Précédé par un plébiscite des jeunes de 18 ans et un succès certain en librairies, le Pass Culture entend désormais développer ses offres gratuites. En somme, sortir du seul prisme de la consommation pour instaurer des habitudes et faire connaitre d'autres lieux, ainsi que leur programmation. Les bibliothécaires, à ce jour, se montrent particulièrement enthousiastes.
Le 28/07/2022 à 11:53 par Antoine Oury
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28/07/2022 à 11:53
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Le « jeune ». Depuis quelques mois, le monde médiatico-littéraire redécouvre cet étrange animal de librairie et de bibliothèque, dont les goûts le portent vers le manga, mais pas uniquement. La généralisation du Pass Culture, doté de 300 € à utiliser dans les librairies françaises et dans d'autres lieux de culture, a révélé l'attachement des jeunes majeurs au livre, mais aussi leur curiosité, remarquée par des libraires que nous avions interrogés.
En 2021, le livre et la librairie avaient bénéficié d'un « effet d'aubaine », puisqu'un confinement et des fermetures de salles de spectacle et autres théâtres poussaient naturellement les bénéficiaires vers d'autres dépenses. Parallèlement, le Pass Culture a pris de l'ampleur, avec un élargissement à d'autres tranches d'âge, dès 14 ans, et le développement d'une offre gratuite.
« En mai 2021, au moment du lancement du Pass, le message était essentiellement tourné vers les crédits et les dépenses culturelles, et les bibliothèques ne se sont sans doute pas senties concernées », nous indiquait en juin dernier Hélène Amblès, directrice du développement du Pass Culture. « Le Pass vient d'avoir un an, il est donc difficile d'apprécier ce point pour le moment, mais l'idée est que les jeunes utilisent encore l'application une fois les crédits dépensés — ce qui peut aller très vite. »
Autrement dit, prolonger l'usage du Pass Culture, l'application, s'entend, au-delà des 300 € de crédits accordés aux jeunes de 18 ans.
S'appuyant sur une application, le Pass Culture utilise le levier de la géolocalisation pour faire apparaitre des offres et activités culturelles dans l'environnement proche de l'utilisateur. Premier équipement culturel de proximité, la bibliothèque, avec plus de 16.000 lieux recensés et des animations régulières, en plus des collections et équipements mis à disposition, fait évidemment partie des résultats.
« Le dispositif a surtout été utilisé, au départ, par les théâtres et les musées, parce qu'ils disposent d'une billetterie, mais nous avons participé à l'expérimentation dès 2018 », témoigne Renée Morales, chargée du développement de l’action culturelle à la direction des médiathèques et du livre de la métropole de Montpellier. Au départ assez rares — car proposant des « expériences » gratuites —, les médiathèques participantes au Pass Culture sont désormais plus de 600.
Avec 14 médiathèques disséminées sur la métropole et un maillage assez conséquent, Montpellier constitue le terrain idéal pour le Pass Culture, « un dispositif que nous utilisons pour rendre notre communication plus efficiente, qui permet de montrer la variété de l'offre, mais aussi des lieux et des services », souligne encore Renée Morales. « La géolocalisation est vraiment un outil important, qui permet de ressortir dans une masse d'informations à laquelle les jeunes sont souvent exposés », estime Rozenn Le Bris, cheffe du service Programmation et communication des bibliothèques d'Aix-en-Provence.
En tant qu'outil de communication, le Pass Culture apparait redoutable aux yeux des bibliothécaires qui s'en sont emparés : « La plateforme a suffisamment de relais et d'audience pour que les jeunes trouvent les infos et viennent vers nous », observe Marie Berne, chargée de l'action culturelle pour Clermont Métropole.
Qui plus est, l'utilisation du Pass, du côté des porteurs d'offres, « est intuitive, aussi bien pour créer l'événement que pour le gérer ensuite ». « L'espace pro est vraiment très simple, même s'il manque peut-être quelques catégories pour des animations très spécifiques dans les bibliothèques », relève Manon Marcel, référente publics adolescents et jeunes adultes pour la Bibliothèque Méjanes — Allumettes d'Aix-en-Provence. Tous les professionnels que nous avons interrogés remarquent par ailleurs l'accompagnement attentif de l'équipe du Pass Culture.
Pour trouver des pourvoyeurs d'animations variées, l'équipe du Pass Culture a eu le nez creux en se tournant vers les bibliothécaires. Conférences, débats, projections de films, concerts, ateliers de réparation d'appareils, animations autour du jeu vidéo, murder party, rendez-vous autour des jobs d'été... « La mise en avant des événements culturels au sein des médiathèques permet vraiment d'élargir le champ des possibles des jeunes utilisateurs », indique Renée Morales.
