Environ 1500 ans : c’est le nombre d'années qui séparent la dernière inscription hiéroglyphique connue, et le déchiffrage de cette écriture énigmatique par Champollion. Après plus d’un millénaire de silence, la langue figurative avait été reléguée au rang de symboles hermétiques – porte vers des secrets ensevelis. Du 12 avril au 24 juillet, la BnF propose une exposition en forme d'initiation ludique et savante à la « méthode Champollion ». L’occasion de redonner corps à une des civilisations les plus fascinantes que la terre ait jamais portées. Une exposition qu’a pu visiter ActuaLitté en avant-première.
Le 13/04/2022 à 15:30 par Hocine Bouhadjera
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13/04/2022 à 15:30
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« Hiéroglyphes. Ancienne langue des Égyptiens, inventée par des prêtres pour cacher leurs secrets criminels. - Et dire qu’il y a des gens qui les comprennent ! - Après tout c’est peut-être une blague ? » Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.
Champollion. La plupart des Français connaissent ce nom comme un souvenir de l’école primaire, sans autre information qu’il est celui qui a « déchiffré les hiéroglyphes ». Il est de ces personnages, dont le nom est aussi fameux que la connaissance de leur personne est limitée à un seul haut fait. Les curieux de sa personnalité ou des épisodes personnels de sa vie pourront être déçus par cette exposition : peu d’informations sur ce grand romantique acharné et sensible sont révélées, car le but de cette présentation est avant tout de raconter l’épopée scientifique d’un déchiffrement. Et c’est passionnant.
Entre accessibilité et rigueur scientifique
À la mort du grand savant, l’institut de France, où le frère de Jean-François Champollion travaille au département des manuscrits, a compilé 88 volumes de notes et de dessins de l’auteur de Grammaire égyptienne. C’est à partir de cette immense collection conservée aujourd’hui à la BnF, souvent inédite, mais également d’autres pièces de la bibliothèque et de prêts, que près de 350 pièces — manuscrits, estampes, photographies, papyrus, sculptures, sarcophages — sont disséminées dans cette riche exposition. Un événement tourné vers l’aventure d’un homme pour pénétrer une langue et écriture perdue. Entre génie, intuition et travail encyclopédique d’un savant qui œuvra au dévoilement du pays perdu de Kemet.
Papyrus mythologique de Tanytamon. 20, 5 x 317,5 cm. BnF, département des Manuscrits ©BnF
Une approche thématique construite en plusieurs parties, qui part du déchiffrement et de la quête des sources, en passant par la diffusion auprès des savants, des institutions et du grand public, avant d’achever ce parcours dans la tête d’un esprit peu commun, par l’influence de l’Égypte redécouverte par Champollion dans la culture populaire et dans notre modernité. Une exposition, entre approche ludique, à partir de panneaux pédagogiques et de supports multimédias, et rigueur universitaire.
« Quand on a expliqué vouloir monter une exposition sur Champollion avec trois commissaires spécialistes de l’Égypte ancienne, on a eu peur du degré de technicité de l’événement », nous confie Vanessa Desclaux, commissaire de l’exposition membre du département des Manuscrits de la BnF, avant d’ajouter : « On a donc eu le souci de proposer une exposition qui parlerait à tous, car une exposition pour égyptologue n’aurait pas grand sens. »
De Napoléon à Champollion
À l’entrée de l’exposition, Thot à tête d’ibis, agencé sur un fond vert, nous accueille. Il est le dieu égyptien de la science, de l’écriture, mais également le magicien qui sait l’intonation voulue pour prononcer les formules magiques. Suit une première salle blanche, d’une grande richesse. Cette opulence donne le ton d’une exposition d’une impressionnante densité. Un premier dessin d’un fragment du Caire au XVIIIe siècle, entouré de sable, nous révèle une ville loin de la mégalopole surpeuplée d’aujourd’hui. La mosquée y est presque solitaire dans ce paysage surchauffé, comme si elle sortait d’un délirium de touareg assoiffé.
Balzac est également présent : non l’honoré auteur du Père Goriot, mais l’architecte et dessinateur Charles-Louis. On découvrira plusieurs de ces dessins tout au long de l’exposition, nous renseignant sur une Égypte de carte postale. En face, un portrait de Champollion par Léon Cogniet, par-devers les grandes dates de sa vie inscrites sur le mur. À côté, un autre petit portrait d’un homme bien plus âgé, son père ? Plutôt son frère, qui fut son mentor et celui qui le soutiendra dans toutes ces entreprises savantes, même après la disparition du premier égyptologue français.
