« J'ai eu la chance de naître dans une famille catholique bretonne. » Une manière comme une autre de se présenter, qui pose tout de même un certain cadre. Vincent Bolloré aime jouer et, durant son audition à l’Assemblée nationale, il ne s’est pas privé. Il était en effet sollicité pour répondre aux questions de la Commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre ce 13 mars.
Le 14/03/2024 à 11:59 par Nicolas Gary
6 Réactions | 618 Partages
Publié le :
14/03/2024 à 11:59
6
Commentaires
618
Partages
L’empire Bolloré, rappelle-t-il, s’est construit sur le papier à rouler OCB — avec déjà un pied dans l’édition, puisque les usines fournissaient aussi le papier Bible pour les ouvrages de la collection Pléiade, chez Gallimard. L’implication dans les médias, « deuxième secteur le plus rentable dans le monde après le luxe » ne viendra que plus tard. Aujourd’hui, Vivendi serait « le premier groupe audiovisuel européen » avec pour vocation de compter parmi les plus grands mondiaux.
« Il portera, je crois, l’image de la France et les contenus européens dans le monde », souligne-t-il. Car d’un côté, on trouve les œuvres américaines sont « tout à fait formidables, mais Spider-Man, un deux, trois, Batman, un deux, trois, etc. », et de l’autre, celles « des Asiatiques qui sont un peu plus compliquées à comprendre ». Mais Vincent Bolloré estime surtout qu’entre les deux, se trouve « une culture intéressante à mettre en avant ».
Reconnaissant être « né avec une cuillère en argent » dans la bouche, le conseiller du président du directoire de Vivendi, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du conseil de surveillance du groupe Canal+, estime surtout que ses successeurs « dirigent admirablement, puisque depuis je suis parti, ça marche encore mieux ».
Mais cette audition donnait l’occasion de tendre quelques pièges — sans qu’aucun parlementaire n’imagine voir Vincent Bolloré y plonger. Les critiques qu’on lui adresse seraient « des tartes à la crème. [...] Quand vous venez arrêter une grande fête, les gens ne vont pas dire : c’est affreux, on nous empêche de faire des fêtes. [Ils disent] il s’occupe des choses, il est d’extrême droite, c’est un type affreux, etc. Bref, et tout ce que vous connaissez qui est là, mais donc, je ne suis jamais intervenu dans les contenus. »
Et quand un parlementaire insiste : « Êtes-vous le grand organisateur d’un grand projet idéologique et politique, comme certains se plaisent à écrire, dire ou chuchoter ? » L’auditionné campe sur ses positions : « Les contenus du groupe Canal n’ont qu’un objectif, c’est de servir ses abonnés ou ses téléspectateurs. D’ailleurs, si ça servait à autre chose, ça ne marcherait pas et ce ne serait pas un succès. »
Dont acte ? De fait, CNews ne fait que raconter la vérité et Cyril Hanouna sur C8 offrirait un espace de liberté, sinon comment justifier plus de deux millions de téléspectateurs chaque soir ? « Est-ce qu’il y a de l’idéologie là-dedans ou chez Cyril Hanouna, je ne suis pas sûr. Je crois qu’il y a une liberté, une joie », répondant au fait que les gens rentrent fatigués chez eux. « La vie en France aujourd’hui est peut-être moins facile que ce qu’elle était avant. »
Raison pour laquelle le développement du groupe Canal devrait importer aux élus de la Nation : il est en mesure de porter « d’aller porter l’image de la culture française » à l’international. « Est-ce que vous avez envie d’avoir — comme l’Allemagne a Bertelsmann ou l’Amérique a Disney — un grand champion qui va aider le cinéma, les dessins animés, la création, les documents, etc., etc. ? »
