Ce 7 août, on apprenait le décès du réalisateur américain William Friedkin d’une insuffisance cardiaque et d’une pneumonie, à l’âge de 87 ans. Ces œuvres les plus célèbres ont toutes été des adaptations de roman : L’Exorciste, Sorcerer, French Connection, La Chasse ou encore Police fédérale, Los Angeles. Son ultime long-métrage, The Caine Mutiny Court-Martial, autre adaptation, sera présenté lors de l’édition 2023 de la Mostra de Venise.
Le 08/08/2023 à 14:58 par Hocine Bouhadjera
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08/08/2023 à 14:58
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S’il commence sa carrière de cinéaste de fiction à la fin des années 60, c’est à partir de French Connection en 1971 que William Friedkin s’impose comme un réalisateur important d’Hollywood. Ce classique du cinéma au budget d’1,5 million de dollars, adapté du roman homonyme de Robin Moore, met en scène deux détectives du NYPD qui mènent une enquête sur le trafic de drogue français qui inonde les rues de la grosse pomme.
Au fur et à mesure de leurs investigations, le duo révèle un vaste réseau criminel qui s’étend des bas-fonds de Brooklyn jusqu’à Marseille. Le film, qui adapte le livre inspiré de faits réels, est réputé pour sa réalisation immersive et torturée. Il explore les aspects moraux et éthiques de la lutte contre la drogue, avec un Gene Hackman qui se laisse souvent emporter par son obsession, franchissant les limites de la légalité pour arriver à ses fins, le tout dans une atmosphère de déréliction générale.
L’interprétation de ce dernier lui vaut l’oscar du meilleur acteur en 1972, comme William Friedkin celui du meilleur réalisateur. L'œuvre obtient également l’Oscar du meilleur scénario adapté, outre celui du meilleur film.
L’ambiguïté des êtres et de leurs motivations, un grand sujet de ces années 70 en quête de plus de réel dans l’art. Une demande du public à l’époque de la guerre du Vietnam, du Watergate et de la culture hippie née la décennie précédente, mais aussi un déclin des studios hollywoodiens traditionnels notamment concurrencés par l’émergence de la télévision dans les années 50 et 60.
Résultat : cette décennie 70 constitue pour beaucoup l’âge d’or artistique d’Hollywood, période désignée sous le terme de « Nouvel Hollywood ». Des jeunes cinéastes influencés par le cinéma européen et sortis des écoles de cinéma, comme Francis Ford Coppola, John Cassavetes, Martin Scorsese, Robert Altman, Michael Cimino, Brian de Palma... ou encore William Friedkin. Ils profitent de cet élan pour prendre des risques - provoquer, innover, explorer des thèmes sociaux et politiques, briser les conventions cinématographiques… –, en s'appuyant sur les grands moyens financiers des studios.
Toute une époque avec son esprit téméraire : William Friedkin tue presque un passant pour le besoin d’une scène. Dans ses mémoires, Friedkin Connection - Les mémoires d'un cinéaste de légende (trad. Florent Loulendo), édité en France en 2014 chez la Martinière, il raconte : « Je ne risquerais plus la vie des autres comme nous l’avons fait, mais les meilleurs moments de la poursuite sont venus de cette longue course avec trois caméras. Les piétons et les voitures se sont précipités hors du chemin, avertis uniquement par la sirène venant en sens inverse. [...] J'ai mis la vie de gens en danger. Je dis cela plus par honte que par orgueil, aucun film n’en vaut la peine. Pourquoi l’ai-je fait ? … Je partageais l’obsession des personnages. »
Deux ans après French Connection, Friedkin réalise un classique de l’horreur, L’Exorciste, adapté du best-seller du même nom de William Peter Blatty, paru en 1971. L’écrivain s’inspire ici d’un exorcisme réel de 1949. L’histoire suit Regan, une jeune fille de 12 ans, jouée par Linda Blair, qui commence à montrer des signes de possession démoniaque après avoir joué avec une planche de ouija. Ses comportements de plus en plus terrifiants et inexplicables poussent sa mère, Chris MacNeil, interprétée par Ellen Burstyn, à faire appel à deux prêtres, dont l’un est porté par Max von Sydow, pour exorciser le démon...
