#Lectureetlittoral - En faisant un road-trip de 5000 km sur la côte atlantique, Marc Roger, le conteur ambulant, compte mettre le turbo en visitant 555 villes en un an, zigzaguant à travers 16 régions. Et ce n'est pas tout! À chaque pause, il nous berce de ses lectures favorites et se transforme en éco-guerrier, ramassant 3 kg de déchets. Qui a dit qu'on ne pouvait pas conjuguer culture et écologie ? (Suivre Marc Roger sur Instagram)
Le 30/08/2023 à 09:46 par Marc Roger
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Publié le :
30/08/2023 à 09:46
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À quelques pas de Douarnenez
Tréboul et son cimetière marin
Une pente hérissée de mille Christ cloués à des croix de granit recouvert de lichens en surplomb de la plage Saint-Jean, un triangle de sable où se tiennent les vivants allongés ou debout, venus là pour passer leurs vacances à la mer.
Deux espaces séparés par un mur, une ruelle, un cyprès centenaire, majestueux d’importance au-dessus de la plage et une haie de fusains du Japon.
D’un côté, le cimetière.
Son paisible silence. Une odeur de saumure en provenance du port. Sur les dalles, des couronnes de fleurs en plastique aux couleurs délavées et des fleurs naturelles en petites jardinières, jaunes, rouges, bleues, qu’entretiennent les familles des défunts, aux côtés de certaines sépultures descendance tarie reléguées aux bouquets d’herbes folles.
Et de l’autre, la plage.
Des dialogues, des appels et des cris, des serviettes et des bouées, des châteaux, des plongeons, des barrages, des gâteaux et du sable qui craque sous les dents. De la vie à pleins bords dans la baie de Douarnenez.
Je ne suis pas photographe, mais le jeu m’intéresse.
Parvenir à cadrer sur le même cliché les baigneurs et les morts. Une plage, un cimetière, deux triangles opposés comme un grand sablier où passerait d’une parcelle à une autre, la vacance des âmes.
Résultat très médiocre. Ouverture et focale sont des mots dont j’ignore la maîtrise. Sur l’image que j’ai prise, on ne voit pas l’impression de forêt de ces milliers de Christ bras ouverts sur le ciel, quand j’aimerais d’un même temps capturer les détails de chaque corps exposé sur la plage. Je confonds champ et chant, profondeur et hauteur. Que les dieux me pardonnent, je m’endors sans avoir abouti mon idée.
Toute la nuit, j’ai refait la lumière sur la baie. Douarnenez, à fleur d’eau était blanche, couronnée d’un nuage, une cravate de coton allongée sur le ciel. Une réplique de la Pointe du Raz faite d’eau et de crème. Elle larguait les amarres. J’étais peintre, photographe. Les chalutiers quittaient le port, coques rondes, ventrues, bleu saphir, bleu azur et turquin, vert émeraude, rouge feu, écrevisse et corail, sur les eaux enflammées par le soleil couchant. J’épuisai les falaises, tamisai les étoiles, quand autour de l’eau bleue, hippocampe héliotrope, poings fermés je dormis sous la lune.
Georges Perros, le poète, visita mon sommeil.
Il me parlait sur un ton de reproche.
— Ta mémoire est bien courte, Colporteur !
Il m’appelait Colporteur.
— Aurais-tu oublié que je repose dans le cimetière marin ?
—…
Dans mes rêves, je ne parle jamais. Une fois de plus, je restais muet.
— Ce ne sont pas les visites qui se bousculent, disait-il. Passe me voir, tu me liras un poème.
Lecture et Littoral – À la limite…
J’étais debout. Vivant. Heureux. Marines in Poèmes bleus de Georges Perros en mains.
Long poème qui chantait et qui chante toujours la Bretagne. En note, au bas du texte, j’avais écrit — Repose dans le cimetière marin de Tréboul à côté de Douarnenez. Une note oubliée retrouvée dans un rêve.
8 h 30 — Le cimetière est fermé.
Ouverture à 10 heures, indiquaient les horaires à l’entrée. Je balançai mon sac à dos par-dessus le mur d’enceinte et le suivis après avoir demandé à un homme qui sortait sa voiture de son garage dans la rue attenante au cimetière s’il avait connaissance de l’emplacement de la tombe de Georges Perros.
— La médiathèque ?
— Non, la tombe !
— Ah ! désolé, je ne sais pas.
