Malgré un contexte économique des plus complexes, miné par l'inflation, le gouvernement a présenté, le 10 janvier dernier, les grandes lignes de sa réforme des retraites. L'appel à la mobilisation générale des syndicats de travailleurs, pour ce jeudi 19 janvier, sera suivi dans le secteur du livre, puisque l'allongement de la durée du travail le concerne dans son ensemble.
Le 18/01/2023 à 12:44 par Antoine Oury
3 Réactions | 540 Partages
Publié le :
18/01/2023 à 12:44
3
Commentaires
540
Partages
La principale mesure de la réforme du système de retraite voulue par le gouvernement n'aura échappé à personne : l'âge légal de départ serait porté à 64 ans à partir de 2030, contre 62 ans aujourd'hui. Dès le 1er septembre 2023, un trimestre supplémentaire au travail serait ajouté chaque année, jusqu'en 2030.
Cet âge légal de départ à la retraite signifie qu'il sera possible de cesser de travailler à 64 ans, mais cela ne garantira pas pour autant une retraite à taux plein. En effet, la durée de cotisation seule importe dans le calcul de la pension, et celle-ci dépend de l'année de naissance.
Tableau fourni par le site servicepublic.fr
Un travailleur ou une travailleuse qui décide de mettre fin à sa carrière avant le cumul du nombre de trimestres d'assurance retraite exigé, subira une baisse en conséquence de ses revenus. Seul l'âge de 67 ans permettra d'obtenir une retraite à taux plein, sans application d'une décote.
Cet allongement de la durée du travail dans une vie se justifie, pour le gouvernement, par l'allongement de la durée de vie, sans considération pour la durée de vie en bonne santé, un facteur d'inégalité pourtant flagrant. Mais aussi par le déficit du système, qui n'alarmait pourtant pas outre mesure le Conseil d’orientation des retraites dans son rapport 2022.
Les alternatives pour soutenir système de retraite ne manquaient pas : de la contribution relevée des entreprises à une hausse générale du niveau des cotisations, en passant par l'imposition de l'épargne salariale. Mais c'est bien la durée du travail qui a été choisie par le gouvernement.
Parmi les mesures annoncées pour contre-balancer cet allongement de la durée du travail, le maintien d'un dispositif « carrières longues » permettra, sous certaines conditions, de partir à la retraite avant les 64 ans. Le gouvernement assure que le montant de la retraite minimale sera relevé de 100 € en septembre 2023, bien que le nombre de personnes concernés par cette augmentation reste « flou », selon Ouest-France.
Ce montant minimum sera indexé sur celui du SMIC, à hauteur de 85 % de ce dernier, et non sur l'inflation.
Les salariés du livre, au même titres que les autres employés du privé et les fonctionnaires, sont bien concernés par ce projet de réforme. Toutes les personnes nées après le 1er septembre 1961 travailleront deux années supplémentaires si les propositions du gouvernement sont votées — dans ce cas, elles devraient s'appliquer dès le 1er septembre 2023.
Les métiers du livre, des auteurs, traducteurs et correcteurs aux libraires en passant par les éditeurs et les employés de la distribution, relèvent du régime général. Ce dernier est celui que vise principalement le gouvernement avec sa réforme du système des retraites. Les bibliothécaires, relevant de la fonction publique, sont aussi visés, avec le report de l'âge légal et l'allongement de la durée de cotisation également. Toutefois, le mode de calcul reste basé sur les six derniers mois de carrière (sans prise en compte des primes), tandis que la moyenne des 25 années les mieux rémunérées sert de base pour les salariés du privé.
Les données semblent manquer pour évaluer la situation des retraités du secteur du livre. « Nos données de branche ne comportent pas d’information sur l’âge de départ en retraite des libraires », nous indique ainsi le Syndicat de la Librairie française, une observation qu'il est possible d'étendre à tout le secteur du livre. Le Syndicat national de l'édition, sollicité, indique qu'il ne prend pas position, sans apporter de précision sur les retraités de l'édition.