Portrait de Jean-François Champollion par Léon Cogniet. Coll. part. Photo Gaëlle Deleflie
Une carte d’Égypte de 1898 est également présentée, comme l’aboutissement d’un siècle d’études égyptologiques qui prennent leur origine dans l’expédition napoléonienne en Égypte, menée entre 1798 et 1801. De cette entreprise aussi audacieuse que fondatrice, 23 énormes volumes, présents dans l’exposition, Description de l’Égypte, seront publiés à partir de 1809, et témoignent des études savantes conduites par les scientifiques qui accompagnèrent le général corse. Enfin, accompagnée d’éditions et de publications du savant, l'illustre lettre de 1822 à Dacier, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, s’affiche.
Dans cette Lettre à monsieur Dacier, dont on célèbre, par l’entremise de cette exposition, le bicentenaire, Champollion, aidé de son frère, annonce le déchiffrement de l’écriture égyptienne, il a alors 32 ans. « Une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique dans un même texte, une même phrase, je dirais presque un même mort », explique-t-il ensuite dans son Précis du système hiéroglyphique, paru en 1824.
Qu’est-ce qu’une langue ?
Cette annonce épistolaire constitue le premier jalon de la renaissance de la seconde langue la plus ancienne connue, apparue à la fin du IVe millénaire avant notre ère, juste après l’écriture cunéiforme sumérienne. Une langue oubliée depuis 1500 ans semble bien avoir été redécouverte : le dernier hiéroglyphe connu avait en effet été gravé le 24 août 394 apr. J.-C.. sur la porte d’Hadrien, à Philae. L’utilisation de l’écriture hiéroglyphique a progressivement disparu sous les assauts de l’hellénisation née des conquêtes d’Alexandre, puis de la christianisation, et enfin de l’arabisation du territoire égyptien.
En changeant de salle, on passe du blanc à l’orange, et par la même occasion, dans la présentation des étapes du déchiffrement mené par Champollion. Des hiéroglyphes impriment les murs, et les belles éditions arabes et anciennes, ou les objets, éploient une culture fortement teintée de symbolisme. Des images reprises au fil des siècles dans des acceptions magiques. Dès l’Antiquité, l’Égypte ancienne est relue par des écoles mystiques, comme par la tradition grecque qui teinta la culture romaine. Horapollon, Thot-Hermès, Hermès Trismégiste, l’Ouroboros… Tout un univers antique inspiré par la mystique orientale, dans un grand syncrétisme né de l’interpénétration de grandes civilisations.
Mais un abus dans ce sens se propagea à mesure que cette langue perdue en compréhension. Un savoir caché ? Un code ? Les papyrus déchiffrés grâce au travail de Champollion ont permis de restituer la religion égyptienne dans sa vérité propre, non déformée par ceux qui l’ont interprétée. Des dieux (au nombre de 77) à tête d’animaux présentés dans une salle de l’exposition dédiée.
Statuettes de bronze de dieux et déesses de l'Égypte antique. BnF, département des Monnaies, médailles et antiques © BnF
Champollion révèle que les hiéroglyphes ne sont pas seulement des symboles, mais des sons, et « qu’ils ont servi pour la vie de tous les jours », ajoute Vanessa Desclaux. Dans son approche ludique et pédagogique, l’exposition tente l’exploit de faire comprendre au plus grand nombre, comment une langue perdue peut-être redécouverte à l’aide de langues proches, comme on pourrait retrouver le latin à partir du français, de l’allemand et du polonais. Pour la langue figurative hiéroglyphique, ces langues héritières, plus cursives, sont l’hiératique, qui apparaît au IIe millénaire av. J.-C., le démotique au Ier millénaire, et enfin le copte, dernière descendante de l’ancienne langue des rives du Nil. Cette dernière qui restera usitée par les chrétiens d’Égypte, et que Champollion apprendra avec ardeur et persévérance.
En 1799, les Français présents en Égypte découvrent la fameuse Pierre de Rosette. Ce trésor historique et archéologique est un décret royal du IIe siècle av. J.-C., écrit en trois écritures différentes, et déterré des sables non loin d’Alexandrie. Une stèle décisive pour la renaissance de la langue ensevelie. En effet, si le texte hiéroglyphique est tronqué dans sa partie supérieure, cette découverte permet enfin d’avoir des traductions directes, ici en démotique et en grec. C’est le frère, Jacques-Joseph, qui traduira d’ailleurs en premier la version grecque, en tant qu’helléniste.
