Au Bénin, l’ONG Tous pour le livre a déjà créé 7 bibliothèques dans le département du Zou et elle se fixe comme objectif, pour 2023, de couvrir le département voisin, Les collines. 17 bénévoles autour de Chédrack Dègbé œuvrent pour que les enfants puissent se retrouver dans un lieu de lecture, ouvrir leurs horizons et améliorer leurs connaissances.
Le 06/03/2023 à 15:57 par Agnès Debiage
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Publié le :
06/03/2023 à 15:57
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L’ONG Tous pour le livre vient d’être labellisé Club Unesco et son président Chédrack Dègbé se démène beaucoup pour faire avancer l’association. J’ai parlé de lui à plusieurs professionnels du livre béninois, tous le connaissent, l’estiment et en parlent comme d’une personne engagée à fond dans son projet. Alors je me suis demandée comment fonctionnait cette association et qu’est-ce qu’elle faisait concrètement comme actions, avec quels moyens. Et j’avoue que les paroles de Chédrack m’ont touchées.
Propos recueillis par Agnès Debiage, créatrice de ADCF Africa.
Comment a démarré cette idée de créer cette association, quels en sont les prémices ?
Chédrack Dègbé : Je donnais des cours de français à des collégiens et lycéens. Je me suis rendu compte que les jeunes que j’avais en cours n’avaient quasiment rien lu. Un jour j’ai posé la question à l’un d’eux « Combien de livres as-tu lu dans ta vie ? ». Il a réfléchi et m’a répondu « Je crois que j’en ai lu deux. » Qu’est-ce que c’est que deux livres, quand on est déjà adolescent ? D’un autre côté, j’entendais autour de moi, des gens qui répétaient que les enfants ne veulent plus lire. Alors je me suis demandé si nous, adultes, devions continuer à penser ainsi en restant les bras croisés. Est-ce qu’on ne pouvait pas se bouger un peu pour essayer d’inverser la tendance ? Cela a été une vraie prise de conscience pour moi et un élément déclencheur à mon petit niveau pour me mettre en action. Ma première réflexion a été de me dire que si les enfants ne lisent pas, c’est parce qu’ils n’ont pas de livres.
Alors qu’avez-vous fait concrètement ?
Chédrack Dègbé : En 2018, j’ai décidé de commencer à sensibiliser les adultes et notamment les professeurs de français et j’ai organisé des cafés littéraires et des activités autour des livres pour les amener à mobiliser leur énergie au service de notre jeunesse. Moi j’habite à Abomey dans le département du Zou qui compte 9 communes. Donc j’ai voulu créer des clubs de lecture dans ces 9 communes avec des activités. Aujourd’hui, 5 ans après, nous avons un calendrier de 8 événements par an et, à chaque rendez-vous, tous les clubs de lecture s’animent en même temps. Notre prochain rendez-vous est le 25/03 de 9h à 12h et portera sur la thématique de la nature. Les enfants y écriront des poèmes pour participer à un concours international et nous aurons des lectures tous ensemble.
Comment cette initiative a-t-elle été accueillie par les autorités locales ?
Chédrack Dègbé : Sur ces 9 communes, seules 2 avaient des bibliothèques. Alors nous avons entamé les discussions avec les mairies pour que chacun fasse sa part de travail. Localement, elles devaient trouver une salle qui pouvait accueillir la bibliothèque, si possible l’aménager et déléguer une personne de leurs employés pour s’en occuper. Et l’ONG Tous pour le livre se chargeait d’apporter des livres, de former la personne en charge de la bibliothèque et d’organiser des animations. D’ailleurs nous organisons une formation chaque année regroupant toutes les bibliothécaires.
Chédrack Dègbé, président de Tous pour le livre
Quelle est la position de l’État béninois ? Recevez-vous une aide officielle ?
Chédrack Dègbé : Nous avons fait toutes les démarches pour que l’association soit enregistrée officiellement au niveau légal et ai un compte en banque dédié, avec une assemblée générale annuelle. Nous sommes en contact avec le ministère de la Culture et le directeur de la Bibliothèque nationale du Bénin. D’ailleurs, une délégation du ministère de la Culture est venue participer à l’une de nos activités. La relation s’est renforcée grâce à la Bibliothèque nationale du Bénin qui nous a offert près de 40 cartons de livres. À l’époque, cela nous a énormément aidé à mettre en place les bibliothèques et nous avions enfin de quoi soutenir les différentes communes. Il existait 2 bibliothèques dans le Zou, nous en avons créé 5 et aujourd’hui ces 7 bibliothèques communales sont ouvertes quotidiennement aux enfants.
