Chaque rencontre avec Beigbeder ressemble à un dialogue inachevé de Blanchot. C’est un échange qui s’arrête à un moment précis, à regret, alors qu’on sent bien qu’il pourrait et ne devrait jamais finir.
Le 09/10/2023 à 10:32 par Laurence Biava
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09/10/2023 à 10:32
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Avant toute chose, cette confession personnelle. Je demande pardon publiquement à mon écrivain préféré de n’avoir pas su réaliser un dialogue littéraire qui aurait dû être parfait lors de ma dernière rencontre avec lui, le 25 mai dernier au Rouquet, Paris. Le résultat de cet entretien pourtant préparé en amont s’avéra malheureusement inexploitable en raison des bruits provenant du boulevard Saint-Germain.
Et oui, je ne me suis guère méfiée des mauvaises conditions sonores que réserve cet endroit, cela m’apprendra. Si je prends soin de le préciser, c’est que passer une heure et quart avec Beigbeder est une chance inouïe et ne se (re)produit pas si souvent. Je me souviens que Philippe Sollers venait de mourir. « C’était un père de lettres, un parrain des lettres, un avant-gardiste » me confiera Frédéric. Bien sûr, j’avais listé de longues questions décalées auquel « l’hétérosexuel légèrement dépassé » apporta des réponses plus que pertinentes et nécessaires.
Là est toujours ma crainte : comment ne pas reproduire des questions posées mille fois ou attendues, comment échapper à une complaisance de bon aloi qui satisfait toujours les deux parties en présence. Mais Beigbeder me connaît et me reconnait : il sait (je crois) que je tente d’être une interlocutrice aiguisée dont on apprécie les répliques, et qui relit les livres jusqu’à plus soif, tentant d’y déceler l’ultime sens caché. En vérité, étant au double endroit de l’admiration et de la connaissance affûtée de son œuvre qui autorise toutes les critiques, je pense que rien ne peut déplaire.
Dans ces Confessions qui m’ont agacée – une chronique parue en avril expliqua pourquoi -, il me semble que c’est la figure du dandy dilettante et mondain qui s’est finalement imposée et sur un sujet aussi sérieux que l’amour auquel sont consacrés 2 chapitres sur 5, cette légèreté empreinte de gravité fut mal perçue par une partie de son lectorat féminin.
Comme toujours, au Rouquet, Beigbeder était d'une très agréable sociabilité, sa grande érudition et sa finesse d’esprit me bluffent à chaque fois, sa provocation élégante est humaine et courageuse. Il y a vraiment quelque chose d’émouvant à retrouver cet écrivain une fois par an surtout quand il s’agit de confronter des points de vue et d’exprimer pourquoi on est en désaccord. Le voir et l’entendre m’ont convaincue d’une vulnérabilité qui ne dit pas forcément son nom en contrepoint de cette résistance farouche dont il témoigne dans tous ses livres.
Frédéric Beigbeder m’a dit combien il aimait engendrer des discussions, des conversations, et là est le plus important : « C'est ce que je préfère dans la vie, parler des livres, et on ne peut que se réjouir de voir un livre de confessions créer un bouleversement, une émotion, et amener à une vraie réflexion (c'est pas trop tôt) sur les relations hétérosexuelles. » Il m’expliqua qu’il a essayé de dire sa révolte dans ses Confessions. Il ajouta qu’il fallait réinventer l’amour et les relations entre hommes et femmes. Puis qu’il était content d’avoir écrit un tel livre sans avoir songé un instant à faire dans la compétition victimaire (une part de ce qui est écrit dans le livre ne permet pas de l’affirmer mais ne chipotons pas).
Il aime l’ironie, la satire. Il pense que les femmes et les hommes sont égaux mais différents, ce qui est son droit le plus strict (à mes yeux, c’est exactement le contraire, mais là encore, qu’importe). Il détailla : « Je prends toujours un événement qui survient dans ma vie, et j’avais trouvé intéressant de partir de cette attaque si révoltante – sa maison taguée par des radicaux - pour dire ce qu’on en pense et ce qui nous arrive. » Il ajouta qu’il avait retrouvé une structure rassurante loin de Paris, et qu’il avait remplacé ses addictions anciennes par quelque chose de moins malsain.