Le film provoque une grande controverse lors de sa sortie, avec des spectateurs évanouis, choqués par sa crudité et son sujet sacrilège. Un buzz comme on dirait aujourd’hui qui en fait un énorme succès au box-office, mais aussi critique : 2 Oscars — du meilleur son et scénario adapté pour William Peter Blatty —, 4 Golden Globes, des effets spéciaux avant-gardistes et une bande-son mythique.
« Il y a des moments dans l’industrie du cinéma où il vaut la peine d’être considéré comme une personne dangereusement psychotique », résume le cinéaste. Et d’ajouter : « Blatty a essayé de cultiver cette réputation, et à l’occasion, moi aussi. » Les deux hommes qui ont collaboré au scénario partageaient le point de vue selon lequel « c’était une histoire unique et originale. Je ne l’ai pas vu comme un film d’horreur, bien au contraire, je l’ai lu comme transcendant, comme Blatty l’avait voulu. »
La production n’a en revanche pas été de tout repos : le calendrier prévu est dépassé, un décor a été détruit par un incendie et, un acteur non professionnel, William O’Malley, a eu du mal à trouver la bonne émotion. Il retranscrit un moment du tournage dans ses mémoires : « Est-ce que tu m’aimes ? Oui, dit O’Malley, tremblant. Dis-le ! hurle Friedkin. Oui, je t’aime Billy, tu le sais. Puis je l’ai giflé aussi fort que j’ai pu et je l’ai poussé à genoux, à côté du corps couché de Jason Miller. J’ai dit Action ! O’Malley a éclaté en sanglots et a interprété la scène. »
4 ans plus tard, il réalise ce que beaucoup de spécialistes de sa filmographie jugent comme son meilleur film : Sorcerer. Une oeuvre tirée du roman de 1949, Le Salaire de la peur, de Georges Arnaud, déjà adapté de manière magistrale par Henri-Georges Clouzot en 1953. Un voyage extrêmement périlleux au fond de l’Amérique latine, porté par les acteurs Roy Scheider et Bruno Cremer, dans lequel le réalisateur injecte une part de réalisme magique.
Un film en apesanteur éclipsé à sa sortie par le phénomène Star Wars, dans les salles la même année. Le film de George Lucas participa à la fermeture de la parenthèse Nouvel Hollywood, et à l’avènement des grosses productions grand public.
Dans sa décennie 80, on peut citer La Chasse, en 1980, adapté du roman Cruising du journaliste criminel du New York Times Gerald Walker, édité en 1970. Ici, Al Pacino infiltre l’univers gay cuir de New York pour les besoins d’une enquête, offrant à l'acteur un de ces rôles les plus intenses. Un long-métrage controversé lors de sa sortie, notamment en raison de sa représentation de la communauté gay et des préoccupations concernant la stigmatisation. Un des films favoris des cinéastes Quentin Tarantino et Nicolas Winding Refn, cependant.
Autre long-métrage important de la filmographie du regretté maître, Police fédérale, Los Angeles, adapté du roman de Gerald Petievich, To live and die in L.A. Ce dernier a co-écrit le scénario avec le réalisateur. Sorti en 1985, il met en scène Richard Chance, interprété par William Petersen, un agent secret audacieux et impétueux du service des enquêtes spéciales du Trésor américain.
Lorsque son partenaire et ami proche est tué par un faussaire notoire nommé Eric Masters, joué par Willem Dafoe, Chance devient obsédé par l’idée de le traduire en justice. Avec l’aide de son nouveau coéquipier, John Vukovich (John Pankow), il se lance dans une quête dangereuse et non conventionnelle pour capturer Masters, même si cela signifie enfreindre la loi et traverser des lignes morales...
Ses œuvres des années 90-2000 sont moins importantes, avec une mention pour Killer Joe, de 2011, avec notamment Juno Temple et Matthew McConaughey, adapté de la pièce éponyme du Prix Pulitzer 2008 Tracy Letts, qui participa, là encore, à la rédaction du scénario.