Est-ce que les enfants peuvent emprunter les livres ?
Chédrack Dègbé : Nous ne sommes pas encore au niveau du prêt car nous n’avons pas assez de livres pour cela. Notre fonds documentaire a besoin de s’étoffer pour pouvoir franchir cette étape. Nous avons tous types de livres et notamment des livres scolaires qui sont très importants pour l’apprentissage. D’ailleurs, l’an dernier nous avons organisé une grande collecte et des amis nous ont aidés à avoir des ouvrages, qu’ils soient au programme officiel des écoles ou pas.
Aujourd’hui, les enfants viennent dans les bibliothèques pour lire mais aussi pour étudier et trouver des ressources pour réaliser leurs exposés. Nous voulons de plus en plus mettre l’accent sur les livres de jeunesse car ils permettent d’amener les enfants vers la lecture. Si l’on prend le cas des albums, au bout de 15 minutes, un enfant peut l’avoir lu et c’est formidable. Dans le cadre de nos activités, nous réservons toujours des temps de lecture. Les enfants adorent cela et ils en redemandent car ils ne veulent pas manquer les rendez-vous des activités.
Aujourd’hui, qui soutient votre action ?
Chédrack Dègbé : Chaque année, nous initions une grande collecte de livres et chacun de nous mobilise tout son réseau et ses amis. La première année, nous avons obtenu 500 ouvrages. Et l’an dernier, nous avons collecté plus de 3000 livres. On espère en 2023 atteindre les 5000 pour nos 7 bibliothèques. C’est très enthousiasmant pour moi de porter ce projet. Des amis, des écrivains, des éditeurs, des libraires, des associations comme Tivoli sans frontières en France, sont conscients de notre travail de terrain et nous aident en nous donnant des livres.
Quels sont vos projets pour l’année à venir ?
Chédrack Dègbé : Vous êtes la première à qui je confie que nous prévoyons la mise en place de bibliothèques dans le département voisin des collines, sur le même modèle que ce que nous avons fait dans le Zou. Là-bas, il y a 6 communes. Nous sommes en lien avec une association intéressée par ce projet et qui nous aide. Ainsi, nous avons commencé les contacts avec les 6 maires concernés. On a déjà obtenu l’accord de 3 maires sur les 6, qui sont en train d’organiser ces lieux pour accueillir rapidement les livres et les enfants. J’ai bon espoir pour que les 3 autres communes soient favorables aussi à ce projet.
Nous aimerions pouvoir accompagner un nouveau département chaque année pour développer petit à petit ce réseau de bibliothèques qui n’existe pas. Il y a 77 communes au Bénin, nous en avons déjà couvert 7 et nous travaillons sur les 6 prochaines pour 2023. Cet objectif national n’est pas irréalisable et nous sommes motivés.
Qu’est-ce qu’il vous manque pour mieux développer votre action ?
Chédrack Dègbé : Résolument, il nous manque des moyens financiers. Il faut que les personnes qui liront cette interview comprennent bien les conditions dans lesquelles nous menons tout cela. Nous sommes une équipe de 17 bénévoles et dans chaque commune, il y a un point focal, véritable personne ressource. Depuis 5 ans que nous sommes sur le terrain, nous n’avons aucun partenaire financier qui nous permette de mieux déployer nos efforts. Seules les cotisations et quelques amis nous soutiennent.
Moi, je suis franchement engagé, que nous ayons des fonds ou non. Je suis prêt à foncer parce que je mets beaucoup de sens dans notre action qui est très stimulante lorsqu’on voit les yeux émerveillés des enfants. Aujourd’hui, il est toujours très compliqué pour nous financièrement parlant de nous déplacer d’une ville à l’autre. Cela a un coût lorsqu’on doit aller dans le département voisin. Il en va de même lorsqu’on nous donne des livres, il faut que j’aille les chercher, souvent à Cotonou et que je me débrouille avec les moyens du bord pour les ramener vers le Zou.