Côté littérature, dans la tendance pro-sexe, il se situe dans le camp contre les puritains, et se sent proche de Virginie Despentes comme de Catherine Millet. Il m’a dit que ces Confessions étaient un livre sur l’amour ; il a d’ailleurs reçu beaucoup de témoignages féminins qui allaient dans son sens, qui lui disaient qu’il avait raison, aima-t-il à préciser.
Personnellement, je continue de penser que ces Confessions est un livre intranquille, comportant moult croyances inexactes, et qu’au lieu de bien faire, il a contribué à mettre le feu aux poudres, entretenant depuis MeeToo des polémiques récalcitrantes et bien inopportunes entre hommes et femmes. Mais Beigbeder est un écrivain libre qui doit pouvoir exprimer ce qu’il ressent sans être pris à partie et menacé par des personnes qui troublent l’ordre public lors de ses interventions.
À son nouvel ouvrage paru fin septembre Dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui, remarquable de précision, d’intelligence et d’érudition et dont quelques notes de lectures consacrées à Moix, Houellebecq et Carrère sont particulièrement saillantes – j’y reviendrais dans un proche article - , l’auteur lie un cycle de lectures publiques sur le thème de l’amour du 9 au 25 novembre sur la scène du théâtre Edouard VII. Ce nouveau « one man show » qui mêlera l’écrivain et le lecteur s’appelle L’amour dure 1h15. J’y serai, bien sûr.
Et naturellement, je le soupçonne d’user de cette stratégie scénique, où son charme opérera forcément, pour se réconcilier avec une partie de la gent féminine que son dernier livre a blessée. A l’égal de Nothomb dans son dernier roman Psychopompe, sans doute escortera-t-il les âmes et fera entendre les voix de fantômes inoubliables dont Larbaud, et je l’espère, Apollinaire, Aragon. Entendra-t-on de la musique dont The Aries – I love you -, BO du film L’amour dure trois ans ? Je le souhaite, ce serait de bon ton. J’imagine que ces 75 minutes dresseront une passerelle entre les auteurs morts et les auteurs vivants.
Qu’elles prolongeront le contenu du dernier livre, qu’elles vivifieront notre désir de lire et d’écrire tout en nous parlant d’éternité, d’immortalité. Et de la façon dont la génération des boomers envisage depuis MeeToo la relation amoureuse au présent. En faisant la part belle à tous les genres et en ravivant la flamme de textes oubliés, j’ai la certitude que ce moment de partage littéraire entre l’auteur et son public interactif restera dans les mémoires, démontrant ainsi une résistance implacable plus que bienvenue, à la cancel culture, au wokisme, à tous ceux qui s’en prennent aux écrivains et aux artistes. C’est ce que dit en filigrane l’entretien-fleuve accordé par Beigbeder à la revue Phalanstères, tome 4.
Dans le même esprit généreux, je me souviens d’un Beigbeder sur tous les fronts au Cap-Ferret le 16 juillet 2022. Nous attendions tous Benoit Bartherotte qui se faisait attendre. Les lecteurs se pressaient dans ce vaste espace clair et ravissant qui avait été ouvert près de la dune et de la mer. On pouvait contempler les toiles camaïeux du peintre Thierry de Gorostarzu, dont l’une des reproductions ornait le bandeau de l’avant-dernier roman de l’auteur.
Frédéric était venu discourir de son Un barrage contre l’Atlantique en même temps qu’il dédicaçait à tour de bras. C’était baroque et fait d’imprévus, nous étions en pleine canicule, l'intensité des incendies redoublait, et peut-être qu'à une ou deux journées près, la rencontre littéraire/conférence n'aurait pu se tenir. Au loin, on voyait déjà clairement les nuages de fumée de La Teste de Buch se répandre et percer le ciel azur, des photos en attestent. Beigbeder avait écrit quelques jours plus tard un article remarquable sur cette Dune du Pilat en proie aux flammes.
Savoir cette dune dévastée sous nos propres yeux nous avait tous meurtris. La destruction des arbres alentour est la pire chose qui puisse arriver à cette dune, objet de valeur de notre patrimoine naturel et européen. Brulée, elle est semblable à un être humain privé de l'un de ses poumons qui finit par perdre toute résistance face aux assauts extérieurs. Son organisme est en danger. Je ne sais pas quel nouveau film Beigbeder nous réserve dans les mois à venir mais j’aimerais bien que le drame de la Dune du Pyla qui porte en lui un écho réel de quelques passages du Barrage contre l’Atlantique, dont on est tenté de le rapprocher, en constitue la trame.