« Tout ce qui tourne autour de la musique et des mangas draine beaucoup de public », ajoute-t-elle, mais, encore une fois, simplifier les centres d'intérêt de ce public serait trompeur. « Une conférence sur l'addiction a rencontré un certain succès en termes de réservations, ainsi qu'une conférence de la professeur de philosophie et autrice Marianne Chaillan sur Game of Thrones », relève ainsi Manon Marcel, du côté d'Aix-en-Provence.
« Nous nous adaptons à leurs goûts, bien sûr », poursuit-elle, « mais les données partagées par les équipes du Pass Culture permettent aussi d'obtenir une “photographie” à l'instant T de ces jeunes, pour mieux les connaitre et affiner les propositions. Mais aussi rechercher des propositions qui vont les surprendre : cette connaissance fonctionne dans les deux sens. »
Les professionnelles des bibliothèques que nous avons interrogées proposent en moyenne 4 à 5 événements par mois sur le Pass Culture, pour un investissement pas si important, en termes de temps et de travail. « Pour un réseau important comme celui d'Aix, dégager du temps n'est pas si compliqué, cela peut l'être un peu plus pour une plus petite équipe », estime Rozenn Le Bris.
Le Pass aurait enfin d'autres retombées positives sur l'organisation d'événements, en favorisant la coopération entre les différents acteurs d'un même réseau culturel de proximité : à Clermont, un partenariat avec la scène de musiques actuelles la Coopérative de Mai a ainsi offert une visite guidée du lieu à de jeunes usagers des bibliothèques.
Librairie ou bibliothèque, la question soulevée par le Pass Culture demeure : peut-il, à lui seul, créer des habitudes culturelles ? Et, dans le cas présent, forger un lien durable avec un ou plusieurs établissements de lecture publique ? Pour la plupart des médiathèques et bibliothèques présentes sur le Pass Culture, le recul n'est pas encore suffisant pour apprécier l'impact sur la fréquentation et les inscriptions des jeunes.
Sans surprise, le Pass ne supprime pas toutes les difficultés : « Certains jeunes s'inscrivent aux événements, mais ne viennent pas », reconnait-on dans un cas, « mais le Pass permet au moins de faire infuser l'idée qu'il se passe des choses à la médiathèque, qu'il ne s'agit pas seulement d'un lieu d'étude et de lecture », ajoute-t-on dans un autre. Un élément qui n'est sans doute pas si anecdotique : d'après des données du ministère de la Culture, les 15-24 ans fréquentent le plus les bibliothèques, au sein de la population, avant un lent déclin, d'année en année...
En l'absence de billetterie, mesurer la transformation des inscrits en participants reste complexe, à moins de recourir à une étude des publics présents lors des animations, « ce qui peut parfois être compliqué à mettre en place : on n'a pas forcément envie de répondre à un sondage, encore moins lorsque l'on est un ado ou un jeune adulte qui sort entre amis, sans les parents », rappelle Rozenn Le Bris.
L'une des futures possibilités du Pass Culture pourrait être l'intégration du catalogue des bibliothèques aux offres : la recherche d'un ouvrage mentionnerait alors son emprunt possible au sein du réseau. Mais un tel lien entre l'application et des bases de données complexes et conséquentes s'annonce complexe à créer. « Il y aurait peut-être quelque chose à faire avec nos ressources numériques », suggère Marie Berne.
Dans la plupart des établissements, l'inscription aux services des bibliothèques par la Pass reste impossible, pour des raisons liées au traitement et à la sécurité des données : « Nous avons fait une préinscription par le Pass, mais les jeunes ne sont pas vraiment venus la finaliser à la médiathèque », observe Manon Marcel à Aix-en-Provence. Par ailleurs, les informations personnelles récupérées pour un événement via le Pass ne peuvent être utilisées que pour l'information sur cet événement par les établissements, pour respecter les obligations en matière de données personnelles.
Depuis janvier 2022, le Pass Culture a été étendu, dans des conditions un peu différentes de celles des jeunes majeurs, aux élèves, dès la 4e, et le sera vraisemblablement bientôt dès la 6e. Les montants des crédits à dépenser sont moindres, et gérés avec les professeurs, tout comme, théoriquement, le choix des événements qu'ils serviront à payer.
