Nouvelliste et romancière, Caroline Lamarche a publié plusieurs livres chez Gallimard, dont La Mémoire de l’air (2014), Dans la maison un grand cerf (2017) et Nous sommes à la lisière (Prix Goncourt de la nouvelle 2019). Invitée de Lire en Poche, à Gradignan, elle s'est livrée avec enthousiasme et avec nous, au questionnaire de Proust.
ActuaLitté : Quel est votre principal trait de caractère ?
Caroline Lamarche : La curiosité. Je suis une autrice très éclectique, qui travaille sur des sujets variés. J’aime ça.
La qualité que vous préférez chez un homme ?
Caroline Lamarche : La tolérance. C’était celle de mon père. Et s’il n’en fallait qu’une, ce serait l’humour. Je ne tombe amoureuse que des hommes qui me font rire.
Et chez une femme ?
Caroline Lamarche : Je pense à Florence Aubenas qu’on m’a présentée ce matin. Sa générosité, ou plutôt sa sororité : la complicité entre femmes qu’elle est capable de transmettre.
Qu’appréciez le plus chez vos amis ?
Caroline Lamarche : La joie et les encouragements. J’aime les gens joyeux. Et leur confiance en moi est importante. C’est une maladie de ma génération : il y eut des hommes qui furent de véritables alliés. D’autres posèrent des conditions inacceptables. J’apprécie ceux qui se prennent de votre écriture et l’aident à aller plus loin.
Votre principal défaut ?
Caroline Lamarche : Le manque de confiance en moi. D’où découle parfois une légère paranoïa.
Votre occupation préférée ?
Caroline Lamarche : Lire (avec un éclat de rire). Et écrire. Mais c’est inséparable. J’ai été une très grande lectrice avant d’écrire. Les deux sont liés. La lecture est le carburant de mon écriture : si je suis vide devant une page, c’est parce que je n’ai pas eu la possibilité de lire avant. Les œuvres m’apportent la confiance nécessaire.
Votre rêve de bonheur ?
Caroline Lamarche : Que cesse cet angle mort qui invisibilise les auteurs francophones ne vivant pas à Paris.
Et votre plus grand malheur ?
Caroline Lamarche : Perdre un enfant. Un de mes enfants.
Que voudriez-vous être ?
Caroline Lamarche : Un oiseau. Ils me fascinent. J’ai un amour immodéré pour eux, alors qu’ils sont en voie de disparition. Et très courageux. Ils me procurent beauté, émotion, chant : je me sens de leur famille.
Dans quel pays est-ce que vous désireriez vivre ?
Caroline Lamarche : Les Asturies, en Espagne. Le pays d’où je suis originaire. L’Irlande également. En réalité, tout ce qui est baigné par les flots de l’Atlantique.
Quelle est votre couleur favorite ?
Caroline Lamarche : C’est une couleur que je ne porte jamais : le rouge.
Votre fleur ?
Caroline Lamarche : Les pivoines. Pas pour la symbolique : elles sont à la fois robustes et fragiles, et associées au jardin de ma mère.
Vous allez rire : quel est l’oiseau que vous préférez ?
Caroline Lamarche : Ah oui ! L’hirondelle. Parce que précisément, en termes de courage, elle est la métaphore de la génération qui se confronte aux défis climatiques. D’abord, elles disparaissent parce que leur habitant est menacé. Et pourtant, elles reviennent et élèvent leur progéniture en revenant inlassablement. Au risque de ne pas pouvoir partir, elles attendent. C’est un symbole de l’humanité qui, face à ce qui lui arrive, doit continuer à malgré les dangers et les menaces,
Et puis, les hirondelles, quand elles sont là, le ciel est habité. C'est étrange, quand je le dis, certains ne comprennent pas.
Vos auteurs favoris en prose ?
Caroline Lamarche : Un mort connu, Flaubert, évidemment. Sinon, une femme : Flannery O’Connor, qui est mon modèle absolu. J’ai lu toute l’œuvre d’Annie Ernaux. Et cet écrivain qui est le Pierre Michon espagnol, Ricardo Menéndez Salmón.
Vos poètes préférés ?
Caroline Lamarche : Un seul, Apollinaire. Sans conteste.
Avez-vous des héros ou héroïnes favoris dans la fiction ?
Caroline Lamarche : Peut-être… eh bien, cela ne vient pas facilement. Je dirais celui des Fausses mesures : Eibenschütz, de Joseph Roth. Et celle du livre de Neel Doof, pour son livre autobiographique : Jour de famine et de détresse, écrit en français alors qu’était hollandaise en 1911. Issue d'une famille de bateliers, très pauvre, elle dut se prostituer pour survivre. Sa famille adorait les livres, et c’est ainsi qu’elle s’est élevée. Héroïne de son livre, c’est avant tout sa vie qu’elle raconte.
