Pleine d’énergie et toute souriante, Prudientienne Gbaguidi est une figure de la librairie francophone en Afrique de l’Ouest. Très engagée pour faire rayonner son métier, elle suit tout ce qui se publie dans la sous-région. A la tête de la librairie Savoir d’Afrique (Bénin), elle est aussi présidente de l’Association des Libraires professionnels du Bénin (ALPB) et vice-présidente de l’Association internationale des Libraires francophones (AILF). Propos recueillis par Agnès Debiage, fondatrice d’ADCF Africa.
Le 06/02/2024 à 13:07 par Agnès Debiage
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Publié le :
06/02/2024 à 13:07
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Prudientienne et moi partageons des valeurs professionnelles et humaines. Cela a créé, au fil des
années, une forte complicité entre nous. Elle me surnomme « l’Africaine » ce qui nous fait toujours
beaucoup rire. Se retrouver à Cotonou en ce début 2024 nous a permis de nous poser dans sa
belle librairie pour évoquer son parcours, son engagement et ce métier qui la passionne. Et puis,
quel plaisir d’apprendre qu’elle vient d’être décorée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Un élément qui nous rassemble et qui valorise notre conception partagée de la librairie
francophone en Afrique.
Agnès Debiage : Comment êtes-vous devenue libraire et qu’est-ce qui vous a amenée à créer la librairie Savoir d’Afrique ?
Prudientienne Gbaguidi : Je suis libraire depuis plus de 25 ans. J’ai débuté ma carrière dans une librairie de Cotonou mais côté administratif. De secrétaire, je suis devenue assistante de direction et j’ai été formée sur le tas au métier de libraire. Pour me professionnaliser j’ai suivi plusieurs formations organisées par l’Asfodel, France édition puis le BIEF et l’AILF. Mon employeur a très vite perçu mes compétences et mon intérêt, aussi m’a-t-il rapidement associée à la gestion de la librairie.
Ma première approche a été via les commandes et le suivi des chefs de rayons. J’ai testé un peu tous les postes ce qui me permet d’avoir une vision élargie de la librairie. Puis j’ai été nommée responsable de l’approvisionnement ce qui m’a ouvert un large réseau d’éditeurs importés, régionaux et locaux. En parallèle j’assumais souvent la responsabilité de la librairie lorsque mon employeur n’était pas présent. Par la force des choses, on m’a ensuite confié toute la responsabilité de la Librairie Notre-Dame. Une vraie passion est née en moi, dans mes relations avec les lecteurs et dans les animations culturelles. En 2021, j’ai voulu voler de mes propres ailes et j’ai créé ma librairie : Savoir d’Afrique.
Quelle identité vouliez-vous donner à cette nouvelle librairie ?
Prudientienne Gbaguidi : Ma priorité était de faire la promotion des auteurs béninois car j’ai constaté que nous avions une forte production littéraire au Bénin mais que les auteurs n’étaient pas visibles. Le premier rayon que j’ai créé était celui-ci pour y regrouper les bonnes publications de mon pays. Ma deuxième priorité a été de faire la promotion de la littérature africaine dans toute sa diversité comme le nom de ma librairie l’exige. C’était la différence que je voulais faire avec les autres librairies du Bénin et ainsi en tirer une identité forte. J’ai commencé petit à petit en construisant cela, mais je sais qu’aujourd’hui, lorsqu’un lecteur a besoin d’un livre béninois ou africain, je suis devenue la référence dans mon pays.
Vous mettez beaucoup l’accent sur la richesse de votre assortiment. Comment arrivez-vous à collecter toute cette information de la part des éditeurs d’Afrique ?
Prudientienne Gbaguidi : Je n’obtiens pas facilement l’information mais je fais sans cesse des recherches. En Afrique, on n’a pas de base de données comme Dilicom, Electre ou autres mais je suis aux aguets de l’information notamment via les médias, les réseaux sociaux, les catalogues numériques des éditeurs. Lorsqu’on fait une présentation d’un livre, je fais tout mon possible pour avoir le contact de l’auteur afin d’avoir l’ouvrage en rayon.
Il faut reconnaître que les éditeurs ne nous facilitent pas trop la tâche car lorsqu’il y a une nouvelle parution, nous ne sommes pas informés. Je suis tout le temps à la recherche des informations. Je suis en contact avec la plupart des éditeurs de la sous-région et j’échange régulièrement avec eux.
Vous êtes aussi une pionnière parmi les librairies béninoises en ce qui concerne l’animation. Quel est, selon vous, le rôle et l’impact de ces animations sur votre activité ?
Prudientienne Gbaguidi : Pour être un libraire, un vrai, il faut forcément porter la casquette d’agent culturel. J’ai remarqué que la plupart des librairies béninoises se mettent automatiquement dans le rôle de vendeur, alors que le livre c’est la culture, l’information. Il faut porter l’information. Toutes ces activités permettent aux lecteurs de découvrir la richesse de la littérature et le goût de la lecture. J’ai constaté que cela apportait vraiment un plus pour ma propre librairie et une très bonne visibilité pour Savoir d’Afrique qui, très vite, s’est imposé sur le marché du livre béninois.
Ce n’était pas évident de créer une librairie alors qu’il y a de très grandes libraires à Cotonou. Je vais vous raconter une anecdote : quand j’étais à Parakou (420 km de la capitale) en novembre de l’année dernière, je suis rentrée dans un magasin qui vendait des livres et je me suis présentée. Le monsieur m’a de suite répondue « Oui, je connais la librairie Savoir d’Afrique ». Moi j’étais très contente et surprise. Je pense que ces activités de médiation, de promotion du livre que je mène ont une envergure nationale et aussi internationale. Ces activités autour du livre permettent de stimuler l’envie de découvrir et font rayonner la librairie.