Alors, reste la terreur qu’inspire le personnage, corrélée aux coupes budgétaires pratiquées : « C’était nos propres finances et il fallait arrêter les dépenses », explique-t-il. Or, au cours d’un comité d’entreprise, un représentant l’a accusé de couper des têtes et d’inspirer la terreur. Et de lui répondre en citant le romancier catholique François Mauriac : « La terreur, la peur. C’est le début de la raison, ou quelque chose comme ça, sans doute le début de la raison. Mais, honnêtement, je n’inspire la terreur à personne que je connais. J’inspire la terreur à des gens qui ne m’ont jamais vu. »
Les médias seraient grandement responsables de cette réputation, dont le président de Reporters Sans Frontières s’est fait l’écho, affirme Vincent Bolloré en affirmant : « Quand Bolloré passe, les journalistes trépassent. » Des procès en diffamation et autres procédures-baillons en attesteraient, mais le milliardaire les balaye d’un revers de manche. « Dès que j’arrive quelque part, avant même que j’arrive quelque part, aujourd’hui, les gens ont peur, les gens crédules. [...] Cette histoire de terreur, c’est une histoire de réputation. [... J]e suis le paratonnerre et le bouc émissaire, c’est comme ça. Mais non, je suis plutôt très gentil, plutôt rigolard, plutôt affable. »
« On ne peut pas à la fois me dire que si je me mêle je fais de la censure, et si je ne me mêle pas, je fais du non-interventionnisme. »
– Vincent Bolloré
La répétition, base de la pédagogie, façonnerait dans la presse cette image. Or, le Breton se montrerait philosophe, cette fois citant approximativement Kipling : « Si tu supportes que des sots, que des gueux excitent des sots en disant des choses terribles, tu deviendras un homme. » La voie de la sagesse ? Il profitera tout de cette tribune pour glisser sa position, résolument anti-IVG – « quelque chose où une vie ne s’exprime pas ». Tout en s’appuyant sur l’autorité du Pape qui partage bien sûr cette idée…
S’il ne fut que très peu question de l’industrie du livre, les parlementaires de la Commission n’ont pas manqué l’occasion de revenir sur le départ d’Isabelle Saporta, ancienne DG des éditions Fayard (filiale de Hachette Livre, groupe Lagardère). Lors des obsèques du père de Nicolas Sarkozy (administrateur de Lagardère), en mars 2023, il aurait rencontré l’éditrice, en poste depuis juin 2022, et discuté du Cardinal Robert Sarah ? Ce dernier avait obtenu en mars 2022 la Une de Paris Match, un choix éditorial qui fit gloser.
« Nicolas Sarkozy me l’a présentée, je lui ai dit bonjour. Et je ne sais pas ce qu’elle m’a dit, mais moi je lui ai pas parlé d’aucune sorte, j’étais dans une église et selon ma religion, dans une église on ne parle pas. » S’en suit un silence de quelques secondes, et le voici qui précise : « Je pense qu’Isabelle Saporta devait vouloir parler du livre du Cardinal Sarah. Donc, ne confondons pas avec la fameuse couverture de Paris Match sur les cardinaux pour laquelle elle n’a rien à voir. »
À LIRE - Saporta fait ses cartons : Adieu Fayard et Bolloré, bonjour la liberté ?
De fait, en avril 2023 était publié chez Fayard Il nous a tant donné — Hommage à Benoît XVI, signé par Robert Sarah (2471 exemplaires vendus, donnée : Edistat). Si cette parution avait vocation à promouvoir l’image de feu le Cardinal Ratzinger, peu connu pour sa tolérance, l’effort éditorial n’a pas vraiment porté ses fruits.
Mais alors : conversation ou non ? « Pas de conversation, parce qu’on était dans une église. Donc, elle m’a dit : “Bonjour, je suis contente de vous rencontrer.” Je n’ai pas écouté, pas parlé :, vous savez, quand je suis dans une église, moi je suis assez en présence du Christ. » Donc aucune directive fournie à l’éditrice, « et je n’ai jamais parlé de ma vie et madame Saporta, à part ce moment où on me l’a présentée ».
