Ce 25 mars, un grand rassemblement est prévu devant le ministère de la Culture — un happening dont certaines organisations d’auteurs ont le secret. Évidemment, une pareille réunion sur la place des Colonnes de Buren attire l’attention du cabinet de la ministre. Au point que Rachida Dati a proposé une rencontre à trois organisations — précisément celles qui portent l’initiative de la Nuit des auteurs et autrices…
Le 25/03/2024 à 16:15 par Nicolas Gary
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25/03/2024 à 16:15
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À compter de 19 h, s’achèvera la Journée des auteurs européens, portée par Bruxelles, pour laisser s’ouvrir la Nuit des auteurs et autrices, réactions des intéressés à l’inaction politique. Cette première édition, qui promet de durer jusqu’au coucher du soleil, se déroulera dans une douzaine de villes — dont Paris, Bruxelles, Lyon, Toulouse ou encore Marseille, Lyon et Lille.
Si le projet est à l’initiative du Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine, de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et de la Ligue des auteurs professionnels, quarante organisations se sont mobilisées pour qu’il voie le jour. Chacune portant les mêmes revendications sociales et soulignant la précarité grandissante du métier et la nécessité impérieuse de protéger les créateurs.
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Instaurer un statut protecteur au niveau européen reviendrait à protéger créatrices et créateurs : l’adoption des mesures voulues par Bruxelles aurait des effets bénéfiques sur leur situation. Le tout en garantissant des conditions de travail décentes, en interdisant les contrats abusifs, en réglementant l’utilisation de l’Intelligence artificielle, en assurant l’équité des rémunérations et en renforçant les syndicats et la négociation collective.
Il a été rapporté par ActuaLitté que les valeurs défendues par ce rassemblement résonneraient avec les actions de la ministre – spécifiquement pour ce qui touche à la rémunération des artistes-auteurs, mais également leur protection sociale et la vigilance à l'égard de l'intelligence artificielle. La ministre a donc invité une délégation de trois femmes à la rencontrer.
Églantine de Boissieu, déléguée générale du SMC, avec Samantha Bailly, coprésidente de la Charte ainsi que Stéphane Le Cam, directrice générale de la Ligue avaient rendez-vous dans les salons de Valois. Au cœur des échanges, la rémunération des créateurs, certes, mais également l’Intelligence artificielle ainsi que les mesures de protection sociale.
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« Il faut se poser la question : en France, considère-t-on que les auteurs travaillent ? Car il n’est pas possible qu’ils aient des devoirs, en tant que travailleurs, sans avoir les droits qui y sont associés », s’agace Samantha Bailly. « Que l’on connaisse des dysfonctionnements dans le pays, c’est une chose. Mais plusieurs précédents cabinets de la Culture ont promis des améliorations, sans que rien n’évolue encore. »
« Depuis sa nomination, qui a pris de court, elle s’est plusieurs fois exprimée en évoquant le sort des artistes-auteurs. En multipliant des déclarations de la sorte, elle a fait entendre un discours jusqu’à présent peu en vogue », souligne Stéphanie Le Cam. « Angoulême a été aussi l’occasion du premier discours de Madame la Ministre de la Culture, Rachida Dati, à destination du monde du livre », insistait dernièrement Céline Benabès, directrice de la Charte.
Ministre de la Culture des vraies personnes, loin des vernissages, Rachida Dati trancherait avec les deux dernières locataires de Valois — Roselyne Bachelot et Rima Abdul-Malak, « dont on n’attendait pas grand-chose », assure un observateur. « Dati ressemble à ce titre à Franck Riester : de l’inattendu avait surgi un interlocuteur attentif et actif, quand il a pris conscience de la situation des artistes-auteurs, lors de son passage au ministère », poursuit-on.
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D’autant que la question de la protection sociale est essentielle : dernièrement, le député Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine — NUPES — Bouches-du-Rhône) alertait le ministère du Travail sur la réforme du revenu de solidarité active (RSA) sur les artistes-auteurs. « En 2019, 75 % des auteurs de bande dessinée installés à Angoulême étaient au RSA », indique-t-il. De fait, les auteurs ne sont rémunérés qu’une fois leur œuvre achevée et « selon le résultat commercial de leur travail. Pendant le temps consacré à la création elle-même, ils et elles ne perçoivent pas, ou très peu, de revenus ».
Et de conclure : « Si les artistes-auteurs se retrouvent contraints d’effectuer 15 heures d’activités par semaine autre que leur travail de création, ils ne pourront plus avoir le temps nécessaire pour créer. » De fait, à compter de 2025, le versement du minima social sera corrélé à l’accomplissement de 15 à 20 heures d’activité hebdomadaire. Une obligation future, déjà expérimentée dans 47 départements, avait précisé Catherine Vautrin, la ministre.
La ministre a d'ores et déjà répondu sur ce sujet, lors de son audition par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Elle a indiqué aux députés être « en train de travailler à l’aménagement » de ce RSA, pour qu'il prenne « en compte la spécificité de l’activité des artistes-auteurs ».
