PORTRAIT – Voilà près d’un siècle, une Britannique concrétisa ce rêve fou : qu’en citoyens du monde, les écrivains reconnaissent dans un groupe qui défendrait la liberté d’expression. Celle de tous les auteurs. Le PEN Club vit alors le jour à Londres en 1921.
Le 28/08/2018 à 07:45 par Nicolas Gary
Publié le :
28/08/2018 à 07:45
Emmanuel Pierrat, président du PEN Club France
Depuis quelques mois, l’association française revient sur le devant de la scène : prises de position, lettres ouvertes, communiqués. À l’initiative de son nouveau président, Emmanuel Pierrat, le PEN Club France réaffirme ses valeurs : paix, tolérance et liberté, « parce qu’il y a tant à faire », nous indique-t-il.
Auteur d’une centaine de livres, Emmanuel Pierrat est un avocat reconnu dans le secteur du livre, un double regard qui donne à cette présidence une approche bicéphale. Regarder du côté de la création elle-même, tout en maîtrisant les rouages juridiques pour opérer une demande d’asile, un recours en justice, une procédure… Vingt-cinq années à la tête d’un cabinet d’avocats, voilà de quoi protéger la plume d’écrivains, partout dans le monde, avec le glaive de la justice.
« Peu de temps après sa fondation à Londres, Catherine Amy Dawson Scott et John Galsworthy, l’association ouvre en France, la même année. Fort de son prix Nobel de littérature, c’est Anatole France qui en devint le premier président », nous raconte-t-il. « Cette ONG a une histoire magnifique, d’autant plus qu’elle repose sur la défense de valeurs humanistes. Cette permanence a quelque chose de magique ! Ce fut le premier PEN après celui de Londres à ouvrir, un autre symbole. »
Des années durant, l’activité de défense de la liberté d’expression des auteurs fut au centre des messages. Le terme PEN évoque évidemment le stylo en anglais, mais l’acronyme désigne en réalité les métiers : poètes, playwrights (dramaturges), essayistes, novelists (romanciers) et non-fiction autors. « Personnellement, je considère que l’auteur ne se définit pas par le contrat d’édition, quand il fait l’objet de menaces, de pression — et moins encore s’il est en prison ou torturé », relève le président. « Notre champ d’action reste celui de l’écrit ; le soutien, lui, ne saurait dépendre d’une reconnaissance contractuelle. Est écrivain qui écrit, point. »
À ce jour, près de 500 écrivains seraient persécutés à travers le monde. Possiblement bien plus, de fait. On parle de surveillance, de prison ou de torture « et si le PEN ne fait rien, alors ils tomberont dans l’oubli. Certains se sont retrouvés embastillés pour des raisons effarantes. Mais notre action peut changer les choses. Dans le monde, des milliers de gens souffrent de ces mêmes choses : nous avons simplement choisi de prendre en charge ceux que nous connaissons le mieux ».
Et d’évoquer le cas de cet écrivain camerounais, en prison à Yaoundé. « Le directeur l’a fait sortir pour que son propre nom cesse d’apparaître dans la presse, présenté comme un tyran. » Une campagne menée par le PEN, bien entendu.
Hier, comme aujourd’hui, les violences contre les artistes se perpétuent. « Dans les années 70, la fatwa lancée contre Salman Rushdie nous a, à tous, rappelé que ces combats ne sont jamais définitivement remportés. » Et plus près de nous, les attentats de Charlie Hebdo, une fois encore, ont démontré l’urgence. C’est également ce qui servit de déclencheur pour réactiver l’action du PEN Club dans l’Hexagone, et ailleurs.
Elle rejoint sur certains aspects ce que Reporter Sans Frontière ou Amnesty International font, « mais toutes deux sont très sollicitées. Il fallait que cette organisation ayant pour mission de protéger les écrivains se relance : garantir leur sécurité, mais surtout la possibilité d’écrire ».
Sébastien Chiner, CC BY SA 2.0
Si le siège de toute l’organisation reste à Londres, chaque pays a une totale indépendance : le pilier reste celui de la liberté d’expression. « En France, les notions de racisme et d’antisémitisme priment. À l’inverse, dans des pays musulmans, le concept de laïcité est moins bien compris. »
Parfois, il est devient difficile d’échapper au pouvoir politique : « En Chine, le PEN est trusté par le parti communiste, mais a été fondée une branche par des Chinois en exil. En Hongrie, c’est un véritable problème : leur position favorable au président Orban va à l’encontre de notre ADN. Notre organisation est un lieu de débats, certes, mais de tolérance avant tout. » Mais l’humain et ses préjugés peuvent aussi reprendre le dessus, comme pour le PEN de Palestine.
À l’inverse, d’autres entretiennent des relations particulièrement fortes. « S’il est compliqué de rester hors de portée des institutions, l’amitié qui existe entre le PEN de Turquie et celui kurde est exemplaire. De même, en Arabie saoudite, travaillent des gens particulièrement courageux. » Avec 40.000 membres à travers le monde, les désaccords existent : « Personnellement, de Ondaatje à Margaret Atwood, je ne partage pas tous les points de vue, mais notre vocation doit rester unique. »
Si les PEN sont autonomes, en regard de Londres, ils partagent cependant une multitude d’outils, permettant de travailler au mieux. Cela passe par des études — comme celle effectuée autour de la liberté d’expression en Afrique noire anglophone. La communication entre les uns et les autres permet aussi de diffuser les informations, d’alerter les médias, de lancer des communiqués.
