Le 31/05/2016 à 12:11 par Joséphine Leroy
Publié le :
31/05/2016 à 12:11
« C’est un site littéraire ? Il faut que j’aie l’air intelligent ? J’ai un livre sur moi là... Mort à crédit. Je ne lis pas beaucoup, mais je suis pour les livres ! » Ouf. Il ne manque pas d'humour sur lui-même celui qui se plaît à traduire des tics, des habitudes, des petits détails symptomatiques de notre époque. Il fût un temps où il y avait Les Caractères de La Bruyère, maintenant il y a le Lookbook de Salch, plusieurs petits croquis où l'on peut retrouver un ami ou une connaissance et se dire que c'est exactement ça.
C'est ce “c'est ça” que Salch recherche. « Si c’est un look de la rue qui se répète, je le capte instantanément. J’ai toujours observé les looks. Avant, je bossais dans la mode. C’est sûrement lié...» Déjà Salch suscite l'étonnement. Lui, l'impitoyable, dans la mode ? Une mode, une ressemblance entre des looks, et Salch pense à la suite, à la traduction en images, et au sens général que cela pourrait signifier. « L’autre fois, je marchais dans la rue, et il y avait des petites meufs qui passaient et j’ai repéré qu’elles avaient toutes les deux genous troués. Pas un, les deux ! Et un sac à main pour faire dame. Ca m’a fait marrer le côté Madame. »
Parfois, l'obsession le gagne. Dans un trajet du RER, il arrive au dessinateur de ne penser qu'à dessiner ce qu'il voit : « Dans tous mes moments de pause, entre deux trajets, je peux ne penser qu'à ça. Puis, je rentre et je dessine tout ce qui m'est venu ». Et si tout va vite et que les modes passent, le dessin permet de figer les choses : « Le LookBook, c’est comme le zapping. Un an après, on retrouve le look intact. » Une rapidité propre au net et qui passe aussi dans les commentaires, qui fusent de tous côtés. « Quand les gens s’excitent, il faut laisser faire. Éloge comme critique, je suis plutôt distant par rapport à tout ça. Internet, c’est souvent des réactions extrêmes. Y’a qu’à voir comment les gens se parlent. Ces gens-là, tu les vois dans le métro et en fait ils pianottent. C’est Dr. Jekyll et Mr. Hyde. »
Et quand on lui pose la question de savoir comment il se positionne par rapport à cette tendance actuelle à se créer un double colérique, que l'on soit auteur BD ou youtubeur (Marsault ou Bonjour Tristesse, par exemple), le dessinateur répond qu'il n'est pas dans cet esprit-là : « Moi, en vérité, je ne suis pas en colère, même si mon langage est direct. C’est juste la liberté de pouvoir tailler. Mais faut pas tomber dans le truc corbeau genre “Méfiez-vous, je vais vous dessiner.” Avec le format bouquin, on a une vision d'ensemble », plus juste dans la remise en perspective.
Quand on demande à Salch quelles sont ses références BD, il ne se cache pas derrière des noms originaux et avoue de but en blanc que ce sont celles de tout le monde : « Je vais pas faire semblant. Mes références c’est vraiment Gotlib, Reiser, Joe Matt, Vuillemin. Que je connais maintenant, je suis super content. Je le lisais môme. Je fais vraiment ce que je voulais faire. C’est comme si moi j’étais un filtre et que je pouvais faire tout ce que je veux, je ne m’interdis rien. Je ne vais pas m’enfermer dans le délire bête et méchant. Les gens ne connaissent que ça pour le moment, mais tant mieux, ça me fait de la pub. »
L'occasion de dire que les critiques sur sa promo ou sur le format de ses dessins l'indiffèrent, et qu'il assume de vouloir commercialiser le Lookbook : « C’est toujours extrême. Je fais un travail qui mérite salaire. L’argent ca permet de faire des choses. C’est normal, quand un truc marche, ça suscite des jalousies. Comme dans la musique, quand on dit que le premier album c’est toujours bien et que les suivants sont automatiquement décevants. »
Qu'est-ce qui l'a poussé vers la BD ? Un divorce. « J’étais marié. Bah tiens, une référence littéraire, c’est pas moi qui l’aie sortie mais c’est la caverne de Platon. Le mec qui découvre la vie à 40 ans. J’étais pas complètement neuneu mais j’étais enfermé. Le fait d’avoir refait ma vie à zéro, c’est cool. Quand t’es marié, t’es congelé. » Mais, en fait, c'est toutes les mésaventures qui inspirent Salch : « Quand il m’arrive une galère je le transforme en truc créatif. J’avais fait de la merde en 1998 et j’en ai fait une BD. Je me suis bien défoncé moi-même alors à un moment je me suis dit que j’allais retourner la caméra et que j’allais défoncer les autres. » À ce sujet, il faut lire Les Meufs Cool, BD où Salch se « défonce » et s'amoche pas mal.
