Créé à l'occasion d'un mouvement d'opposition à la réforme du système de retraite, en 2019, le collectif Carton Plein a repris ses activités en 2021, après le hiatus de la crise sanitaire. Le nouveau projet de réforme du système de retraite sollicite et, paradoxalement, renforce, ce réseau de revendications et d'actions.
Le mardi 28 février, en fin de journée, la première réunion publique du collectif Carton Plein a investi le bar restaurant Le Lieu Dit, dans le 20e arrondissement de Paris. Pour la première fois, la structure dédiée aux travailleurs des librairies donne rendez-vous à d'autres métiers de la chaîne du livre. L'objectif ? Évoquer l'opposition au projet de réforme du système de retraite, mais aussi poser les bases d'un mouvement transversal, pour « faire entendre une voix commune », nous indique Maxime, libraire membre du collectif.
Retour en 2019 : alors que le premier mandat d'Emmanuel Macron est marqué par un premier projet de réforme du système de retraite, un embryon de collectif se développe. Au cours de discussions nées au Monte en l'Air (20e) ou à La Friche (11e), des libraires parisiens émettent l'idée d'une organisation d'« autodéfense des employés de la librairie », parallèle à la représentation syndicale.
La crise sanitaire, sans effacer les préoccupations — en les aggravant même parfois —, suspend la concrétisation du projet. En 2021, celle-ci s'accélère finalement, avec l'émergence du nom Carton Plein, la définition d'un certain cadre, celui du collectif, et des rendez-vous mensuels au Lieu Dit.
Le constat dressé par Carton Plein sur les conditions de travail en librairie (capture d'écran du site du collectif)
« Pour le moment, nous restons un collectif informel », annonce Maxime, « avec des rencontres mensuelles où les libraires peuvent venir, revenir ou non la fois suivante. L'idée était surtout, dans un premier temps, d'ouvrir la parole, de partager nos expériences, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. »
Cette phase de partage d'expérience se prolonge, à l'occasion des assemblées générales coorganisées par le collectif ou sur des groupes WhatsApp. Mais elle devrait prochainement s'accompagner d'actions plus concrètes. « On tâtonne encore, l'idée est d'être un porte-voix sur les revendications, les problèmes que les employés des librairies peuvent connaître sur leurs lieux de travail. »
Maxime poursuit : « Pour l'instant, nous opérons surtout des constats, nous repérons des lieux où ces problèmes sont récurrents. L'idée finale serait d'être un peu plus interventionniste, d'aller à la rencontre des institutions ou structures qui ferment les yeux ou tolèrent ces comportements. »
Les employés sont défendus, dans le secteur de la librairie, par des organisations syndicales. La CGT arrive en tête de la représentativité, à 47 %, devant la CFDT (40 %) et Force Ouvrière (12 %). Côté patronal, le discours et les revendications sont incarnés par le Syndicat de la librairie française (SLF).
Récemment, le dialogue entre la CGT et le SLF a été quelque peu houleux autour des revalorisations salariales, le syndicat estimant que les négociations sur ce point sont trop rares et trop timides. De son côté, l'organisation patronale a mis en avant, notamment auprès du gouvernement, les hausses des charges salariales face aux faibles marges des librairies.
Le collectif Carton Plein a vite réalisé que certains atomes crochus le rapprochaient de la CGT Librairies, avec un discours commun sur les conditions de travail en librairie. Toutefois, « la distinction reste importante pour certains participants », et l'action du collectif cherche aussi à servir les salariés d'enseignes sans représentants du personnel, avec un effectif qui ne dépasse pas, souvent, la dizaine d'employés.
« Nous avons entendu beaucoup de témoignages de harcèlement, de pression mise par les employeurs, d'heures supplémentaires non rémunérées, de chantage à la survie de l'entreprise, d'attaques racistes parfois. Des faits assez violents se passent en librairie », avance Maxime.
Lieux chargés d'une forte symbolique, intellectuelle, voire sociale, les librairies ne sont pas forcément considérées comme les terrains de conflits entre salariés et employeurs.