Des compositeurs que vous aimez ?
Caroline Lamarche : Bach… Bach, quelle merveille.
Et des peintres ?
Caroline Lamarche : Chardin. C’est magnifique. Et assez classique. Je l’ai découvert dans les manuels Lagarde et Michard, parce que j’ai fait études en France. Et j’ai appris histoire de l’art dans ces livres dédiés à la littérature. J’en suis tombée amoureuse à 14 ans… C’est à la fois intensément spirituel et concret : voilà comment je définirais la poésie.
Dans la vie réelle, avez-vous des héros ou héroïnes ?
Caroline Lamarche : Les héros, ce sont les victimes des inondations de juillet 2018, en Belgique, dont je recueille les témoignages depuis 10 mois : ces invisibles étaient souvent dans la précarité avant de voir leur vie détruite soudainement : dans leur parole, ils s'avèrent d’une justesse absolument bouleversante.
Un prénom ?
Caroline Lamarche : Caroline. Parce que c’est le mien. Quand mes parents l’ont choisi, ma grand-mère, trouvait excentrique. Masculin : c’est Gilles, le nom donné de pères en fils dans la famille Lamarche durant la période industrielle. Si j'imagine un personnage de fiction, j'ai toujours envie de l’appeler de la sorte.
Que détestez-vous par-dessus tout ?
Caroline Lamarche : L’abus du pouvoir. Ce qui inclut la manipulation émotionnelle, la perversité, la séduction déplacée… les formes sont multiples et les femmes en ont particulièrement souffert. Parce qu’elles n’avaient justement pas le pouvoir. Envers les enfants, les adultes vulnérables…
Un personnage historique que vous méprisez ?
Caroline Lamarche : Napoléon, pour son Code civil : il a retiré aux femmes la possibilité de gérer leur patrimoine. Elles furent ruinées par leur mari, en perdant leur indépendance financière. Pour celles qui en avant.
Un fait militaire que vous estimez particulièrement ?
Caroline Lamarche : Puisque je viens de Liège, la résistance acharnée en 14-18 et 39-45 à l’envahisseur allemand, qui a retardé l’avancée des troupes en France.
La réforme qui a le plus de valeur ?
Caroline Lamarche : Le droit à l’avortement et de vote pour les femmes. Mis en péril actuellement aux USA. Annie Ernaux aurait tant à dire, là encore.
Quel don de la nature souhaiteriez-vous ?
Caroline Lamarche : Que je voudrais avoir davantage, en réalité, et que j’acquiers parce qu’il vient avec l’âge : la légèreté. Fin de l’inquiétude, de la paranoïa. Mon père avait cela. La vie est plus grande que l’amour, la réussite littéraire. Rien ne vaut la vie, voilà ce qu’il disait.
Comment aimeriez-vous mourir ?
Caroline Lamarche : Comme tout le monde : dans mon lit en dormant. Le suicide est une réflexion qui mène à se demander comment disparaître par soi-même. Ce que l’on voit dans les ehpad y pousse : ce peut aussi être un cadeau. Puisqu’on peut changer de métier ou divorcer, pourquoi ne peut-on pas choisir sa mort ?
Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous actuellement ?
Caroline Lamarche : Heureuse. Avec la maturité vient une forme de paix et une façon de relativiser les échecs. Et une compréhension plus vaste, qui permet de saisir les opportunités et donc ne pas être effrayée que les choses n’aboutissent pas. Je suis devenue plus philosophe, en fait. Et très contente d’être une outsider, parce que les francophones et que j’en suis, ont beaucoup à apporter. Être présente sur plusieurs territoires est important : les patries d’adoption comptent beaucoup.
Quelles fautes vous inspirent le plus d’indulgence ?
Caroline Lamarche : Je peux être intolérante… mais j’éprouve un sentiment très puissant de justice. Au nom de la justice, je suis une femme de compromis, si poussée à bout. Parce que je suis écrivaine, parfois, les mensonges sont utiles, mais dans certains cas, c’est un atout et un égard pour autrui.
Avez-vous une devise ?
Caroline Lamarche : Oh, j’en ai bien une… mais je l’ai oubliée.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 #LireEnPoche22
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Paru le 31/03/2022
80 pages
CotCotCot Editions
13,50 €
Paru le 10/03/2022
197 pages
Editions Gallimard
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Paru le 21/01/2021
169 pages
Editions Gallimard
8,00 €
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