J’ai une moto et mon oncle me prête son tricyle. Il m’arrive souvent de préfinancer certaines dépenses car sinon je ne pourrais pas les engager. Je tiens à ce qu’en fin d’année, nous puissions tous nous réunir pour partager un repas mais cela occasionne des frais aussi. Les télécommunications aussi ont un coût pour chacun d’entre nous. L’accès a internet est un souci constant. Aujourd’hui, pour vous parler en visio, j’ai dû venir dans un grand centre éducatif de ma ville pour avoir une connexion stable avec mon téléphone, sinon je n’aurais pas pu vous parler ainsi.
En parlant d’internet, avez-vous une connexion dans les différentes bibliothèques qui vous permette d’accéder aux ressources numériques ?
Chédrack Dègbé : Ah non, aucune. Ce serait formidable un jour qu’elles deviennent des médiathèques. Je sais qu’il y a des bibliothèques numériques qui existent mais nous ne pouvons pas y avoir accès sans un partenaire qui nous soutienne dans cette démarche. C’est sûr que le numérique ouvrirait d’autres portes de découvertes dans nos espaces. Certains maires ont évoqué cette possibilité mais à ce jour, ce n’est pas encore une réalité, le wifi n’est pas présent dans nos bibliothèques. Mais je suis plein d’espoir car on peut espérer que les choses évolueront. Quand je vois que la bibliothèque de Cové, via la municipalité a reçu un don de livres, et en plus tout neufs, c’est tellement joli à voir ! Alors internet j’en rêve et j’ai bon espoir qu’un jour ce soit une réalité.
Avez-vous déjà été en contact avec des organisations internationales ?
Chédrack Dègbé : Non, pas vraiment, mais j’ai des amitiés dans certains pays comme le Cameroun, le Togo, la France où des personnes se mobilisent pour nous soutenir. L’association Tivoli sans frontières est en lien avec nous. Tous essayent de nous aider à leur niveau car ils sont conscients de notre travail sur le terrain. Les entreprises béninoises ne se sont pas encore intéressées à notre action. J’aimerais que l’Institut français aussi regarde de plus près notre action qui va dans le sens de leur projet Ressources éducatives car nous sommes sérieux, constamment sur le terrain et nous faisons de notre mieux pour faire avancer la lecture jeunesse.
Quel serait votre rêve pour l’ONG Tous pour le livre ?
Chédrack Dègbé : J’aimerais que l’ONG soit plus reconnue, qu’elle ait un vrai bureau (pour l’instant c’est une pièce de ma maison d’Abomey qui fait office de bureau) adossé à une médiathèque avec plein d’enfants et de jeunes. Avoir un partenaire financier qui puisse nous soutenir, comme, par exemple, pour bénéficier d’une connexion internet haut débit. Je sais qu’il y a des appels à projets mais je ne peux pas travailler dessus ou suivre des visioconférences. Pourtant, ce serait impactant pour notre développement. Autre exemple, nous aurions besoin d’un véhicule pour couvrir les déplacements, les transports de livres qu’on nous met à disposition à Cotonou. Ce n’est peut-être pas grand-chose pour certains mais cela changerait le quotidien de notre association et faciliterait tellement notre action. Je pense qu’un jour des gens s’apercevront du travail que nous menons bénévolement, avec régularité et sérieux.
Pour contacter et suivre les activités de l’ONG Tous pour le livre
Crédits photos © Chédrack Dègbé
Par Agnès Debiage
Contact : adcfconsulting@gmail.com
1 Commentaire
VODOUNNOU Peace Prospéra zinhoué
10/03/2023 à 09:17
D'abord félicitation à monsieur Chédrac pour son engagement et son sérieux. Je suis très contente de voir à quel point il est impliqué dans son travail. Tout est dit dans ses propos. J'ajouterai qu'il faudra faire recours aux médias pour plus de sensibilisation et de visibilité. Pourquoi ne pas aller à l'ortb par exemple pour en parler. Car ce qu'il a commencé mérite vraiment d'être encouragé. La jeunesse n'a plus de vocabulaire enrichi et c'est dommage. Pour bien s'exprimer tout passe par la lecture.
Bravo à l'équipe Tous pour le Livre.
Le meilleur reste à venir.
Merci