J’espère que le Pays basque sera au cœur du décor de ce nouveau long-métrage. Toujours est-il qu’un projet de film emblématique de la cause environnementale à mener en région atlantique doit être réalisé d’urgence et il n’y a pas mieux pour ce faire que Beigbeder, en porte-voix.
Écoutez-vous « Conversations chez Lapérouse », le samedi soir sur Radio Classique de 19h à 20h ? En dépit de quelques piques adressées de temps à autre aux publications « victimaires » et de propos visant à corroborer ce que pense Frédéric, c’est la meilleure émission littéraire (et élitiste) du moment. Beigbeder a réussi son pari de durer plus d’un an sur les ondes, et voilà un endroit où l’écrivain reçu peut parler sans être interrompu par l’animateur radio.
Des morceaux de musique choisis par l’invité offrent une respiration mélomane aux échanges littéraires qui y sont tenus. C’est parfois inégal, souvent de haute volée. Je ne sais pas si Ivan Jablonka fera partie des futurs convives pour parler de son Goldman mais ce serait bien. Au cœur de sa promotion périlleuse du printemps dernier, Beigbeder a, en effet, essuyé chez Finkielkraut quelques lifts de la part de l’historien que je ne suis pas prête d’oublier. Il serait intéressant que Beigbeder cherche à raviver avec cet interlocuteur de renom l’échange débuté autour de ce qui est censé être décent ou non, de la société patriarcale et boiteuse, de la misogynie des sociétés contemporaines, et accessoirement de l’ambiguïté contenue dans la galanterie, ce sexisme bienveillant dont on ne dit jamais le nom.
Au fil des mois, grâce aux promenades littéraires auxquelles Beigbeder m’a conviée, j’ai imaginé mon prochain roman à paraitre. Ce sera une nouvelle fiction et je préviens à l’avance que mon œuvre sera à classer dans l’école post-romantique et la catégorie satirique. En voici le synopsis : un écrivain illustre, icône d’un vieux monde se voit déchoir. Il organise une ultime parade pour faire face à son propre déclin. Il demande à une femme journaliste qui connaît parfaitement son œuvre d’être son prête-nom. De le remplacer dans les colloques, les face à face télévisuels et autres shows médiatiques.
Il n’a pas prévu que cette femme va devenir son œuvre, qu’elle va en quelque sorte user de ce pouvoir comme levier politique pour créer son propre parti. C’est lui qui depuis sa chambre en Vendée face à l’océan, ou dans un lieu interstitiel de Biarritz à Montalivet, retranché de tout ce qui fut les insignes de sa notoriété, guette les apparitions médiatiques de son prête-nom et ne désire plus qu’une chose : la convoquer pour lui dicter ses dernières volontés testamentaires.
Blague à part, ma place n’est pas dans un quelconque dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui, fût-ce un tome 2. Mais à ce stade de ma vie, j’apprécierais que mes publications ne soient plus boudées par les gens de Cour qui se prévalent de cette aristocratie littéraire à laquelle ils n’appartiendront jamais et qui n’auront jamais l’éducation élégante d’un Beigbeder.
crédits photo : Laurence Biava
Paru le 05/04/2023
163 pages
Albin Michel
19,90 €
Paru le 05/01/2022
272 pages
Grasset & Fasquelle
20,00 €
Paru le 28/09/2023
610 pages
Plon
29,00 €
5 Commentaires
Eric Dubois
09/10/2023 à 20:51
A l'image des groupes rock Indie dans les années 80- 90 qui n'existaient que par les labels indépendants, loin des Majors, faits de bric et de broc et de sueur et qui existent encore notamment aussi pour le Rap, je suis un écrivain et un poète Indie, publié chez des petits éditeurs loin des Bolloré et autres capitalistes qui tuent l'édition, maintenant aux mains des financiers qui n'y connaissent rien en littérature , un auteur chez un éditeur indépendant, diffusé par un distributeur indépendant, un auteur " underground" en quelque sorte. Et c'est tant mieux ! Si on veut me chercher, on me trouve, on tape mon nom sur Internet et hop on peut acheter mes livres comme aussi en librairies physiques où l'on pourra aussi commander mes bouquins.