« Nous avons des remontées de terrain, partout dans le monde, et notre réseau s’active fortement. À la différence des autres ONG, nous n’attendons pas d’avoir documenté par nous-mêmes un cas pour intervenir. Cela permet à ces ONG d’éviter des fake, mais, durant tout ce temps, les concernés peuvent mourir. Nous avons choisi de ne pas attendre, et dès que possible de passer à l’action. » En partageant les informations, il devient aussi possible de créer des mobilisations.
« Au Kirghizstan, nous avons installé des chaises vides où étaient posés les portraits d’écrivains emprisonnés. Cela a provoqué une véritable panique chez les policiers qui sont arrivés sur les lieux. Trois jours plus tard, nous avions obtenu une audience auprès des pouvoirs publics, et la libération des écrivains. » La crainte d’une diffusion sur les réseaux avait laissé les forces de l’ordre paralysées : « S’attaquer à des manifestants pacifiques, ressortissants étrangers, ce n’est pas si évident ! » Et de la sorte, les efforts de chaque organisation parviennent aussi à se croiser.
À d’autres reprises, il faut résoudre des situations urgentes. Ce fut par exemple le cas d’un auteur traduit en français, persécuté dans son pays : « Il vit au Yémen, écrit sur les communautés juives… rien de très simple. Quand il est arrivé à l’aéroport, sa famille le suivait dans l’avion suivant. Grâce à une grande ville de province, nous sommes parvenus à l’accompagner dans les démarches de réinsertion, la scolarisation des enfants, etc. ».
La mairie de Paris, qui fait partie du réseau des villes refuges, accueillant des réfugiés, n’est pas en reste. « Sur ce point, il me faut saluer le travail d’Anne Hidalgo. » Car démontrer que l’on est persécuté en raison de ses écrits, et que l’on demande un asile politique pour cette raison reste très complexe. « Les écrivains n’osent pas, ou hésitent à se présenter comme auteurs quand ils arrivent ici en position de réfugiés politiques. Cela rend notre action plus difficile à mener correctement. »
Abhi, CC BY 2.0
Avec une vingtaine de membres pour la France, le PEN Club entretient des liens évidemment très serrés avec la francophonie, « qui n’a rien d’un concept vain ». La collaboration avec ses confrères des pays d’Afrique permet d’étendre le champ d’action. « Eux-mêmes peuvent rencontrer des difficultés financières, ou bien plus graves. Ils ont très envie de ces collaborations et n’hésitent pas à se montrer entreprenants. Et Paris, la France, demeurent pour l’étranger la ville des Lumières et le pays des Droits de l’Homme. »
Outre ses actions et communications, l’association prend aussi le temps d’organiser des colloques. « Nous travaillons sur la diversité linguistique, nous avons un comité autour des femmes et nous créerons un groupe dédié aux discriminations. » Dans le même temps, les membres français travaillent à une anthologie de littérature sud-américaine. « Et nous étions présents au marché de la poésie — nous y prenons part depuis 8 ans — pour faire des lectures. »
Une collaboration étroite avec une multitude de structures, d’institutions, est nécessaire pour concrétiser les actions. Depuis la ville de Paris, en passant par l’Association des traducteurs (ATLF) ou encore le Syndicat national de l’édition ou l’Union internationale des éditeurs, « je souhaite que l’on puisse agir avec le plus grand nombre d’acteurs ».
Dans trois ans, le mandat de président s’achèvera, coïncidant avec les 100 ans de la création du PEN France. L’événement est déjà en cours de réflexion, mais en attendant, chacun œuvre à ce que « l’une des plus anciennes ONG en matière de droits humains retrouve ses marques ». Et redevienne une référence, tant dans ses messages que ses actions.
À ce titre, un rendez-vous est d’ores et déjà donné, devant l’ambassade d’Arabie saoudite. « Nous avons fait circuler une lettre d’engagement, où chaque signataire s’engage à accepter de recevoir un coup de fouet. Et nous nous présenterons devant l’ambassade, avec cette lettre, les signataires, pour être fouettés, volontairement », indique Emmanuel Pierrat avec un sourire amusé. Mais le plus sérieusement du monde.
Là-bas, l’auteur Raïf Badawi est détenu. « Chaque fois que la presse parle de lui, de cet emprisonnement, les coups de fouet sont moins lourds. » Un mode d’action qui rappellerait celui, dans l’esprit, des Pussy Riots. « Le monde a changé : ce ne sont pas des méthodes historiquement ancrées pour le PEN, mais il faut s’adapter. Une GoPro et la diffusion d’une vidéo en direct sur les réseaux sociaux peuvent avoir une portée fantastique. En créant des réactions, nous pouvons dénoncer plus facilement attirer l’attention sur les drames que vivent les écrivains. »
Et derrière le sens symbolique de l’engagement, participer à changer le monde.
Pour le mieux.
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