À partir de la rentrée prochaine, les médiathèques se positionneront aussi sur ce créneau, en collaboration avec différents partenaires, comme à Aix-en-Provence : le Pass constituera, ici aussi, un « canal supplémentaire d’échange » avec les enseignants. « Il ne s’agit pas de contourner le rectorat ou les chefs d’établissements, mais de rendre la communication plus directe », précise Rozenn Le Bris.
Photographies : illustrations, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
17 Commentaires
nathalie
29/07/2022 à 07:51
Cette utilisation du pass culture suppose la géolocalisation . Qui sait comment et par qui seront utilisées toutes ces données de géolocalisation ???? et quid du jeune (ou de ses parents ) qui aurait refusé la dite géolocalisation de son smartphone pour des raisons de confidentialité et de préservation de données privées de déplacement ?
Est-ce que le pass culture ne peut être utilisé ? encore une fois on remarque que, sans mot dire, on habitue dès l'enfance à être pisté / tracé ....
rez
30/07/2022 à 12:40
en même temps on s'adresse à des jeunes perdus dans un environnement agressif comme ce sont les milieux urbains actuels. Des jeunes qui regardent le monde à travers l'écran dans ses mains. Où même les adultes doivent utiliser la géolocalisation (pas besoin de donner la sienne si on se situe manuellement sur la carte, hélas) pour trouver des choses de base comme une pharmacie.
donc oui ce n'est pas bien, ce n'est pas sympa mais c'est cohérent avec la situation actuelle. Peut-être qu'il faudrait bosser plutôt à coté pour une société moins numérique, mais sans pourtant entraver ce qui se fait
SamSam
29/07/2022 à 08:44
En route vers une économie d'assistés avec notre argent...Au lieu de fournir plus, avec des ouvrages de meilleure qualité, plus récents, plus diversifiés, les bibliothèques, le poudré alimente le marché. Et l'autre appelle un "grand succès".
rez
29/07/2022 à 12:18
le problème c'est que personne ne propose rien de concret tout en pointant du doigt l'ensemble de défauts de ce genre de démarche. Donc, grand max, on se retrouve avec des commentaires pas utiles comme le votre.
Personne, absolument personne, ne s'occupe plus de faire l'effort de nous rappeler pourquoi il faut pouvoir bien lire, beaucoup lire. A part peut-être René Fregni avec ses Carnets de Prisons...
SamSam
29/07/2022 à 15:55
Ah oui, et donc la solution est d'inciter les jeunes à lire Fregni... Bon dieu, mais c'est bien sûr...
rez
30/07/2022 à 12:30
et voilà une réponse d'ignorant... Il faut que nous, adultes électeurs contribuables etc etc on lise les réflexions sur la lecture qui a merveilleusement écrit Fregni, afin de peut-être arriver à en faire d'autres nous-mêmes et enfin avoir une certaine légitimité aux yeux de cette jeunesse illettrée et couvée aux smartphones incapable de tenir seule et concentrée plus de 10min.
mais dans tout cas vous ne faites que me donner raison, vous pointez du doigt ce que vous avez devant vous et basta. Rien d'adulte ni de constructif.
SamSam
31/07/2022 à 09:57
Tu as une certaine propension à traiter les gens d'ignorants et autres, sans les connaître... Mais avec le vent, toujours aucun vaisseau n'arrive de ton pays...
Julien
29/07/2022 à 15:36
Bonjour, c'est dommage votre commentaire reflète une certaine incompréhension de la décorrélation évidente entre la diversité et la qualité des livres proposés, et le nombre et le type de personnes qui y auront accès. Une politique d'acquisition n'est pas une politique de médiation, le rôle des bibliothèques aujourd'hui est certes de proposer des ouvrages mais également d'amener les publics vers la pratique de la lecture.
SamSam
29/07/2022 à 15:57
" le rôle des bibliothèques aujourd'hui est certes de proposer des ouvrages mais également d'amener les publics vers la pratique de la lecture"...C'est exactement ce que mettais en avant dans mon post. Merci.
rez
30/07/2022 à 12:32
c'est faux (encore). Vous avez juste demandé plus et mieux, et non changer un système qui n'arrive pas à communiquer avec ces publics là.
Cette façon de dire 'on donne les moyens mais ils ne les prennent pas' c'est du darwinisme social.
honte à vous.
SamSam
05/08/2022 à 15:46
Enlève tes lunettes...J'écrivais "Au lieu de fournir plus, avec des ouvrages de meilleure qualité, plus récents, plus diversifiés". Cette politique d'offre aurait pour conséquence un public plus grand et plus divers. Encore une fois, la poutre est dans ton œil.
Tu défends un système qui veut la mort des bib, parce qu'elles feraient de l'ombre au marché. C'est profondément anti-social et stupide. Les jeunes ou les vieux qui lisent plus, achètent plus de livres.