Autre polémique rivée au milliardaire, Éric Zemmour, qui avait déclaré : « Pour en avoir discuté avec lui, Vincent Bolloré est très conscient du danger qui nous guette, du danger de civilisation, du danger de remplacement de civilisation. Il veut léguer à ses enfants et à ses petits-enfants la France telle qu’on la lui a léguée », cite une parlementaire. Et d’ajouter ces propos : « À son intervieweur, qui lui demande s’il y a chez vous le sentiment d’une mission politique menée par votre groupe de deux médias. Éric Zemmour acquiesce et abonde en répondant : “Moi je trouve ça noble, je préfère quelqu’un qui est patriote et je lui rends hommage.” »
Alors, mission politique à travers le groupe médiatique ? Correction, comme toujours : Vincent Bolloré n’a jamais mis Eric Zemmour à l’antenne, ses responsables s’en sont chargé. « Accessoirement, tout le monde voulait mettre Eric Zemmour à l’antenne à l’époque : c’était quelqu’un qui vendait des centaines de milliers de livres, qui était recherché par toutes les chaînes et tout le monde voulait le faire venir. »
Alors quid ? Eh bien Vincent Bolloré et le polémiste ont déjeuné, comme il le fait avec d’autres. « Et j’ai trouvé que c’était un garçon qui avait des idées, dans ce qu’il exprimait à l’époque, extraordinairement claires. » Mais rien de plus. En revanche, l’opportunité est trop belle, le voici relançant son propre plaidoyer : « Il ne faudrait pas prendre des petits bouts de phrase de différentes personnes [...] et me les coller sur le dos, parce que je suis un grand garçon et que je suis capable de m’exprimer. »
Et de poursuivre que, dans la presse, on lui prête ce fameux projet. « Franchement, alors, certains journaux, vous savez, je ne serais pas fier à leur place, parce que ce sont des journaux qui ont été achetés ou qui sont subventionnés par des gens qui veulent ne pas avoir une mauvaise image. » Et de citer Libération, propriété de Daniel Kretinsky — son concurrent milliardaire, qui a racheté Editis, deuxième groupe éditorial en France, et les dizaines de millions qu’il injecte. Rien contre le bonhomme d’ailleurs, « qui est un type tout à fait intéressant et francophile ». Mais voilà : « J’aimerais beaucoup que l’on écoute ce que je dis. [...] Je n’ai aucun projet idéologique, et si j’en avais, d’ailleurs, les chaînes de Canal se seraient effondrées depuis longtemps. »
D’ailleurs, il existe « heureusement dans notre pays, une pluralité. Il y a des gens différents, mais je suis, je vous l’ai dit tout doux et débonnaire et pas du tout Attila ». Pas de projet, peut-être, mais des convictions, l'ensemble de l'audience l'aura amplement démontré.
Saluant au passage la gestion d’Arnaud Lagardère, à la tête du groupe éponyme, récemment racheté, Vincent Bolloré rappelle que d’autres actionnaires sont présents, mais surtout que la gestion actuelle conduira à ce que dans trois ou quatre ans, la valeur des actions sera remarquable. La vente de Paris Match se justifie alors parce que les dettes seraient trop importantes et que les projets de développement du Travel Retail et de l’édition impliquent de céder des actifs. À ce titre, aucun accord secret avec Bernard Arnault n’existerait — amusante remarque.
Finalement, cette audition aura débouché sur un exercice malicieux : « Le groupe est tellement vaste, je ne sais pas combien il y a d’heures d’antennes, de journaux, je ne sais pas combien de livres… que vous pouvez lui faire dire n’importe quoi. » Et d’évoquer le livre de Sophie Binet, tout juste publié chez Grasset (propriété de Vivendi, via Lagardère) : la secrétaire générale de la CGT accuse ni plus ni moins Vincent Bolloré que de financer l’extrême-droite. « Donc, vous pouvez prendre des petits bouts, les coller ensemble et faire un spectacle. Enfin, une théorie. »
Et de conclure : « Je répète qu’on peut prendre des petits bouts de chaque chose et faire dire exactement le contraire. J’avais dit à la dernière audition, il y a deux ans que j’étais woke parce que le dictionnaire Le Robert était en pointe sur “iel” inclusif et que Le Robert faisait partie du groupe. » Sauf que depuis, Editis n'est plus propriété de Vivendi : le passé est bien de mise.
« Donc, si vous prenez des petits bouts, pouvez faire dire n’importe quoi, et donc je ne crois pas du tout que voilà que l’on puisse à partir de théories qu’on veut mettre en avant, prendre ces petits bouts comme ça et en tirer des conclusions. Je pense que ce n’est pas juste. » Calimero, une facette que l’on nous avait cachée… Osera-t-on rappeler que le personnage est une création italo-japonaise du studio Toei Animation ?
Crédits photo : Vincent Bolloré - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 13/03/2024
102 pages
Grasset & Fasquelle
9,00 €
6 Commentaires
Michel
14/03/2024 à 20:23
Sophie Binet publié chez... "Bolloré". Des députés LFI ayant eu leur rond de serviettes chez... Hanouna... Dont un certain "créé" par icelui, tel Frankestein - et dont il a été beaucoup question cette après-midi à la Commission parlementaire, initiative de LFI...
