa diffusion permet aussi de s'engager, je serai le responsable direct. Nous travaillons aussi l'audiovisuel, avec 6 ou 8 séries à la télé ou au cinéma, en options. Je tiens à ce qu'un auteur qui signe chez nous ou chez Fluide ait au moins aussi bien que chez les plus gros éditeurs en termes de suivi et de potentialité.
Bamboo n'a pas l'image qu'un Fluide a... Dargaud, pour un même bouquin, est plus puissant que Grand Angle, avec un effet plus prestigieux. Nous avons encore à travailler là-dessus. Chez Bamboo, sur l'humour, nous sommes plutôt bien : quand on demande au libraire une bande dessinée parce que son gamin fait du sport, il va penser à Bamboo en premier.
Il faut que Bamboo reste populaire, c'est ma culture, que cela reste sincère. Même en humour, on me le dit : les Sisters, ce sont les filles du dessinateur. On aime ou on n'aime pas, mais on prend du temps pour faire les livres, et ils sont bien faits, rien n'est créé en deux mois pour profiter d'une opportunité, quelque chose comme cela. C'est pour cela que je m'entoure bien.
Olivier Sulpice : Exactement : j'aime bien avoir des auteurs, travailler avec eux, j'en suis moi-même un, parce que je trouve que lorsque l'on donne des conseils, c'est bien d'avoir prouvé qu'on sait le faire, aussi. C'était comme avec mes profs : j'avais un prof de vente qui avait 25 ans et n'avait jamais vendu, il n'avait jamais fait ce métier. Pour que je puisse respecter quelqu'un, il faut qu'il ait fait des choses, que j'aime ou que je n'aime pas d'ailleurs.
Yan Lindingre : J'ai commencé à parler aux rédacteurs, je comprends que cela pêche un peu au niveau du rédactionnel, il y a des choses qui se marchent sur les pieds, pas très lisibles... À l'inverse, quand les mêmes rédacteurs se lâchent un peu dans les hors séries, j'ai de très bons retours. Je veux avoir une discussion avec eux pour que nous valorisions ce que nous faisons de mieux. Il faut surtout mieux communiquer au sein de la rédaction : j'ai hérité d'un canard où les gens étaient bien en place avec leur pré carré, avec des envois à distance, un peu pépères...
Je les adore tous, mais je sais aussi que certains trucs passent au-dessus de la tête des lecteurs. Je prenais l'exemple de Leandri, avec ses chroniques où il décortiquait un fait scientifique ou historique de manière poilante et documentée à la fois. Il s'était créé un lectorat, celui de l'Encyclopédie du Dérisoire, mais à tel point que lorsqu'il écrivait une nouvelle, il était lu par ces mêmes gens, parce qu'il savait les emmener. Les pages de rédactionnel ont un vrai potentiel pour ferrer les lecteurs et les conduire à quelque chose de plus complexe. Je ne veux pas faire de l'autosatisfaction, mais au bout de 4 ans, la partie bande dessinée, je sens que quelque chose émerge. C'est la partie rédactionnelle qui cimentera le tout et qui va donner lieu à une nouvelle maquette : je veux partir du contenu avant d'arriver à la forme.
Yan Lindingre (Fluide Glacial) et Olivier Sulpice (Bamboo)
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Yan Lindingre : C'est quelque chose que j'ai voulu casser en arrivant : avoir systématiquement la carotte des 44 pages de publication dans le journal pour avoir l'album à la fin — avec des planches déjà payées —, c'est quelque chose qui ne fonctionnait pas toujours. Inversement, j'ai dit aux auteurs de se réserver des récréations : faire quelque chose de différent tous les mois, et si l'on sent que ça prend sur la longueur, on y va. La formule, qui est encore un peu la marque de fabrique de Fluide, existe encore sur certains albums, mais sur d'autres, on va directement sur une histoire plus longue, qui pourra être compartimentée pour en donner un peu sur la presse, mais ne sera pas intégralement prépubliée.
L'objectif, c'est devenir une vraie maison d'édition, qui existe parce que des gens les achètent dans les librairies et non pas parce qu'ils ont été financés par le magazine, c'est le monde à l'envers.
Olivier Sulpice : Chez Bamboo, nous cherchons souvent des prépublications ou des postpublications tout en parlant du livre. Là, ce qui est génial, c'est qu'il y aura, dans tous les cas, du rédactionnel le mois de la sortie dans Fluide, sans qu'une publication tous les mois soit obligatoire.
Olivier Sulpice : Il y a eu du renouvellement, et la porte est ouverte à de nouveaux auteurs.