Alors que le 12 mars dernier, la ministre passait son Grand Oral devant les Sénateurs, elle était également sollicitée sur le fameux partage de la valeur. De fait, Laure Darcos (loi prix unique des Frais de port) et Sylvie Robert (Loi Bibliothèques) ont pour projet de plancher sur ce sujet « extrêmement compliqué ». Tout particulièrement quand le Syndicat national de l’édition diffuse une étude pour le moins tarabiscotée…
DÉCRYPTAGE – Calculatrice en main, le syndicat des éditeurs compte trop bien
Les initiatives partiront-elles du Palais du Luxembourg ou de la rue de Valois ? Pour Églantine de Boissieu, un point commun s’impose dans les métiers de la création : « Tout le monde fait le même métier, régi par le Code de la Propriété intellectuelle. Mais nos membres n’en tirent que peu bénéfice et dans le cadre de l’exploitation commerciale uniquement. »
Et de soulever plusieurs enjeux tout aussi prégnants : « Souhaiter la protection des œuvres est une chose, mais bénéficier d’une protection sociale est tout aussi primordial. De même, il y a un danger à brandir l’image d’un auteur transpercé par le génie, car cela essentialise la fonction : nous risquons de n’avoir plus que des hommes blancs de 50 ans comme créateurs. Et nul ne peut ignorer la question de diversité que cela pose : cela relève d’une justice sociale et sociétale. »
D’autres éléments, comme le lien de subordination pour les métiers du livre « est à encadrer ou faire disparaître. Mais dans tous les cas, que l’on cesse d’en faire un tabou ».
Car l’un des nœuds gordiens de cette relation entre auteurs et éditeurs tient justement aux dispositions contractuelles engageant les deux parties. « En aucun cas, le contrat de cession de droits, consacré à l’exploitation commerciale, ne permet de déclencher un arrêt maladie — contrairement au contrat de travail d’un employé. » Les auteurs n’en réclament pour autant pas un CDD ni un CDI, mais une meilleure protection.
« À cette heure, il n’y a pas assez d’articulation entre le CPI et le Code de la Sécurité Sociale. Le contrat de cession engage l’auteur à rendre un manuscrit à une date donnée : aucun événement de sa vie personnelle ne peut l’y soustraire. » Comprendre : en cas d'immobilisation de ses deux bras, il sera utile d'apprendre à dessiner ou taper sur clavier avec les oreilles pour honorer ledit contrat.
En invisibilisant la partie création de l’œuvre, « pour ne se focaliser que sur l’exploitation commerciale, ce contrat réduit les droits sociaux des artistes-auteurs. Aggravant donc une précarité trop largement reconnue », conclut la directrice générale de la Ligue.
Mais que retenir de cet échange ? « Nous avons, et cela fait longtemps, eu le sentiment d’être écoutées, mais surtout entendues, tout particulièrement sur deux points », expliquent les interlocutrices. Avec Laurent Caillot, conseiller social (arrivé début mars) et Lucie Carette, conseillère cinéma, numérique ou encore intelligence artificielle (en poste depuis fin février), en interlocuteurs, les sujets étaient clairement fléchés.
Sur le volet des droits sociaux, le ministère évoque la mise en place d’outils pratiques et concrets, à même de faire cesser la maltraitance administrative aujourd’hui à l’œuvre. « Les artistes-auteurs cotisent comme des professionnels, mais ne sont jamais pris au sérieux quand ils demandent à exercer leurs droits sociaux », relève Stéphanie Le Cam.
Côté intelligence artificielle, après l’adoption de l’IA Act au Parlement européen, la France se rêve en bon élève au niveau de l’Union. Et à ce titre, mettre en place des propositions fortes, pour garantir la protection du droit d’auteur, tout en garantissant un espace pour le développement et l’innovation. Un grand écart qu’il sera intéressant d’observer.
Crédits photo : Paris XIXe arrondissement - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
15 Commentaires
Michel
25/03/2024 à 19:19
Avant d'écrire, Arto Paasilinna a été ouvrier agricole. Walt Whitman a été apprenti dans une imprimerie. Edouardo Mendoza a été traducteur à l'ONU. Joseph Kessel s'est engagé dans l'Armée. Haruki Murakami a été barman. Etc.
Des gens plongés dans la vraie vie. Pas dans leur nombril, affolés à l'idée de se confronter au monde des vraies gens.
Un écrivain, un artiste a tout intérêt à frictionner son âme avec le réel. Du petit boulot exercé pour toucher le RSA, ne pourront sortir que de grandes choses.
Et puissent nos auteurs y laisser leur nombrilisme et leur maniérisme !
Jean-Philippe Senn
27/03/2024 à 10:11
Oui mais c'est bien sur… Participer à l'effort de paix est vital. On parle là de perspective d'un travail sans solde.
L'auteur masqué
25/03/2024 à 20:50
« Les artistes-auteurs cotisent comme des professionnels, mais ne sont jamais pris au sérieux quand ils demandent à exercer leurs droits sociaux »
C'est particulièrement le cas pour la retraite, où un "dysfonctionnement " des Agessa/maison des artistes ont placé les cotisations vieillesse de milliers d'auteurs dans un "pot commun", sans qu'ils puissent en bénéficier une fois en retraite.
