ENTRETIEN – À l’origine de Bookwitty cohabitent deux visions : celle du libraire, dont le métier est connu, et l’idée de vendre des ouvrages étonnants. Depuis l’été 2006, alors qu’ils étaient tous deux bloqués à Paris, Cyril Hadji-Thomas et Sany Naufal, ont travaillé leur projet. « Il y avait une opportunité à creuser autour de la vente en ligne », précise le premier. Une opportunité aujourd’hui concrétisée.
Le 19/06/2017 à 16:22 par Nicolas Gary
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19/06/2017 à 16:22
En 2006, le conflit israélo-libanais battait encore son plein : ce conflit, considéré comme la Seconde guerre du Liban ne s’achèverait que le 14 août. Mais les cofondateurs de Bookwitty, coincés malgré eux à Paris à cause de cette guerre, s’intéressent alors à un modèle de vente en ligne qui voit très grand.
Cyril Hadji-Thomas : Dans le monde, seulement 2 % des livres sont référencés et vendus régulièrement. En 2006 les gros libraires en ligne qui référençaient tous ces produits ont arrêté de les pousser pour se concentrer sur les best-sellers qu’ils pouvaient livrer gratuitement et immédiatement.
On abandonnait alors le schéma de la longue traîne, au profit d’un service rapide. Pour nous, il fallait trouver un principe de collaboration pour que les médias trouvent des sources alternatives de revenus à la publicité, tout en parvenant à opérer une recommandation ayant une véritable pertinence contextuelle.
Dix ans plus tard, nous y sommes : la société familiale s’est articulée autour de ce projet d’avenir, porté par la diffusion et la distribution du livre. Notre plateforme, à ce jour, permet de proposer une diversité de livres en interagissant avec les lecteurs du mieux possible.
Cyril Hadji-Thomas : Nous apportons aux lecteurs le plus de richesse d’offre possible, à travers deux solutions. La première est un outil opérationnel, par lequel nous accédons à l’ensemble des livres, partout dans le monde, tout en répondant aux problèmes de distribution. L’autre, c’est la faculté de présenter le bon livre, au bon endroit, au bon moment. On parle ici de site de e-commerce, de librairies ou de médias.
Bookwitty est ainsi devenu une plateforme qui produit des contenus que les autres médias ne réalisent pas. Notre perspective est toujours de trouver la solution de recommandation la plus pertinente.
Nous sortons ainsi de la logique de recommandation fondée sur l’historique de navigation et de vente d’un utilisateur – les logiques de profiling traditionnelles. La recommandation prend ainsi le pas sur les questions de disponibilité. On s’intéresse moins au contexte dans lequel faire une offre de livre, qu’à un profil – homme/femme, acheteur de machines à café, amatrice de chaussures, etc.
Si on veut offrir au lecteur une plus grande diversité d’ouvrages et le motiver à lire des ouvrages susceptibles de l’intéresser, on doit lui présenter d’autres choix et non pas toujours les mêmes types d’ouvrages des mêmes auteurs qu’il vient de lire. L’erreur vient de là : pour le livre, la répétitivité d’un message n’est pas un critère incitatif à la consommation.
Avec, toutefois, certains critères persistants : la langue parlée, l’âge, et quelques autres éléments. Mais un bon libraire n’a besoin que de ces données.
Cyril Hadji-Thomas : Nous disposons de notre propre infrastructure, ainsi que d’un réseau de livraison. Bookwitty possède ses propres entrepôts et collabore avec des dizaines de partenaires. Notre force, c’est d’être les meilleurs dans les zones mal desservies traditionnellement.
Pour l’heure, nous traitons entre 15 et 20 000 commandes par jour en entrepôt, que ce soit aux USA, au Royaume-Uni, au Liban, en France et en Côte d’Ivoire. Les deux premiers lieux de stockage furent anglo-saxons, parce qu’ils nous permettaient de prendre place sur des marchés d’importance. Ce sont des hubs qui favorisent l’import ou l’export à destination d’autres marchés locaux. Et nous desservons 149 destinations. Et puis, nous stockons aussi des livres pour des libraires ou les vendons en leur nom.
Cyril Hadji-Thomas : Même si nous ne sommes pas opérationnellement obligé de passer par les librairies nous pensons que le marché, lui en a besoin. Il est facile de travailler la désintermédiation, destructrice, finalement, de valeur. En revanche, une librairie est essentielle pour la longue traîne.
Une librairie, c’est un animateur culturel local, qui contribue par sa présence à la croissance d’un marché. Bookwitty cherche donc à s’intégrer dans la chaîne de valeur, et renforce son positionnement en aidant les libraires à se focaliser sur leur métier.
Plus généralement, notre offre est triple pour eux. D’abord, nous avons un accord avec Tite-Live. Nous passons des commandes par leur biais pour des clients. Mais globalement, le marché local n’est pas très important. Ensuite, les libraires peuvent commander depuis chez nous – 26 millions de références – pour enrichir leur propre catalogue.