Yan Lindingre : Nous avons fait dernièrement quelques OVNIs, comme L'Encyclopedie des Inventions Stupides, complètement hors des clous par rapport à Fluide, il s'agit d'un one shot avec Annie Pastor, une auteure qui vient de chez Hugo et Cie, qui avait fait Les pubs que vous ne verrez plus jamais. Pour moi, c'est de l'humour, nous savions faire un beau livre, nous lui avons donc proposé. Nous en avons publié un peu dans le magazine pour annoncer le livre, mais sans qu'elle soit directement rattachée à celui-ci. On a aussi fait un livre d'humour avec Gus Kervern et Lefred-Thouron, Devenir riche sans effort avec la méthode du professeur Kervern, rien à voir avec le magazine.
Ce ne sera jamais le cœur de métier de Fluide, mais il fallait, en tant qu'éditeur, tenter notre chance sur le terrain, y compris avec les livres d'humour qui ne sont pas de la bande dessinée. Au bout de 4 ans, je peux dire que nous avons tenté beaucoup de choses, avec l'expérience, à présent, des choses qu'il ne faut plus faire.
Avec cette liberté que nous a offerte Gallimard, nous nous sommes permis des choses extraordinaires comme L'histoire agitée de la presse satirique de Romain Dutreix et Toma Bletner, sur un format dingue, ou Les Grands succès du cinéma introuvable de Dylan Pelot. Avec Bamboo, nous sommes d'accord sur le fait que nous allons standardiser nos formats.
Olivier Sulpice : Pour moi, il y avait trop de formats. Il en faut un classique, un plus grand, peut-être un pour les intégrales, et de temps en temps un format spécial. Je ne suis pas contre les expérimentations, mais les lecteurs aiment avoir les bouquins à la même taille dans leur bibliothèque.
Olivier Sulpice : J'aime ça, par exemple, s'il faut en refaire d'autres...
Yan Lindingre : J'ai Lu était notre voisin de palier dans le grand immeuble Flammarion, et j'ai toujours été curieux d'aller voir ce qui se passait ailleurs. Nous étions un peu les débiles du coin, nous échangions peu au départ. Dès que je suis devenu rédac chef, je distribuais quelques numéros aux gens qui le souhaitaient : petit à petit, des liens se sont créés et nous avons parlé de projet en commun.
Et un jour J'ai Lu nous a proposé de faire quelque chose ensemble autour de La femme parfaite est une connasse, qui avait déjà dépassé le million de ventes. J'ai essayé avec deux dessinateurs avant, j'étais persuadé que Margot nous dirait non, finalement elle a accepté et ce projet s'est passé comme une histoire de voisin de palier.
Nous sommes passés à deux doigts de faire une adaptation de Houellebecq, par exemple, Les Particules élémentaires ou Plateforme, je ne me souviens plus duquel mais je voyais bien comment tourner certains passages de manière relativement humoristique.
Olivier Sulpice : Fluide reste un nom magique, et je pense qu'il y a moyen d'aller chercher des trucs qui sortent de l'ordinaire. Poelvoorde est un fan absolu de Goossens par exemple, quand bien même ce dernier n'est pas très connu du grand public.
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Yan Lindingre : Avec Salch, certains bondissent en estimant que cela ne fait pas partie de Fluide. Ceux qui se prétendent être les premiers lecteurs de Fluide me disent que ce n'est plus le magazine qu'ils ont connu, et je les mets au défi de me montrer le fameux Fluide de leurs fantasmes où tout était clean, bien dessiné, drôle. À chaque époque de Fluide, il y a eu des fous, des auteurs plus commerciaux, d'autres plus barrés...
L'ADN de Fluide, c'est de respirer ce qu'est l'humour français, avec la chance que nous avons en France d'avoir un humour éclectique : l'anglais est non sense, l'italien est commedia dell'arte, les Nordiques sont pince-sans-rire... Fluide doit respirer ces différents types d'humour. J'en ai un peu marre qu'on me dise : « Fluide, je lisais quand j'avais 16 ans, j'adorais... » J'aimerais vraiment faire revenir ces lecteurs au Fluide actuel, avec ces auteurs qui reflètent leur époque et ne racontent pas les années 70 sans cesse.
Riad Sattouf [auteur de Pascal Brutal dans les pages de Fluide, NdR] est parti faire son Arabe du Futur, mais Charles Berberian va revenir avec une histoire du Moyen-Orient qui sera passionnante, avec de l'humour, de l'élégance... C'est ça qui est bien : des auteurs assez bankables reviennent parce qu'ils sentent que nous allons bien travailler les titres. Longtemps, on venait chez Fluide pour s'amuser et vivre l'ambiance des bouclages, tandis que les bouquins passaient un peu à la loterie : 2 fois sur 3, c'était le pilon... Là je sens qu'on peut les regarder dans les yeux et leur garantir un travail sérieux derrière. Berberian a 50 ans et quelques, il a vu des dizaines d'éditeurs, et il sait aussi que c'est un travail de commerçant, sur le terrain.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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