Au sein de la filiale de distribution d'un grand groupe éditorial français, on constate aussi l'absence de données précises, mais bien la présence d'une « population vieillissante, où certains seraient soulagés d'obtenir un plan de départ », au vu des conditions de travail. Seule « une journée d'information sur nos droits, à l'âge de 55 ans » est proposée dans ce même groupe.
Malgré les charges lourdes portées dans le cadre de la manutention qu'exigent certains métiers du livre, notamment la librairie, la distribution ou des tâches en bibliothèque, les salariés du secteur ne bénéficient, à notre connaissance, d'aucun aménagement lié à la pénibilité de la réforme du système de retraite voulue par le gouvernement.
La mobilisation de ce jeudi 19 janvier est nationale, avec un appel intersyndical : fonctionnaires comme employés peuvent donc faire grève. À cet appel s'en ajoutent d'autres, portées par des organisations plus spécifiques au secteur du livre.
Le Syndicat général du Livre et de la Communication écrite CGT appelle ainsi à la mobilisation, pour « un puissant coup d'envoi d'un mouvement social de grande ampleur ».
À la Bibliothèque nationale de France, ce syndicat très actif, avec d'autres, a aussi relayé l'assemblée générale du personnel, à quelques jours de la mobilisation du 19 janvier.
Force Ouvrière appelle aussi à la grève, comme le syndicat CFDT, qui représente une certaine part des salariés de la branche librairie.
Quelques auteurs ont manifesté leur opposition à la réforme du système de retraite dans les médias. Pierre Lemaitre fut l'un des premiers à réagir, dès les premiers jours de janvier. « Je vois une société qui ne me convient pas, avec une répartition des richesses qui est scandaleusement disproportionnée », expliquait-il alors sur France Inter, faisant part de sa participation aux futures mobilisations.
Admettant « peut-être bien la nécessité de réformer le système des retraites », il précisait d'emblée : « [O]n vit dans une société qui est terriblement fracturée et qui est au-devant d’événements tellement majeurs : le réchauffement climatique, cette guerre en Ukraine qui aura bientôt un an. Mettre ce sujet à l’avant-plan aujourd’hui, c’est à la limite de la provocation et de la maladresse. »
Des confrères et consoeurs de l'auteur d'Au revoir là-haut partagent visiblement sa colère, à en croire une tribune collective publiée par Politis. Alain Badiou, Lauren Bastide, François Bégaudeau, Pierre Bergounioux, Arno Bertina, Laurent Binet, Hélène Cixous, Alain Damasio, Rokhaya Diallo, Annie Ernaux, Hugues Jallon, Nicolas Mathieu, Christian Prigent ou encore Henri Trubert portent, entre autres artistes, ce texte vigoureusement contre un « projet de réforme archaïque et terriblement inégalitaire ».
Au-delà de cette mobilisation pétitionnaire, les auteurs, en tant que maillon le plus fragile de la chaine du livre, sont particulièrement concernés et inquiétés par la réforme du système proposée par le gouvernement.
Comme tous les actifs du régime général, les auteurs ont en effet des droits à la retraite, avec une cotisation versée pour assurer ces dernier. Cette cotisation s'élève à 6,90 % des revenus perçus par les écrivains, à laquelle s'ajoute une contribution sociale des diffuseurs à hauteur de 1,1 % du montant brut des droits versés à l'artiste-auteur pour l'exploitation de son oeuvre, un montant inchangé depuis plus d'une dizaine d'années.
À ce régime général s'ajoute un dispositif de retraite complémentaire, financé par une somme prélevée sur les rémunérations versées aux éditeurs et auteurs au titre du droit de prêt en bibliothèque. Cette pension est mobilisable à condition d'avoir obtenu le minimum de 30 points mais, pour l'obtenir au taux plein, il est nécessaire d'atteindre l'âge légal de la retraite ou l’âge d’ouverture des droits en cas d'obtention de la retraite du régime général. Notons que cette complémentaire fonctionne sur un système par point, où le montant de la pension est déterminé par la valeur de service du point : son montant est donc volatil.
