Inaugurée en août 2022, la collection Urban Nomad chez Urban Comics (Média Participations), incarne la proposition de la maison pour des titres plus accessibles, notamment au niveau tarifaire. François Hercouët, directeur éditorial d'Urban Comics, revient pour nous sur les motivations et la mise en œuvre de cette offre particulière au sein du catalogue.
ActuaLitté : Quels sont les objectifs de la collection Urban Nomad ?
François Hercouët : Le premier objectif, celui qui a initié la réflexion autour de Nomad, a été d’ordre pratique : celui de permettre une lecture continue de nos titres. « Continue » dans le sens où quel que soit l’endroit où vous vous trouvez, vous pourrez poursuivre votre lecture. Et cette réflexion nous a naturellement amenés à repenser l’objet livre. Le poche en littérature (vs le grand format) nous a semblé être le format le plus naturel et le plus en phase avec nos contenus (le côté sériel et relativement dense des comics qui peut rapprocher son mode de lecture de celui d’un roman).
Par la suite (et là, je parle de 4 ans plus tard), cette première idée s’est doublée d’une volonté d’accessibilité et de diffusion de nos contenus. La question du format souple était en train de prendre forme. Celle du contenu était entendue (un mélange de titres à la fois super-héroïques et de titres de genres couverts par feu le catalogue Vertigo avec des séries comme Fables, Transmetropolitan, Y le dernier homme et d’autres à venir) et l’accessibilité par le prix était, quant à elle, devenue centrale. Restait à équilibrer les détails de cette équation Format x Contenu x Prix d’où résulterait l’alchimie qui fait de votre livre un succès ou une évidence (un exercice qui confine parfois au mysticisme, vraiment).
Entre-temps, nous avons tenté les opérations à petit prix qui, si elles génèrent un chiffre d’affaires conséquent, ne permettent pas (de notre expérience) de fidéliser le lectorat et à terme, de le diversifier. À la différence de ces opérations temporaires par définition, nous avons souhaité créer avec Nomad une habitude de lire des comics à travers l’intégration de séries dès la première vague de titres.
J’en profite pour rappeler que Nomad s’inscrit depuis le début comme une collection pérenne, dont les titres seront réimprimés et qui se développera en parallèle à nos éditions cartonnées, l’une ne se substituant en aucun cas à l’autre.
Pour résumer, les objectifs sont donc multiples : praticité de lecture, diffusion de la culture comics et accessibilité par le prix.
Quels sont les leviers d'action d'Urban Comics pour parvenir à un prix aussi compétitif sur ces titres ? Des économies sont-elles réalisées sur la qualité du papier ou le lieu d'impression des BD ?
François Hercouët : Outre les leviers habituels du tirage et du seuil d’amortissement, nécessairement plus élevé que pour le reste de notre production, nous sommes parvenus à maintenir un niveau de qualité de l’objet (rabats, grammage du papier, cahiers cousus et pas simplement collés) qui permet de nous assurer une perception par les lecteurs et lectrices supérieure à celle que l’on pourrait attendre pour ce type d’offre. Pour réussir ce tour de force, on peut saluer les efforts et la compétence de notre partenaire CPE Conseil, incarné par Claude Pedrono et Benoît Peris.
Quant aux autres leviers, il n’y a rien de magique : il s’agit véritablement d’un pari commercial qui met en équation la curiosité du lectorat pour cette offre pérenne, qualitative sur le plan éditorial et aux prix contenus (de 5,90 € à 9,90 € selon la pagination) dans un contexte de crise économique.
La création d'Urban Nomad fait suite à celle des comics proposés à des prix très bas (je pense au Meilleur de Batman, à 4,90 €) : la tendance générale est-elle à une « dévaluation » du comics ?
François Hercouët : Si la multiplication de ce type d’opérations sur le marché français des comics peut l’induire, cette idée de « dévaluation » est tout à fait impropre en ce qui nous concerne.
Depuis le lancement de Nomad, et surtout depuis la période de Noël qui a été une étape cruciale pour valider le concept, nous n’avons constaté aucun phénomène de « cannibalisation » des titres Nomad sur nos éditions cartonnées. On peut même observer l’effet inverse pour certains titres.
Aussi, les ventes de ces derniers mois nous ont confirmé que nous sommes parvenus à développer une offre complémentaire légitime, capable d’atteindre des lectrices et des lecteurs qui, jusqu’ici, ne pouvaient se permettre le « luxe » de lire nos titres. L’autre objectif esquissé lors du lancement était également de permettre à des points de vente généralistes, où les comics sont plutôt rares, d’implanter les titres Nomad, attractifs et peu encombrants. L’avenir nous dira si la tendance se confirme. Quant aux librairies spécialisées, les remontées terrain sont quasi-unanimes : le lancement et la 2e vague de janvier sont de véritables succès, que l’on considère Nomad comme simple produit d’appel ou non.
Côté éditorial, Nomad nous a également permis de revaloriser un fond qui avait naturellement perdu en dynamique avec l’absence de nouveautés pour certaines de ces séries. Les titres Vertigo cités plus haut retrouvent depuis une seconde jeunesse, auprès d’un nouveau lectorat. Mais également, des lecteurs de super-héros qui ne pouvaient se permettre d’étendre leurs achats jusqu’au catalogue Vertigo, quand bien même ils en entendaient du bien depuis des décennies. On observe un vrai phénomène de rattrapage sur ce plan.
Si la collection Nomad a été conçue bien avant la crise qui nous touche actuellement, elle trouve aujourd’hui un écho salvateur sur le marché. Ainsi, elle permet à la culture comics de s’étendre un peu plus et au-delà de ses lecteurs naturels.