BF
29/07/2022 à 09:17
Le pass culture permet aussi de développer des partenariats avec l'Education nationale et de faciliter par exemple les rencontres d'auteur dans des classes. Une partie du dispositif est accessible via un accès professionnel pour les enseignants et les professionnels de la culture avec des crédits dédiés toujours calculés selon les tranches d'âge.
rez
30/07/2022 à 12:36
c'est fou hein. On paye nos impôts et cet argent quand on veut l'utiliser pour des actions culturelles on doit aller le "miner" chez le CNIL, le ministère de la culture, l'éduc nationale, les départements, les régions, les fondations... un métier à temps complet, vu qu'en plus les modalités et les "dispositifs" changent tous les 5 minutes.
aie, je suis en train de râler comme je reprochais un autre usager... vite, proposer quelque chose! ah oui, au lieu de multiplier les intermédiaires payés il faudrait déconstruire cette dynamique arnaqueuse néolibérale mal nommé "nation start up' et demander aux ministères de faire son boulot directement.
Eugène Morel
02/08/2022 à 09:53
Le chèque psy, le chèque fuel, le chèque culture ... La subvention à la personne, en fait aux industries culturelles en lieu et place de politique culturelle, d'investissement dans les équipements. Et en plus, dans ce dernier cas, une incitation indirecte ou un prétexte à rendre les services payants alors que nombre d'équipements de lecture publique sont gratuits et que la gratuité est un principe défendu dans nombre de textes (à commencer par le Code de déontologie des bibliothécaires, de l'ABF « l’accès à l’information et à la culture étant un droit fondamental », qui incite le bibliothécaire à « préconiser la gratuité de l’inscription, pour un partage universel des ressources culturelles et éducatives ») et une méthode éprouvée pour améliorer l'accessibilité. On voit mal dans ces conditions comment les bibliothécaires qui voient leurs moyens réduits seraient aussi enthousiastes que le prétend l'article. L'absence générale de réplique et d'interrogations face à la propagande gouvernementale autour de sa mesurette phare est consternant.
Sonic
04/08/2022 à 09:02
Je suis d'accord avec vous. Je compare cela avec les tickets de rationnement de ma grand-mère. Au lieu que ce soit pour le beurre, le pain, etc. c'est pour l'électricité, la culture, etc. Ce serait si facile si l'État cessait de prélever tout et n'importe quoi sur notre salaire vbrut, mais comme on reste à faire la promo de notre système de redistribution, il continue.
Eugène Morel
04/08/2022 à 10:55
Vous m'avez mal compris je n'ai rien contre le prélèvement fiscal (surtout redistributif) à partir du moment où il alimente des investissements dans des services publics et sert des politiques publiques: ce que je dénonce ici c'est la politique du chèque ciblé qui est l'inverse d'une politique publique. à la différence de la gratuité POUR TOUS de l'accès aux bibliothèques municipales et plus largement d'une politique de l'offre consistant à multiplier et à améliorer les équipement pour toute la collectivité. Sans parler de l'effet pervers qui consisterait, du côté des collectivités, à revenir sur la gratuité (en vigueur dans 3583 établissement sur 9167 selon les données 2017 de l'Observatoire de la lecture publique utilisée par l'ENSSIB, adoptée en 2021-2022 par des communes comme Talant, Niort, Parempuyre) sous prétexte que le chèque culture permet de payer l'accès. Voir aussi " La bibliothèque gratuite, on a tout à y gagner !", publié en mai 2022 sur le site de l'ABF. La vision donnée par Actualitté de la problématique est un exemple de non journalisme.
Antoine Oury
08/08/2022 à 15:19
Bonjour,
Quelques petites précisions : l'article ne « prétend » rien, j'ai simplement donné la parole à quelques professionnels qui ont testé l'outil. Ce dernier semble correspondre à leurs attentes, au vu de leurs établissements et des événements qu'ils organisent. Bien entendu, il reste impossible d'interroger tout le monde, mais, si des avis moins positifs nous reviennent, soyez assurés qu'ils seront traités avec le même sérieux.
Par ailleurs, cet article portait sur l'utilité du Pass Culture pour les bibliothécaires, en termes de possibilités de communication. Il n'aborde en rien la problématique de la gratuité des services, puisque les bibliothécaires l'utilisent pour des événements gratuits ou pour permettre à des jeunes d'obtenir une gratuité, justement.
Soyez assuré que nous avons fait état de cette question de la gratuité des services à d'autres occasions.
Cordialement