La situation des artistes auteurs vis-à-vis de la retraite ne peut être abordée sans évoquer le « scandale Agessa ». Cette association, chargée de la protection sociale des écrivains depuis 1978, n'a pas rempli sa mission de collecte des cotisations auprès d'un nombre non négligeable d'auteurs, environ 190.000 d'entre eux. Jusqu'en 2012 au moins, « l'Agessa, en charge d'appeler les cotisations retraite, a décidé de ne pas s'occuper des artistes-auteurs dont les revenus étaient en-dessous du seuil d'affiliation, alors même que c'était sa mission », résume Manu Causse-Plisson, membre de la Ligue des auteurs professionnels.
« En d'autres termes, les AA qui auraient pu et dû cotiser sur un à trois trimestres n'ont pas été sollicités, et se retrouvent aujourd'hui avec des trous dans leur carrière », poursuit-il. « Pour ces artistes-là, la réforme est une mauvaise nouvelle, puisqu'il leur sera très difficile d'atteindre le nombre de trimestres à l'âge légal ; ladite réforme aggrave donc mécaniquement le problème en ajoutant des trimestres supplémentaires. »
Cette situation, qui concerne aussi les artistes-auteurs ayant travaillé avec des éditeurs étrangers, n'a toujours pas été rectifiée par le gouvernement. Dans les faits, les auteurs peuvent « racheter des trimestres » de cotisation, selon un système mis en place en 2016 mais jugé préjudiciable depuis. Le prix de rachat s'élève ainsi à environ « 10% de la valeur initiale », nous indique Manu Causse-Plisson. Un trimestre qui aurait nécessité une cotisation de 105 € à l'époque peut être racheté 120 € aujourd'hui.
Mais, pour certains auteurs précaires, qui n'ont pu, par manque d'informations, cotiser à l'époque, ce montant peut atteindre les 1000 €, conformément au rachat de trimestre dans le cadre du régime général, une somme conséquente.
En 2020, le Défenseur des droits, saisi par une autrice concernée, avait observé que celle-ci devait obtenir en réparation du préjucide subi la validation gratuite des trimestres en question par l'organisme de sécurité sociale.
« Le dernier décret en date (octobre 2022) a apparemment fait baisser ce surcoût, en supprimant un taux d'actualisation ; toutefois, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, qui s'occupe de ce chiffrage, n'est pas pour l'instant en mesure de le faire », ajoute-t-il. Sur ce « scandale Agessa », la Ligue des auteurs professionnels et d'autres organisations associées « envisagent une action pour permettre rétroactivement aux AA ainsi spoliés de bénéficier d'un droit au rachat “minimal” pour les trimestres non appelés, cotisables ou non - car certains de ces trimestres auraient pu à l'époque être cotisés sur la base d'une aide sociale ».
Manifestation contre une autre réforme des retraites, en 2013 à Paris (illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Le problème de l'Agessa ne concerne plus les artistes-auteurs qui commencent leur carrière, mais la réforme soulève d'autres problématiques non moins importantes. Évoquant la précédente tentative du gouvernement autour des retraites, en 2019, Christophe Hardy et Séverine Weiss, coprésidents du Conseil Permanent des Écrivains, relèvent que la notion de « carrière complète » représente une menace non négligeable.
« [C]ette question demeure d’actualité, et constitue le plus grand problème de la réforme actuelle. En plus de leurs faibles revenus et de leur précarisation croissante, les auteurs sont souvent victimes d’une carrière “hachée”, fracturée, incertaine », rappellent-ils. « Nous estimons que cette réforme ne peut qu’aggraver une situation déjà complexe pour les artistes-auteurs : en plus de la difficulté de bénéficier d’une carrière complète, ils n’ont souvent pas la possibilité, étant donné leurs faibles revenus, de racheter des trimestres. » Ce rachat de trimestre est par ailleurs limité par la loi à 12 trimestres.
