Le film de Romain Cogitore agite les esprits : diffusé sur Disney+ (et disponible via les services partenaires), ce drame puise dans les ressources shakespeariennes du classique Roméo et Juliette. Zone à Défendre, ou ZAD, voici comment l’engagement politique vire au Roméo et Juliette, sauce Mickey.
Le 08/07/2023 à 12:11 par Clément Solym
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Publié le :
08/07/2023 à 12:11
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Greg, un agent de la DGSI, est envoyé sous un pseudonyme pour s'infiltrer dans une ZAD. Là, il croise la route de Myriam, une militante pour l'environnement. Au bout de 18 mois, il retourne sur les lieux pour une mission officielle, retrouve Myriam et découvre qu'elle a un enfant. Partagé entre sa vocation professionnelle et des sentiments naissants, Greg se voit obligé de prendre une décision, à même de tout bouleverser, car le temps est compté : tout disparaîtra sous peu.
Dès ses débuts, l’expression ZAD désignera un espace occupé arbitrairement, mais avec une dimension politique intrinsèque. Des squats avec une portée militante, souvent opposée à la construction d’une infrastructure ou un aménagement représentant une menace pour l’écosystème local et l’environnement.
Des Zones autonomes temporaires aux Zones à défendre, il n’y eut qu’un pas, progressivement franchi. L’exemple de l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes, en France au début des années 2010 porta à la connaissance du grand public non seulement le terme, mais surtout les revendications.
Si l’approche du réalisateur ne convainc pas forcément, la littérature sur le sujet ne manque pas. Et certainement avec une dimension nettement plus concrète. Voici une sélection de lectures et d’ouvrages à (re) découvrir pour aborder la ZAD sans les grandes oreilles de la souris américaine.
Avec Zones à défendre —De Sivens à Notre-Dame-des-Landes (2016), Philippe Subra revenait sur ces espaces avec l’intention d’analyse le phénomène sociétal, pour en offrir une compréhension claire.
En 2012, les ZAD — « Zones A Défendre » — ont fait leur apparition, représentant une forme inédite de résistance aux projets d’aménagement. Que signifie cette tendance et quelle est son influence ? Qu’indique-t-elle sur la progression des contestations aux projets et aux politiques d’aménagement ?
Est-ce un événement isolé, émanant des circonstances spécifiques de quelques litiges particuliers, une agitation temporaire qui se résoudra une fois les solutions adéquates trouvées, ou est-ce un phénomène novateur, présage d’une radicalisation persistante de la protestation environnementale ? Doit-on anticiper un essor des ZAD chaque fois qu’un projet de ligne à grande vitesse, de centre commercial ou de périphérique menace une zone humide ou des terrains agricoles ?
En 2022, Jièm publiait Zones à défendre, un roman qui s’inscrit justement dans l’un de ces territoires.
Fatiguée de sa vie monotone à Sainte-Rogatienne sur Gardon, Lysbeth part pour Montpellier, cherchant des horizons nouveaux. De son côté, Fred, tourmenté par la dyslexie et l’échec scolaire, choisit de partir « sur la route » pour apaiser sa colère intérieure. Géraud, lui, mène une existence paisible en guidant un groupe de scouts, jusqu’à ce que Xavier, un nouvel ami, entre dans sa vie. Ces trois parcours se croisent dans un coin retiré de Haute-Provence, là où un sénateur local projette de s’approprier les terrains d’une agricultrice.
Face à cette menace, une Zone A Défendre s’établit sur le pré des Blâches. Le récit « ZoneS à défendre » utilise le fil conducteur de la tension politique pour suivre l’évolution de ces individus qui, par cette expérience, vont grandir et protéger, envers et contre tout, leurs propres territoires intérieurs. Comme le dit Sénateur Malandrieux, l’initiateur de ce bouleversement : « Cette agitation, je suis à l’origine. J’ai planté des graines, et voici que les idées bourgeonnent. Il faut admettre que cette ZAD est un sol fertile extraordinaire. »
Plus personnel, l’ouvrage de Virginie Gautier, Vers les terres vagues — Approche de la Zone à défendre (2022) dépeint le parcours — déplacement, exploration, contemplation — en direction de la Zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes. C’est un récit à la première personne d’un vécu émotionnel, subjectif et politique : un vécu d’investigations, de rencontres, et de création de liens.
Cette narration, initialement méditative et solitaire, temps de marche, se transforme ensuite en séjour à l’essai de ce « nous » qui s’efforce de s’édifier à Notre-Dame-des-Landes. Vers les terres vagues tisse des connections entre des temporalités et des espaces distincts, mais aussi entre une utopie, ce « fantasme d’une chose », et son confrontation à la réalité.
D’ailleurs, cette ZAD a pris une autre dimension avec l’ouvrage paru en 2016 que signait Hélène Merlin-Kajman, Lire dans la gueule du loup — Essai sur une zone à défendre, la littérature. Un analogie intéressante qui fait de la littérature une de ces Zones à Défendre.