Enfin, nous avons des modèles de marque blanche pour ceux qui ne possèdent pas de solutions de e-commerce. Cela encouragé par des outils spécifiques, et dans ce cas, tout est géré par notre biais : les libraires n’ont plus qu’à se charger de produire des contenus et de la valeur, sous la forme de recommandations.
Cyril Hadji-Thomas : C’était notre objectif : trouver une manière d’augmenter un marché global. Aujourd’hui, les lecteurs peuvent se détourner de l’offre, simplement parce qu’on ne leur propose pas les livres qu’ils voudraient. Personne n’est obligé de lire, certes, mais le marché du livre, lui, est largement extensible, par définition.
Ce que je crois, c’est que la curiosité s’éveille, s’alimente et se renforce. Or, si l’on détruit de la valeur – celle des libraires –, l’offre tend à s’appauvrir, parce que le commerce va limiter ses commandes et sa diversité. Moralité, moins de clients viennent et l’on entre dans un cercle vicieux. Ici, c’est plus d’outils, donc plus de revenus, pour contrer cette perspective.
Bookwitty est resté durant 18 mois en anglais, sous une forme bêta. Nous avons, durant cette période, recruté des gens qui font de la recommandation, et la version finale compte ainsi des éditeurs, blogueurs, des auteurs, le tout pour créer une dimension globale.
Personnellement, j’ai grandi entre deux cultures, celle du Liban et celle de la France. Le multilingue, c’est notre ADN même, mais nous devions d’abord prouver que cela était réalisable. Aujourd’hui, nous avons créé un commerce contextuel : le site sert de référence, en termes de contenus, et nous centralisons les demandes pour mieux répartir les ventes. Le modèle reste simple : à tout moment, le lecteur sait qu’il peut faire un achat, et nous le renvoyons vers les meilleurs conseils. Le moteur de recherche, finalement, ne sert qu’à renforcer les possibilités.
Cyril Hadji-Thomas : L’activité que nous avons ces derniers temps, c’est une collaboration plus étroite avec les éditeurs, qui sont les dépositaires mêmes de l’information. Or, ces dernières ne sont pas spécialement bien valorisées : dans le monde anglo-saxon, notre expérience montre que ceux qui ont les meilleures infos sont aussi ceux qui vendent le mieux. Les médias de proposent pas de catalogue à la vente.
Pour le futur, nous avons un système qui fonctionne autour de ces deux approches : rencontrer éditeurs et libraires, pour leur proposer un marché mondial – en ventes – et les médias locaux, qui proposeront d’ouvrir un catalogue de vente. Ensuite, il y a des expérimentations qui sont menées, comme avec l’Oiseau indigo, où une collaboration spécifique s’est mise en place.
Enfin, nous travaillons à un déploiement vers le Mexique, et d’autres pays européens, comme l’Allemagne et l’Italie. Nous avons l’intention d’aller rapidement vers ces territoires, parce qu’ils sont porteurs de cultures riches. Nous envisageons l’expansion de nos marchés vers l’Inde et les Philippines vers 2020. Nous faisons aussi des projections vers le Japon, la Chine ou la Russie.
L’aboutissement sera de vendre des livres partout, tout le temps, avec tout le monde, sans aucune barrière de langue, de prix ou d’accès – parce que ce sont là les difficultés actuelles.
Cyril Hadji-Thomas : (rires) Nous avons mis 10 ans pour trouver une solution, en investissant beaucoup dans la recherche et développement. Le coût de transport, c’est juste, peut devenir lourd, mais nous préférons parler en termes de coûts d’accès – cela inclut la manipulation, l’achat, le transport, les humains. La première méthode, c’est de vendre du best-seller, mais nous avons immédiatement écarté cette unique hypothèse.
Conclusion, dix années de recherche ont abouti à ce que notre plateforme technique soit totalement intégrée à la logistique. En vendant des millions de livres par an, nous percevons bien quelles sont les grandes tendances : ainsi, nous prévoyons certains achats et rentabilisons les outils logistiques.
Dans la librairie, les volumes sont de fait assurés par les best-sellers. Nos outils ont été conçus pour privilégier les moyens-sellers, qui vendent correctement, mais ne disposent pas d’un référencement suffisamment solide. C’est ici que des algorithmes puissants ont été employés – et c’est finalement toute l’âme de Bookwitty, des libraires associés à des ingénieurs.
Nous sommes parvenus à des calculs mettant en équilibre le prix global d’une vente, intégrant des données comme le tarif, la disponibilité et le coût. Et ces différents ratios permettent d’arriver à l’offre la plus pertinente. Quand on vend des livres que personne ne propose, les remises et le discount ne rentrent pas en compte.
De ce point de vue, le marché français est tout petit, et n’autorise pas beaucoup de marges de manœuvre sur les leviers financiers. En revanche, il est important parce qu’il compte un grand nombre de librairies, et une production éditoriale qui intéresse le monde entier.
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Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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