NAUWELAERS
12/10/2023 à 01:02
Bravo pour vos commentaires éclairés sur Beigbeder !
CHRISTIAN NAUWELAERS
NAUWELAERS
12/10/2023 à 01:01
C'est le Fouquet ou le Rouquet ???
Et bonne manière de finir par se mettre en avant soi-même à la fin de cette chronique pourtant consacrée à Beigbeder...
Pour faire part d'une frustration infiniment répandue: celle de l'immense majorité des auteurs et autrices qui n'arrivent pas à capter l'attention de la critique, noyée dans une surproduction invraisemblable.
Un peu moyen, je trouve, désolé.
D'autre part, je n'adhère pas à toutes ces réticences concernant son ouvrage précédent, désolé.
Mais heureusement que cette chroniqueuse soutient l'opposition de Beigbeder au wokisme, ou plutôt à ses excès.
Là je ne peux qu'approuver, bien entendu.
Pas trop au canevas du prochain roman de cette autrice...
Trop cliché, trop à la remorque de l'air du temps.
Mais il faudra juger sur pièce.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Laurence Biava
14/10/2023 à 11:41
Bonjour,
Il s'agit du Rouquet.
Je connais bien Beigbeder et le rencontre plutôt régulièrement pour des critiques. C'est un ami de plume depuis plus de 15 ans. Le titre de mon article est clair : en toute fin, j'ai écrit (et moi), vous avez manqué d'attention. Il ne s'agit pas du tout de me mettre en avant mais d'adresser un clin d'oeil tout littéraire à son oeuvre (et non à la mienne). Je peux dire que cet écrivain représente pour moi un paradigme littéraire. S'il n'avait pas jamais écrit, sans doute n'aurais-je jamais écrit une ligne. (lorsqu'il parle de son oeuvre, il dit que s'il n'avait jamais lu Bukowski, il n'aurait sans doute jamais écrit une ligne). Il est malheureux de faire preuve de mauvais esprit ou de maladresse comme vous le faîtes, en laissant penser que je cherche à me faire de la pub. Tout le monde se fiche à peu près de ce que j'écris ou de ce que je pense. Bon week-end.
Laurence Biava
NAUWELAERS
15/10/2023 à 11:22
Bonjour,
Dont acte: le Rouquet, je ne connaissais pas, merci.
Pour le reste, je vous lis, entre guillemets, à la fin de mon post.
Excusez-moi, mais si ce n'est pas de votre prochain roman à paraître, je suis chinois...
Pourquoi nier l'évidence ?
Peu important mais restons de bonne foi, je vous prie.
Et comme vous, j'apprécie beaucoup cet écrivain et critique de haute volée.
Qui écrit ce qu'il pense, sans calcul et sans désir de plaire à tout prix.
«Au fil des mois, grâce aux promenades littéraires auxquelles Beigbeder m’a conviée, j’ai imaginé mon prochain roman à paraitre. Ce sera une nouvelle fiction et je préviens à l’avance que mon œuvre sera à classer dans l’école post-romantique et la catégorie satirique. En voici le synopsis : un écrivain illustre, icône d’un vieux monde se voit déchoir. Il organise une ultime parade pour faire face à son propre déclin. Il demande à une femme journaliste qui connaît parfaitement son œuvre d’être son prête-nom. De le remplacer dans les colloques, les face à face télévisuels et autres shows médiatiques.
Il n’a pas prévu que cette femme va devenir son œuvre, qu’elle va en quelque sorte user de ce pouvoir comme levier politique pour créer son propre parti. C’est lui qui depuis sa chambre en Vendée face à l’océan, ou dans un lieu interstitiel de Biarritz à Montalivet, retranché de tout ce qui fut les insignes de sa notoriété, guette les apparitions médiatiques de son prête-nom et ne désire plus qu’une chose : la convoquer pour lui dicter ses dernières volontés testamentaires.»
Voilà, il faut voir ce que l'on voit -citation tronquée de Péguy.
Bonne continuation et bonne chance à vous.
CHRISTIAN NAUWELAERS