Ce texte met l'accent sur l'importance de la transmission littéraire, en particulier l'acte des parents lisant à leurs enfants. Il perçoit la littérature comme un pont entre le soi intime et le monde extérieur. Face à une crise apparente de la littérature dans les sociétés démocratiques, Hélène Merlin-Kajman envisage son futur. Elle met en question le besoin de sauvegarder, promouvoir et peut-être créer de nouvelles façons de partager la littérature en respectant les valeurs individuelles, l'autonomie, la liberté, ainsi que la solidarité et la citoyenneté.
Le rôle des lettres dans ce cadre et les valeurs cognitives, esthétiques et thérapeutiques qu'elles pourraient apporter aux citoyens en démocratie sont également examinés. L'objectif est de restaurer le partage littéraire pour que les œuvres littéraires, souvent observées à distance ou seulement à travers le spectre des sciences humaines, se reconnectent avec nous et tissent de nouveaux liens.
Enfin, le sujet reviendra pour la rentrée littéraire, avec Démocratie : zone à défendre !, de Jean-François Bouthors (août 2023).
La démocratie est un combat. Cela avait été oublié, dans l’euphorie de l’effondrement du mur de Berlin. L’ascension de régimes non libéraux ou totalitaires et le conflit en Ukraine sont venus le rappeler. Face à la décomposition de la vie politique et aux multiples défis à venir, beaucoup commencent à croire qu’une autorité autocratique pourrait être la réponse. Va-t-on privilégier la liberté à l’assujettissement ? L’avenir est en péril.
Pour préserver la démocratie, il est nécessaire de revisiter ses racines et ses bases, d’analyser les conditions de sa pérennité, de saisir le mouvement intime. Le partage équitable de l’incertitude du monde — car c’est de cela qu’il s’agit —, requiert bravoure et résolution.
Enfin, malheureusement épuisé, ZAD partout - Zone à défendre à Notre-Dame-des-Landes signé de L'Insomniaque. Sorti en 2013, il évoque un coin de bocage, dont le développement a été retardé, est devenu un symbole des décisions précipitées des oligarchies. Un projet d'aéroport non désiré et imposé a engendré une résistance insoupçonnée chez les résidents, aboutissant à un mouvement anticapitaliste marquant.
Ce lieu représente une convergence de solidarité envers les agriculteurs exploités, une affection pour la terre qui nourrit et une résolution de lutter contre les forces destructrices de la planète. Soumis à un assaut intensif, ce bastion naturel s'est transformé en une zone de défense, mais également en une zone de vie au sein d'un combat disproportionné. C'est un espace de dialogue et d'indépendance, où se développent jardins et styles de vie communautaires basés sur l'entraide.
Sur ce terrain en friche, des structures poétiques apparaissent, offrant une vision d'habitation alternative à celle prescrite par le marché et l'uniformisation imposée. Cette lutte a su se prémunir de l'exploitation politique et médiatique, tout en conservant l'appui et la sympathie engendrés par son importance et sa portée.
Crédits photo : ZAD de la colline, 19 février 2021 - Dodoïste, CC BY SA 4.0
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
Paru le 16/03/2017
150 pages
Editions de l’Aube
11,00 €
Paru le 11/01/2022
460 pages
MVO Editions
20,00 €
Paru le 18/03/2022
122 pages
Nous
14,00 €
Paru le 14/01/2016
317 pages
Editions Gallimard
23,50 €
Paru le 22/08/2023
102 pages
Editions de l’Aube
15,00 €
Paru le 23/05/2013
141 pages
L'Insomniaque
15,00 €
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Aradigme
10/07/2023 à 10:30
Dans le cas de Notre Dame des Landes, le projet d'aéroport a été soumis à la population locale par referendum. La population locale, à la majorité, a approuvé ce projet. Mais face à la résistance violente des occupants de la ZAD, dont beaucoup ne vivaient pas sur place, le pouvoir politique a finalement reculé et abandonné le projet.
Dans le cas de la ZAD de Notre Dame des Landes, nous voyons donc que des minorités déterminées et violentes, qui occupaient un terrain illégalement, ont eu gain de cause vis à vis du vote des citoyens locaux. Pas sur que ce soit un succès de la démocratie.
Jièm
01/08/2023 à 13:56
Bonjour,
Les ZAD posent la question de bien commun et d'intérêt individuel. Concernant le référendum, il est important de regarder qui pouvait voter et les résultats des votes par communes.
Aussi, je me permets de poser une question :
Les seuls occupants de la forêt amazonienne sont-ils les seuls légitimes à décider d'un projet de déforestation ?
Jiem
27/07/2023 à 19:21
Merci pour votre article.
Le phénomène ZAD est effectivement à suivre. NDDL est un élément fondamental et fondateur à noter au même titre que le combat du Larzac. J'invite les lectrices et lecteurs à lire si ce n'est déjà fait Nature humaine de Serge Joncourt pour le côté paysans et Subtil béton par les aglomeré.e.s pour le côté clandestinité et répression.
Merci
Jièm