J'en passe, et des pires...
Que sont ces gens ? Des gens indélicats, oublieux du premier principe de la courtoisie la plus élémentaire : "ne mords pas la main nourricière"...
Que sont ces gens ? Des gens de peu, pour ne pas être aussi méprisant qu'un certain président, au regard d'un capitaine d'industrie, financeur d'une part significative de la création culturelle française...
Aurelien Terrassier
17/03/2024 à 18:27
@Michel Depuis début 2023, les députés Lfi ne vont plus chez Hanouna.
Joseph Le Bris
15/03/2024 à 09:33
Vincent Bolloré est juste issu d'une famille bretonne, lui-même ne l'est pas : breton, il est né en région parisienne, c'est juste un héritier, il n'a rien créé du tout, tout lui est tombé dans le bec à la naissance, il faut arrêter avec le storytelling des soi-disant créateurs d'eux-mêmes, les battants qui ont réussi à la force du poignet, tout cela n'est que mirage, façade... quant à la foi, OSEF comme dirait l'autre...
Michel
15/03/2024 à 12:38
Je vous trouve bien injuste. Si, jeune, votre seul héritage avait été une vieille papeterie en quasi-faillite, et que vous soyiez, quatre décennies plus tard, à la tête d'un conglomérat de 80000 personnes... Apprécieriez-vous d'être résumé à la cuillère en argent avec laquelle on vous donnait votre bouillie enfantine ?
La seule histoire de Vivendi - ex CGE, créée au 19ème siècle - montre que les choses ne sont pas aussi simples que vous dites. Cette boîte, aujourd'hui florissante, a failli être coulée par Messier il y a une vingtaine d'années. Eh oui ! Il ne suffit d'hériter pour devenir un industriel de renom...
Gilles
16/03/2024 à 14:58
Ça aide vachement et c'est assez facile de sauver une boîte quand on a un capital financier de base hein.
Une grosse faignasse de parasite en somme.
Kujawski
16/03/2024 à 12:35
La grande industrie et les grosses puissances financières (souvent les mêmes) se présentent devant des représentant(e)s de la Nation : chaque fois, un grand moment de comédie.
Aux Etats-Unis, Mark Zuckerberg, devant une commission sénatoriale, est au bord d'essuyer des larmes, en demandant pardon aux familles endeuillées, ou gravement atteintes, par l'usage de ses "réseaux sociaux" (qui le sont si peu, ndlr). On oublie qu'il n'en est pas à son coup d'essai. On peut s'attendre à ce qu'il recommence. Entre-temps, il aura vendu, beaucoup, et encaissé, énormément. Sûrement écrasé de culpabilité et de douleur.
En France, un tycoon catholique bretonnisant et son bateleur, devant une commission de l'Assemblée nationale, viennent apprendre la vie à ces élu(e)s qui n'y connaissent rien. Ils leur font la leçon. Avec une simplicité débonnaire pour le premier : il pourrait répéter mot pour mot les propos de Robert Hersant jadis, il n'a rien à faire des idéologies, il ne cherche que les talents et l'efficacité. Ce qui est bien, avec ces gens, c'est leur art de vous prouver qu'avec eux la vie est simple, le bon sens est roi, c'est vous, qui cherchez les complications en détectant de l'idéologie et de la pression de masse là où il n'y a qu'une modeste entreprise affairée à assurer ses prestations et son avenir.
Et que dire du bateleur-bouffon, qui avale d'une bouchée toute la commission réunie devant lui pour l'écouter, en pleurant sur l'amende de 3 millions d'euros infligée par le CSA ? En insistant sur les "projets ambitieux" auxquels C8 a du renoncer à cause de l'amende (on en frémit) ? En sortant ce grand classique des hauts manageurs, qui ne savent pas "combien ils gagnent chaque mois" ?
Au final, rien. Ils sont ressortis de la séance en en disant beaucoup et sans rien dire au fond.
Il est vrai qu'une audition parlementaire ne débouche jamais sur grand chose : on est juste rassuré de voir que ces ogres économiques et culturels reconnaissent, ou font mine plutôt, une autorité supérieure à la leur.
Et l'économie de la communication de masse, dont les livres, dont ils sont les gourous du moment, peut continuer de foncer et produire tous ses effets les plus nocifs : les deux clowns ont reçu leur onction.