Plutôt que de rester attentistes, nous choisissons donc la proactivité en proposant différents formats pour nos albums. Une preuve récente de cette position a été le lancement courant 2021 de notre grand format Urban dont la hauteur vient tutoyer celle des albums de BD européenne et qui a pour but affiché de faire sortir ces titres du rayon comics pour aller essaimer parmi les BD de genres. Je parle de titres comme Toutes les morts de Laila Starr, East of West, Une soif légitime de vengeance, Seven to Eternity. Ou plus récemment, The Nice House on the Lake qui, chacun dans leur genre — fable humaniste, thriller, uchronie, dark fantasy, horreur psychologique — sont la preuve de la diversité des genres en comics. Ils ne peuvent décemment pas être réduits au seul genre super-héroïque.
Que ce soit avec Nomad, Urban ou notre catalogue DC et Indies, notre objectif a toujours été de valoriser la culture comics et de la mettre à la portée du plus grand nombre, en adaptant si besoin l’objet livre. Et nous avons encore d’autres pistes à développer !
Le prix vous semble-t-il un obstacle important à l'accès aux comics, pour les lecteurs français ?
François Hercouët : Le prix et la hausse des prix seront évidemment toujours un obstacle lorsque l’on parle de culture, surtout dans le contexte actuel. À nous, éditeurs, de trouver le meilleur compromis pour la rendre accessible.
C’est la force d’un groupe comme Media Participations de pouvoir défendre commercialement le pari que représente Nomad. Si le prix est un levier évident, dont on peut mesurer très rapidement l’effet, la médiation culturelle est l’autre dimension de notre travail éditorial.
Éduquer, faire découvrir de nouveaux auteurs, faire naître des passions et parfois même des vocations, reste au cœur de nos préoccupations depuis la création d’Urban Comics il y a maintenant 10 ans. Cela passe par un travail de terrain en initiant notre force commerciale à la culture comics, mais également en tissant des relations durables avec le réseau des libraires, médiathèques et bibliothèques.
À l’occasion de nos 10 ans, nous avons également créé un catalogue physique destiné en priorité aux libraires, et disponible pour tous en version PDF, dont l’objectif premier est de révéler la diversité des genres en comics. Un axe qui s’est doublé de la création d’intercalaires — par personnage et par genres — mis à disposition des libraires en septembre dernier. Enfin, le contact direct avec les lecteurs reste primordial, via les réseaux sociaux, mais aussi par le biais d’une newsletter que je diffuse depuis 2021 et qui est devenue au fil des publications un véritable espace d’échanges avec les lectrices et les lecteurs.
Sur quels critères sont sélectionnés les titres de la collection Urban Nomad ?
François Hercouët : Pour les 10 titres de notre première vague, nous avons joué la sécurité avec pour but affiché de rassurer les libraires. Aussi, ces albums sont tous relativement connus et ont largement dépassé la barre des 20.000 ventes. Ils ne représentent donc pas un risque à proprement parler. On n’a plus à se demander ce que valent Watchmen, Batman — La cour des hiboux, Fables ou Transmetropolitan.
Nous avons cependant pris le risque commercial d’y faire figurer placer Watchmen dès le départ. Si le phénomène de cannibalisation avait été avéré, cela aurait occasionné un gros manque à gagner, le titre s’écoulant toujours à plusieurs milliers d’exemplaires chaque année dans notre édition à 35 €. Mais il n’en a rien été. Ce pari commercial était une manière de dire aux libraires : « On croit à ce point en Nomad que nous sommes prêts à mettre Watchmen en jeu ! » Et puis, symboliquement, pouvoir associer la réussite de Nomad à un titre comme Watchmen revêt une signification particulière pour l’équipe.
Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, dans la traduction de Jean-Patrick Manchette, est le premier album publié par Urban Comics en 2012,. C'est une sorte de manifeste de la manière dont on envisageait notre métier d’éditeur de comics. Le placer parmi les premiers titres de Nomad était à l’origine d’une sorte de renaissance pour nous.
À LIRE : Prix réduits, formats différents : secteur BD cherche nouveaux lecteurs
Il faut bien avoir conscience que Nomad constitue une véritable révolution copernicienne à notre échelle. Nous étions connus comme l’éditeur d’ouvrages massifs, à dos noir et en cartonnés. Aussi, proposer, l’année de nos 10 ans, un format aux antipodes du standard cartonné que nous avons en quelque sorte institutionnalisé, ça a été à la fois un vrai défi et un exercice intellectuel particulièrement satisfaisant. Une formidable manière de se réinventer tout en gardant son identité, un principe qu’Héraclite n’aurait pas renié.
Aussi, fidèles à notre volonté de faire découvrir la diversité des genres en comics, nous avons partagé l’offre Nomad entre récits de super-héros accessibles et récits de genres : fantasy avec Fables et cyberpunk avec Transmetropolitan. Depuis janvier, l’anticipation et la dystopie se sont ajoutées au menu avec Y le dernier homme et V pour Vendetta. Ceci dit, même lorsque nous proposons Batman en Nomad, nous le plaçons plus volontiers dans un registre thriller que super-héros. Rendez-vous au printemps pour la troisième vague… où l’on défendra, entre autres, la cause animale !
Quels sont les tirages de chacun des titres de la collection ?
François Hercouët : Les premiers tirages pour chaque titre atteignent aujourd’hui les 20.000 exemplaires. Pour entrer un peu plus dans le détail, les albums de la première vague ont largement dépassé les 10.000 ventes en seulement 4 mois. Mais plus satisfaisant encore, ils gardent un taux d’écoulement très sain, soutenu dans le cas des séries par les suites de Transmetropolitan ou Fables qui était, avec V pour Vendetta, le meilleur démarrage de notre deuxième vague.
Photographie : quelques titres de la collection Urban Nomad
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
Commenter cet article