Dans ses mémoires toujours, il confie s'être efforcé de construire une couche souterraine de terreur, de mystère, d’obsession, et de dissonance dans toutes ces histoires, sous une forme viscérale. Ces personnages sont la plupart du temps pris par des sentiments plus ou moins explicables de peur et de paranoïa, des « vieux amis ». En outre, ses films finissent rarement bien...
Pour son ultime long-métrage, William Friedkin s’est appuyé sur Ouragan sur le Caine de Herman Wouk, édité en 1951 et Prix Pulitzer l’année suivante. Son film, The Caine Mutiny Court-Martial, met en scène le procès du lieutenant Stephen Maryk pour une mutinerie qui permit de sauver l’équipage de l’USS Caine pris par un cyclone, dans le golfe Persique.
William Friedkin naquit le 29 août 1935 à Chicago, dans une famille juive d’Ukraine qui a fui les pogroms du début du XXe siècle, vivotant à certains moments des aides sociales. Il décrit : « Tous mes amis vivaient de la même manière. Ayant grandi parmi eux, je n’avais aucune connaissance des livres, du cinéma, de la musique ou de la morale. Je ne connaissais littéralement pas la différence entre le bien et le mal. »
Dans les années 50, il entre dans une chaîne de télévision locale, gravit les échelons, et réalise en 1962 un premier documentaire, The People vs. Paul Crump, sur un condamné à mort qu’il jugeait innocent. Crump reçoit finalement la clémence, et Friedkin déménage à Los Angeles où il monte des documentaires pour le producteur David Wolper.
Dans cette période, le téméraire William laisse, pour les besoins d’un sujet, un acteur du projet tirer une cigarette de sa bouche à 50 pas, ou pénètre dans une cage avec un dompteur de lions, plus tard tué par l’une de ces bêtes. Il réalise son premier son premier long-métrage en 1967, Good Times, avec les chanteurs Sonny et Cher, ou The Boys in the Band en 1970, un des premiers films grand public qui met en scène une distribution gay.
Le grand admirateur d’Orson Welles était également un homme de caractère : Alfred Hitchcock lui reprocha un jour de ne pas porter de cravate sur le plateau à l'occasion du tournage d'un épisode de L’heure d’Alfred Hitchcock. Des années plus tard, Friedkin remporta le Directors Guild Award pour French Connection, et pris sa revanche : dépassant Hitchcock alors qu’il quittait le podium, il a tiré sur son nœud papillon et a plaisanté : « Comment trouvez-vous la cravate, Hitch ? »
Un autre exemple de son approche iconoclaste est sa décision de créer un compte Amazon pour publier un seul commentaire, avec 1 étoile sur 5, pour conseiller de ne pas acheter un DVD de Sorcerer...
Parmi les nombreux hommages au cinéaste, on peut citer celui de Guillermo Del Toro : « Le monde a perdu l’un des dieux du cinéma. Le cinéma a perdu un vrai érudit et j’ai perdu un ami cher, loyal et vrai. William Friedkin nous a quittés. Nous avons été bénis de l’avoir. »
En France, on peut citer les hommages des journalistes Philippe Rouyer et François Angelier, et terminer sur l'adieu d'un autre maître du 7e art, Francis Ford Coppola, qui a déclaré : « Sa personnalité adorable et irascible était la face visible d’un géant magnifique, brillant et profond. William Friedkin était mon premier ami parmi les cinéastes de ma génération et je pleure la perte d’un compagnon très aimé. »
Crédits photo : Elen Nivrae (CC BY-SA 2.0) / Domaine public
Par Hocine Bouhadjera
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3 Commentaires
Necroko
09/08/2023 à 03:28
Le convoi de la peur n'est disponible ni en BR ni en DVD ni en VOD ni en SVOD = bravo
Rieg Davan
09/08/2023 à 04:39
du coup Disney va s'en sortir de sa coupe woke sur The French Connection...
Marie
09/08/2023 à 09:26
La sortie du film "L'exorciste" était glaçante, voire traumatisante. Après, c'était hilarant, on n'y "croyait" plus, eh oui!