N’ayant pas d’autre choix, je devins empirique, j’arpentai une à une les travées du cimetière et guettai les six lettres du nom de Perros au milieu de ces croix toutes tournées vers la mer. Je cherchai l’éclat rouge, blanc ou vert de son nom comme un phare au-dessus de la baie.
C’était mal le connaître, Georges Perros aimait vivre caché. Douarnenez fut son antre, sa demeure d’écriture blottie loin de Paris et de ses fausses lumières. Je devais mieux chercher, ou alors autrement, être plus attentif à l’infra, à l’infime, l’inscription inaudible parmi les Le Goff – les Le Gall – les Pinson – les Celton – Bonizec – Le Bihan – Peucalet – Douarinou – Moulinec – Kerivel – Le Troadec, tous gravés en lettres d’or sur les marbres les plus chers ou devenus illisibles, envolés dans le vent des saisons.
Trente minutes plus tard, toujours point de Perros.
Me fallait procéder plus finement. Voyageur temporaire au milieu du cimetière, je sortis mon portable. Une photo sur le net montrait sa tombe sur un fond d’arbres. En grossissant le document, j’identifiai des chênes. Leur présence sur le haut du cimetière, côté Est, par-delà son enceinte, guida mes pas sans faillir vers la tombe du Poète qui signait son dernier domicile et celui de sa compagne d’un discret signe.
Georges et Tania Poulot
en lettres noires sur un morceau de granit que je soupçonne Georges Perros de l’avoir choisi sans forme géométrique précise, carré, rectangle, un peu trapèze du fait d’un angle plus haut que l’autre. Une pierre blanchie par les lichens. Aucune coordonnée. Une paix intemporelle.
Des graviers où l’on pose d’ordinaire une dalle, entourés d’un muret bordé lui-même de plusieurs vagabondes trouvant là de quoi vivre un été – vergerette, picride fausse épervière proche du pissenlit, trèfle à quatre feuilles, ruine romaine et paritaire.
Mon sac posé à terre, je m’assis en tailleur et je lus.
« Toi qui dans la halte d’une journée peut-être difficile
As choisi de lire
Plutôt que d’écouter, ou de voir
N’as-tu pas la télévision […]
Je t’invite à chercher avec moi
Cette carte encore imaginaire
Dont je te propose l’exploration
Dont je te demande de parcourir
Les lieux de haute sensibilité.
Que mes faibles mots
Profitent un peu du miracle
De nos mémoires conjuguées
Nous entendrons battre le cœur
Fût-ce faiblement
De ce pays à l’extrême-ouest de L’Europe
Qu’on appelle la Bretagne,
Ou plus précisément,
L’Armor […] »
Le texte allait, simple, enchanteur, de thématique en thématique, la guerre, l’amour, le crachin, les coiffes des Bretonnes et le départ des hommes à la pêche. Dans la douceur du jour qui montait au-dessus du cimetière, j’ai lu Marines gagné par la sincérité de l’homme. Son cœur ne trichait pas.
Un employé municipal passa ouvrir la grille du cimetière. Des promeneurs entrèrent pour y goûter l’heure et le calme. Quelques voiliers quittèrent la base nautique en contrebas en face de l’île Tristan. Je vis deux veuves aller chacune vers leur mort. L’été répartissait ses tâches. J’accomplissais la mienne.
À l’instant-même où je me tus, un chat, à robe blanche et noire, sortit de derrière la stèle de Georges et Tania Poulot, vint se frotter à moi, passa près de mon sac, se roula sur le dos au milieu de l’allée et disparut sans émettre le moindre miaulement.
Crédits photos : Marc Roger / ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Lecture et Littoral : une année de lectures à travers 5000 km de rencontres
Paru le 26/05/2023
64 pages
Finitude Editions
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Paru le 30/05/2019
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Paru le 01/01/1999
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3 Commentaires
Louis Lebrun
30/08/2023 à 15:38
Que de pommade... ça fait pas de mal à un chat... encore que... c'est un vrai guide pour l'enfer... pendant que d'autres crevent bien en vrai... continuez donc à déambuler... en touriste...
Bertrand Runtz
30/08/2023 à 23:19
C'est vraiment un superbe projet ! Magnifique chronique. Bon vent
B.R.
jujube
31/08/2023 à 08:00
Chat, mer, cimetières font bon ménage en miaulant.
Au bout de balade et texte, enfin le banc.
Hélas, refaire itinéraire à l'envers: chat perdu entre tombes et mer?