Jojo
26/03/2024 à 06:43
"Tout particulièrement quand le Syndicat national de l’édition diffuse une étude pour le moins tarabiscotée…"
Cette étude du SNE est de la mauvaise foi pure et simple. Vous prenez des chiffres et vous leur faites dire ce qui vous arrange. Faut pas avoir honte pour publier un rapport aussi cynique.
Jojo
26/03/2024 à 08:43
« À cette heure, il n’y a pas assez d’articulation entre le CPI et le Code de la Sécurité Sociale. Le contrat de cession engage l’auteur à rendre un manuscrit à une date donnée : aucun événement de sa vie personnelle ne peut l’y soustraire. »
Rémunérer le succès et un droit de propriété ne se substitue pas à la rémunération d'un travail.
Les auteurs cotisent de manière absurde à des droits sociaux qu'ils ne peuvent quasiment jamais faire valoir. Pas de congé maladie. Un auteur est malade, il prend du retard, l'éditeur s'en fout, il lui fout la pression quand même pour que le manuscrit soit rendu à l'heure. C'est un scandale !
Si l'auteur s'engage à rendre le manuscrit à une date donnée, cela veut dire qu'au moment où il signe le contrat, le manuscrit n'existe pas encore, qu'il doit le fabriquer. Il y donc un travail mais ce travail est invisibilisé. Ce travail n'est pas rémunéré. Un travail non rémunéré, ça s'appelle de l'esclavage.
Les éditeurs sont des esclavagistes et l'État républicain ferme les yeux .
Nadine monfils
01/04/2024 à 08:05
En plus on nous prend des cotisations retraites pour les autres et nous n’en bénéficions pas...cherchez l’erreur...
jerry moon
26/03/2024 à 08:59
des créateurs ?les gens qui demandent l aide l etat, aucune imagination,réglez vos problemes dans
le cadre de votre branche.
aide de l'état = pieds et poings liés
Aradigme
26/03/2024 à 11:15
En ce qui me concerne, la situation des auteurs rappelle celle de certains sportifs. Beaucoup de personnes s'adonnent au golf, au tennis, au vélo, mas très peu en vivent. Auteur est une activité où coexistent des amateurs qui s'y adonnent pour le plaisir ou toute autre raison et des professionnels qui en vivent. Golfeur n'est pas un métier, sauf si vous vous appelez Tiger Woods.... Il en va de même pour les auteurs. Ce n'est pas un métier, sauf si vous vous appelez Guillaume Musso.
Jacques Acermendax
26/03/2024 à 16:54
Encore une fois l'expert Michou nous apporte son expertise digne des plus grands esprits. Quel soulagement !
"J'ai un avis sur tout" Spirou
Michel
26/03/2024 à 18:09
Tête de turc... Un métier d'avenir sur les réseaux sociaux. Dommage que ce soit si mal payé.
Un conseil : gardez le même nom. C'est trop ballot de diluer la qualité de vos interventions dans une multitude de pseudos.
Jean-Philippe Senn
28/03/2024 à 09:27
Oui mais c'est bien sur… Participer à l'effort de paix est vital. On parle là de perspective d'un travail sans solde.
Jean-Philippe Senn
28/03/2024 à 09:53
Bonjour,
Merci pour l'article et l'happening mené, c'est sensationnel.
Durant les Etats Généraux de la Photographie organisé la semaine dernière, il a été proposé en conclusion plusieurs demande, dont la création d'une subvention à la recherche pour les auteurs. Celle-ci pourrait remplacer le RSA.
Nadine monfils
01/04/2024 à 08:00
Après 50 ans de métier en tant qu’écrivain ( désolée je déteste la féminisation des mots et l’écriture inclusive) la majorité d’entre nous n’ont droit á aucune couverture sociale ni retraite. C’est mon cas après avoir écrit plus de 80 romans publiés chez de grands éditeurs. Et qui parmi les écrivains a pu cotiser pour sa retraite? Nous n’en avions pas les moyens. Nous sommes les moins considérés et les plus mal lotis alors que sans nous il n’y aurait pas d’éditeurs ni tous les métiers qui en dépendent, pas de libraires ni de bibliothécaires ni de cinéma,de télé, de BD etc...je suis un auteur qui vend bien et qui rapporte de l’argent à son éditeurs et malgré ça je dois encore y aller de ma poche quand je fais des salons comme à la foire du livre de Bruxelles, parce que nous dit on il y a des restrictions budgétaires. Vous trouvez ça normal ? Je suis dégoûtée.
Jerry
01/04/2024 à 23:11
Arrêtez de tout demander à l état organisez vous et prenez en main votre métier
Un auteur est une profession libérale il n ya rien d extraordinaire qu il soit payé à la fin de son œuvre
Demander à l état =créé un e tat de soumission
Jean-Philippe Senn
02/04/2024 à 14:26
Nous avons tous partis liés avec l'état. Et sans soumission indu.