Justement, en termes de musique, Salch dit aimer la franchise du hip-hop et du rap, surtout ceux des années 1980 ou 1990. Dans les années 1990, les milieux de la BD, du graff et du hip-hop se sont percutés et la convergence entre ces différents arts a donné plusieurs collaborations fructueuses. Salch lui-même avait collaboré avec une BD consacrée au hip-hop, qui n'a duré que 3 numéros, mais qui a été une expérience enrichissante, avec des rencontres solides : « Mon truc c’est d’abord la BD, et notamment cette BD hip-hop. J’avais commencé à écouter les trucs des années 1980 comme la funk, la soul. Puis j’ai découvert le hip-hop et le rap en 1991. Actuellement, j’écoute pas trop. J’ai vieilli. Mais je suis pote depuis cette époque avec El Diablo [créateur des Lascars, NdR], c’est avec lui qu’on a fait le magazine. Y’avait les PCP à l’époque [Les Petits Cons de Peintres, un groupe influent dans le graffiti, NdR]. Ca a duré trois numéros. J’adore le graffiti, la danse hip-hop même.»
Pour Salch, il n'y a aucune honte à aimer la culture mainstream, et lui-même revendique ces goûts-là. D'ailleurs, qu'on le reprenne et qu'on fasse des buzz sur ses dessins, c'est plutôt drôle, surtout quand celui qu'il écoutait jeune rentre dans ce jeu. La tristement fameuse prise de bec entre Joey Starr et Cyril Hanouna lui avait fait de la pub, puisque l'ex-rappeur de NTM avait posté la caricature de Cyril Hanouna sur ses réseaux sociaux, suscitant de vives réactions.
Mais alors pourquoi se cacher derrière la caricature ? Il ne s'agit pas de se cacher mais plutôt de cultiver la discrétion. Plutôt que de s'inscrire dans la lignée des caricaturistes, il a préféré garder son nom mais ne pas trop se montrer : « J’avais du mal à avoir un pseudo à l'époque, ils étaient toujours foireux ! » Le modèle en termes d'image, c'est Daft Punk : « J’aime bien les Daft Punk. Ils font ce qu’ils veulent, ils se cachent avec une autre identité. Quand je me dessine, je me fais moi-même un masque, avec un nez hyper allongé. J’aime bien cette idée de masque. C'est comme le film The Mask. En fait, j’aime bien l’idée de cacher. »
#carousel#
Sur le climat actuel, le dessinateur prend ses distances, même s'il adhère, au fond, aux mouvements citoyens : « Nuit Debout, ça ne me laisse pas froid. C’est plus de démocratie. La vraie démocratie doit être dans la rue, pas être verrouillée. Pour ça, c’est bien. Mais j’ai fait un dessin pour me moquer, parce qu'il faut se moquer aussi. J’ai fait le dessin sur une impression. C’est injuste, mais c'est mon truc. On pourra me dire que je suis pas informé parce que j’y vais pas mais c’est comme quand tu racontes un voyage et que t’y es pas allé. C’est risqué. » Ce qui branche Salch, c'est la caricature « injuste », comme il le dit lui-même, autrement dit que les gens qui n'ont rien demandé soient quand même servis.
En parlant d'injustice, quand on lui demande pourquoi il avait caricaturé un vendeur de la Fnac de Rosny 2, il explique que le Fnac n'avait pas mis en vente son bouquin « parce qu'il y avait des gros mots », selon les mots que lui a rapporté le vendeur à qui il avait demandé pourquoi le LookBook n'était pas disponible. Le lendemain, Salch postait sur son Facebook des caricatures du vendeur et de la responsable de rayon en question. Après malentendu, le LookBook a été de nouveau mis en vente. « J'avais déjà fait un dessin sur une meuf qui traîne à Rosny 2. En fait,Rosny 2, c’est le symbole du commerce, de la société de consommation, de l’emmerde, la seule distraction qui reste pour certains. »
Le dessinateur l'avoue. Il ne lit pas beaucoup. Ni BD, ni roman. Mais, promis, il se remet à lire : « Je lis Bukowski. On m’a dit que je devrais aimé. Et c'est vrai. À un moment donné, un personnage déplace un corps et il dit “un éclair de chair“. J’aime bien les formules qui claquent, le style. J’ai adoré Les Ritals de Cavanna. Au même moment, à l'école, on nous faisait lire La Gloire de mon père. C’était chiant. Quand j’ai lu Les Ritals en même temps, j’ai trouvé ça plus drôle, plus piquant. J’aime bien que ce soit direct. » Pas les détours. Il lit volontiers « quelque chose de volontaire, brut, qui agresse, qui reste ».
Ses projets ? Ses amis disent que l'un d'entre eux est beaucoup plus littéraire que ce qu'il a fait jusqu'à présent. « Je fais une BD qui s’appelle À même le sol. C’est une BD sous forme de plan fixe. C’est la chaussette que j’aurais oublié par terre qui s’exprime. La chaussette peut se mettre à rêver. Ca fait penser au film Johnny s’en-va-t-en-guerre[adapté du roman de Dalton Trumbo et réalisé par lui, NdR]. Là, je vais plus parler de mon inconscient, de mes rêves psychédéliques. Je commence la page et je sais pas où j’arrive. Et puis je retombe toujours sur mes pattes, comme un chat. »
Bientôt le Goncourt pour la chaussette ?
Pour le moment, le LookBook est à retrouver aux éditions Fluide Glacial et Les Meufs Cool aux éditions Les Rêveurs.
Commenter cet article