L'autre préoccupation du collectif se déploie vers les apprentis et apprenties, « de l'École de la Librairie ou d'IUT, qui rapportent des choses inadmissibles : réaliser le travail d'un employé pour un salaire moitié moins élevé ou faire la fermeture de la librairie après quelques semaines ».
Contacté, Laurent Garin, président de l'École de la Librairie, rappelle que, « comme tous les salariés, les apprentis peuvent être confrontés à des difficultés dans le cadre du contrat de travail ». L'organisme de formation, installé à Maisons-Alfort, estime que ces problèmes concernent 3 à 5 % des apprentis.
« Nous privilégions la médiation entre l'apprenti, l'école et la structure qui le reçoit », explique Laurent Garin, qui détaille : « Un membre de la direction de l'École et le responsable de la formation peuvent effectuer une visite dans la librairie, et un lien existe, toute l'année, entre la librairie et l'école d'une part, et, bien sûr, l'apprenti et l'école d'autre part, par le biais d'un tutorat. »
Avant la validation d'un apprentissage, l'organisme de formation procède à des vérifications, par un questionnaire, sur les conditions d'accueil de l'apprenti, notamment sur l'expérience du maître d'apprentissage et les tâches qui seront réalisées.
« Si un casus belli persiste, nous pouvons procéder à la rupture du contrat d'apprentissage, avant d'accompagner le jeune pour la signature d'un nouveau contrat, dans une autre structure », indique encore le président, qui précise que ce cas de figure est survenu une seule fois, pour « non-respect du code du travail » par l'employeur.
Carton Plein déplore que l'École de la Librairie « continue d'accepter des contrats avec des structures à problèmes », mais l'établissement précise qu'une « attention soutenue » reste la règle.
Rappelons que le développement de l'apprentissage fait partie des objectifs d'Emmanuel Macron : en janvier dernier, il annonçait vouloir arriver « à un million d'apprentis par an pour 2027 », contre 800.000 contrats signés en 2022. Lorsqu'ils embauchent un apprenti au sein de leur entreprise, les employeurs touchent une aide substantielle, avec une rémunération indexée sur le SMIC, en fonction de l'âge de l'apprenti.
Le projet de réforme du système de retraite a mobilisé un certain nombre de libraires en France, avec plusieurs fermetures à l'occasion des journées de grève générale. « Cette réforme a mis tout le monde d'accord sur le fait que nous n'étions pas d'accord », observe Maxime. La réunion publique du 28 février s'inscrit dans le mouvement d'opposition, avec le lancement d'une caisse de grève et la volonté de fédérer les métiers du livre.
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Des travailleurs de la distribution, de l'édition, des bibliothécaires, des correcteurs ou encore des chargés de relation en librairie se sont retrouvés au Lieu Dit. Ils ont évoqué avec les libraires la possibilité d'organiser des grèves en alternance dans le milieu du livre pour « participer à l'arrêt de l'économie et lutter contre cette réforme ».
D'après la température prise au Lieu Dit, une partie des participants envisage de doubler l'effort, les 7 et 8 mars prochains. De plus, le 8 mars étant la journée de lutte pour le droit des femmes, elle servira de point d'appui pour avancer des revendications spécifiques car les carrières des travailleuses seront les premières impactées par cette réforme.
Revenant à la librairie, le collectif Carton Plein espère rompre le silence installé par le Syndicat de la Librairie française, « dont la position, nous l'avons appris récemment, est de ne pas avoir de position. On trouve étrange que le SLF ne s'exprime pas alors qu'un certain nombre de librairies baissent leur rideau. »
À ce titre, le collectif a remarqué un « très bon accueil » des libraires lors des tournées de sensibilisation, y compris par les gérants des enseignes. « Le mouvement s'est attiré une sympathie très générale », se félicite Maxime.
Des artistes-auteur.ices seront présent.es aux rendez-vous listés ci-dessous, dans différentes villes de France, nous indique-t-on.
Cet article a été mis à jour afin de rendre compte de manière plus exacte de l'organisation des assemblées générales et des cortèges des métiers du livre dans les manifestations, qui ne sont pas le seul fait du collectif Carton Plein.
Photographie : illustration du collectif Carton Plein (capture d'écran)
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