Lorsque vous organisez une rencontre avec un auteur, y a-t-il toujours du monde dans la librairie ?
Prudientienne Gbaguidi : Pas tout le temps. Cela dépend du thème et de l’auteur. Si l’auteur est connu et très apprécié de ses lecteurs, la librairie est remplie. Mais je persévère même si le thème n’est pas évident et que le public est limité. Je mène aussi des activités hors les murs en organisant ou en participant à des expositions. Cela permet de ramener des clients vers la librairie et ainsi leur ouvrir de nouvelles portes de découverte.
Vous êtes aussi une libraire qui communique beaucoup. Est-ce nécessaire pour une librairie en Afrique, selon vous ?
Prudientienne Gbaguidi : La librairie Savoir d’Afrique est née avec la communication et c’est l’un des premiers éléments qui permet de s’imposer dans un environnement et ainsi d’exister. La librairie a aussi rapidement créé son site web. Nous sommes ultra présents dans les groupes WhatsApp. Quand il y a une nouvelle parution au Bénin, la librairie Savoir d’Afrique joue ce rôle fondamental de relais d’information pour le public. Il est important que les lecteurs sachent où trouver ces ouvrages. Toutes ces actions nous permettent de nous positionner efficacement sur notre marché.
Qu’est-ce que vous apporte ce site web en termes de ventes et de visibilité ?
Prudientienne Gbaguidi : Notre site est bien consulté, les gens demandent des informations à partir de ce site. Cela donne l’impression que Savoir d’Afrique est ouvert 24h/24. C’est avant tout une magnifique vitrine de tout notre assortiment. Comme nous ne pouvons pas incorporer des notices automatiquement car il n’y a pas de base de données, chaque fiche de livre est renseignée manuellement. C’est un énorme travail mais nous le menons petit à petit. Environ 70 % de notre stock est ainsi visible en ligne et c’est déjà bien.
Aujourd’hui dans vos relations avec les éditeurs, qu’est-ce qui fonctionne bien et qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
Prudientienne Gbaguidi : Avec les éditeurs locaux, je pense que tout marche. En tant que présidente de l’ALPB, j’ai de bonnes relations avec presque tous les éditeurs locaux car ils apprécient le travail que je fais et cela facilite pour moi la mise en place de partenariats avec eux. Ce qui pourrait être amélioré, je ne cesserai jamais de le dire, c’est beaucoup plus communiquer en amont pour être mieux présent dans les librairies. Il faudrait que les éditeurs nous envoient des affiches, des catalogues valorisant leur production et qu’ils nous transmettent occasionnellement des spécimens.
Derrière, j’aurais des atouts (avant même la sortie du livre) pour effectuer mon travail de libraire, mieux informer mes lecteurs et en lisant l’ouvrage mieux savoir en parler. Pour l’instant, soit je reçois l’information une fois le livre paru et promu par l’éditeur, soit je dois moi-même aller à la recherche des informations. C’est assez paradoxal, car le libraire est le maillon qui relaye le travail de l’éditeur.
Comment gèrez-vous la difficulté de faire circuler les livres dans la sous-région ?
Prudientienne Gbaguidi : J’ai des livres qui viennent de Guinée Conakry, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Togo, … C’est toute une gymnastique que je fais et j’en maîtrise bien les rouages. Le transport me revient souvent cher mais je sais obtenir les livres et les faire acheminer jusqu’à Cotonou. L’éditeur me facilite parfois la tâche. Si je prends l’exemple de Ganndal en Guinée, ils ont accepté de supporter une partie du transport pour que leurs livres soient vendus au Bénin.
Les éditions Massaya ou Eburnie en Côte d’Ivoire, prennent en charge complètement le transport. Le public béninois est intéressé par ces éditions qui viennent d‘ailleurs, car ce sont des ouvrages connus ou bien des livres dont le thème est apprécié de nos clients (c’est l’exemple des contes africains).
Dans votre librairie, comment réagissent les parents qui veulent des livres jeunesse, entre édition importée et édition locale ?
Prudentienne Gbaguidi : Le plus souvent, les parents vont naturellement vers les éditions locales ou régionales. Le livre importé n’est pas très demandé chez moi, sauf si ce sont des auteurs africains ou des thématiques africaines.
Quels sont les enjeux, les défis, selon vous, de la librairie en Afrique ?
Prudentienne Gbaguidi : Aujourd’hui il y a un enjeu à encourager la création de librairies hors des capitales. La littérature est mal diffusée par le manque de librairies dans les campagnes. Il y a des vendeurs de livres mais qui changent d’activité selon les saisons. Donner aussi une place aux ouvrages sur la santé, le développement personnel, etc.
Autre défi important : la lutte contre la piraterie. Je pense que les bouquinistes, les vendeurs de livre peuvent s’organiser en évitant la vente des livres contrefaits, piratés. L’État pourrait les aider à éviter la vente de livres piratés mais ils doivent avant tout s’organiser. En Côte d’Ivoire, par exemple, ils ont su se fédérer en association. Ici au Bénin, la librairie par terre est synonyme de vente saisonnière de livres scolaires piratés. Il faudrait qu’on arrive un jour à travailler ensemble en les sensibilisant pour régler le problème de la piraterie et pourquoi pas même unifier nos prix. L’État œuvre régulièrement à mettre tous les acteurs de la chaîne du livre autour de la même table et le secteur de la Culture est au cœur de ses actions.
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
1 Commentaire
Bénie
22/02/2024 à 10:52
Un très bel article ! Je me suis bien régalée. Merci à madame Agnès et courage à la grande dame de Savoir d'Afrique.