Se basant sur les quelques rares données disponibles, trouvées du côté de l'IRCEC (qui gère donc la retraite complémentaire), il apparait que 65 ans est l'« âge moyen de liquidation des droits à la retraite pour les auteurs affiliés au RAAP (donc déjà au-delà des 62 ans actuels, et des 64 ans prévus dans la réforme), précisément parce que les auteurs ont du mal à valider tous leurs trimestres », soulignent les coprésidents du CPE. « La reforme risque d'accentuer ces difficultés sans prévoir à ce stade de mécanisme “amortisseur”. »
Le Conseil Permanent des Écrivains, comme la Ligue des auteurs professionnels, se disent solidaires des artistes-auteurs. Le CPE nous indique avoir « sollicité un rendez-vous avec le ministère [de la Culture] sur le sujet » des retraites. Il prévoit une participation « lors du débat parlementaire pour que les spécificités propres aux carrières d'auteurs soient prises en compte, et pour formuler des propositions de mesures correctives adaptées, ainsi que de soutien aux auteurs les plus précaires ».
Outre la mobilisation dans la rue, un débat parlementaire doit en effet avoir lieu sur les propositions du gouvernement, dès le 6 février, en séance publique, à l'Assemblée nationale. Ce débat sera anormalement rapide pour des mesures avec de telles conséquences : intégré au projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, le projet de réforme de système des retraites ne bénéficiera ainsi que d'un temps d'examen parlementaire de 50 jours.
Par ailleurs, la présentation particulièrement cynique choisie par le gouvernement d'Elisabeth Borne autorise à cette dernière un recours illimité au tristement célèbre article 49 alinéa 3 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote. Autant dire que la lutte sociale est contrainte de se dérouler dans la rue.
Photographie : Panneau affiché lors d'une manifestation d'auteurs à Angoulême, en 2020 (illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
3 Commentaires
Glachant Didier Cgt Editis
18/01/2023 à 22:43
Appel unitaire à la grève et à la manifestation jeudi 19 janvier contre la réforme des retraites sur les réseaux sociaux et par mail
Action de tractage de la Cgt chez Editis mardi 17 janvier
Réforme des retraites : toutes et tous mobilisé.e.s le 19 janvier 2023 !
La retraite à 64 ans , c’est NON !
L’allongement des cotisations , c’est NON !
Nous , à la CGT , c’est :
Augmenter les salaires pour plus de cotisations sociales pour la sécu,
C’est 32 heures de travail pour éradiquer le chômage,
C’est 37,5 années de cotisation pour partir à la retraite avec les années d’études prises en compte,
C’est 60 ans pour tous, pour vivre pleinement de sa retraite ( 55 ans pour les métiers pénibles)
Mobilisons-Nous !
Agissons !
Paola Appelius
20/01/2023 à 16:35
On peut penser ce qu'on veut de la réforme des retraites portée par le gouvernement, la notion de carrière complète et le problème des carrières hachées mentionnés par Christophe Hardy et Séverine Weiss existe déjà aujourd'hui dans le système actuel et la réforme n'y changera strictement rien, puisque l'âge du taux plein sans décote reste à 67 ans. En revanche, il est proposé dans le texte de la réforme que les cotisations payées dans le cadre du cumul emploi-retraite une fois la retraite liquidée (cumul que font très souvent les auteurs) permettra de valider des droits supplémentaires et donc d'augmenter les pensions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui où les auteurs retraités cotisent seulement pour la solidarité. Tout n'est donc pas à jeter dans cette réforme et il vaudrait mieux se concentrer sur d'autres avantages à obtenir en compensation du recul de l'âge légal. Exemple pour les auteurs : prise en charge d'une partie des cotisations de la retraite de base et/ou de la retraite complémentaire par les éditeurs/diffuseurs (c'est le cas dans l'audiovisuel pour 25% des cotisations de la retraite complémentaire). Ou essayer de revenir sur la moyenne des 25 meilleures années pour le calcul de la pension qui est un VRAI problème pour les carrières hachées.
Falsetto
25/01/2023 à 16:13
Juste une précision. 67 ans ne vous permettra pas de toucher une retraite sans décote car on vous aplliquera une proratisation de vos trimestres.
50% du régime général fois vos nombres de trimestres acquis et divisé par les trimestres demandés (172 ).
Donc attention à bien prendre en compte ce paramètre.