Copie des 3 inscriptions qui se trouvent sur la pierre trouvée à Rosette. Estampage à l’encre noire sur papier. 99 cm x 75 cm. 1800. BnF, département des manuscrits ©BnF
Dans l’exposition, les néophytes penseront découvrir la célèbre pierre. En vérité, il s’agit bien d’une copie plus vraie que nature. La véritable pièce se trouve au British Museum, et même les frères Champollion avaient dû, en leur temps, travailler sur des copies. Si la découverte fut bien française, la défaite des troupes napoléoniennes face aux troupes anglaises à Canope fit passer le trésor historique sous pavillon britannique. Le décret antique ne vint qu’une seule fois en France en 1972 au Louvre, à l’occasion des 150 ans de la lettre de Champollion à Dacier.
Les figures historiques, qui ont mené à l’exploit de Champollion, sont également présentées, comme les travaux du bien nommé Athanase Kircher au XVIIe siècle. Ce dernier, en recopiant des documents, va reconnaître dans le copte, la dernière transformation de l’écriture hiéroglyphique, quand d’autres vont découvrir un apport des écrivains arabes du Ier millénaire, ou encore émettre des idées plus farfelues, telle l’affirmation que la Chine aurait été une colonie égyptienne. On découvre également les autres sources utilisées par Champollion pour soutenir son système, comme l’aiguille de Cléopâtre ou les cartouches de Ramsès.
Jean-François Champollion ne serait certainement pas allé aussi loin sans son frère, Jacques-Joseph, et par conséquent, ce dernier apparaît à toutes les étapes de l’exposition. De 12 ans l’aîné du déchiffreur des hiéroglyphes, il reconnaît en son cadet un potentiel exceptionnel. Une découverte aisée quand on sait que le petit Champollion appris quasiment seul, à douze ans, le grec, le latin, l’hébreu, l’arabe, le syriaque et l’araméen, et très tôt dans l’optique d’une ambition : décrypter la langue des Égyptiens. Il sera d’ailleurs élu, à peine âgé de 16 ans, à la Société des Sciences et des Arts de Grenoble.
L’exposition est aussi l’occasion de découvrir les voyages de Champollion, que ce soit au premier musée européen consacré à l’Égypte de Turin, avant le voyage de sa vie, en Égypte. Une expédition franco-toscane représentée par le peintre Angelelli : « Karnac. Là m’apparut toute la magnificence pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand… Nous ne sommes en Europe que des Lilliputiens », explique-t-il notamment dans une lettre à son frère. Il reviendra de ce voyage avec 3000 dessins, et de ce périple, l’exposition présente plusieurs pièces présentées dans la salle bleue, comme son passeport pour l’Égypte, une boussole, les aquarelles du savant, ses lunettes de soleil, une longue pipe qu’il reçut en cadeau…
Un voyage qui valide son système exposé en 1822 et duquel il revient avec plusieurs chefs-d’œuvre d’Égypte à destination du Louvre, en tant que passionné d’art.
L’importance du progrès pour l’égyptologie apporté par la photographie, ou des techniques d’imprimerie sont également mises en valeur. « Pour copier les millions d’hiéroglyphes qui couvrent même à l’extérieur les grands monuments de Thèbes, de Memphis, de Karnak, il faudrait des vingtaines d’années et des légions de dessinateurs. Avec le daguerréotype, un seul homme pourrait mener à bonne fin cet immense travail », peut-on notamment lire dans le Rapport d’Arago sur le daguerréotype de 1839, présenté dans l’exposition au côté de photos d’époque, comme d’un certain Maxime Du Camp, grand ami de Flaubert.
Noël-Marie Lerebours. Excursions daguerriennes. Vues et monuments les plus remarquables du globe
Gravure impression photomécanique ; 26 x 38 cm. Édition : 1840-1843. BnF, département des Estampes et de la photographie ©BnF
La salle suivante est la plus impressionnante : circulaire, elle présente une série de papyrus, et en son centre, expose un sarcophage. Un mur présente le célèbre Zodiaque de Denderah arraché par deux français d’une chapelle du temple de Denderah, situé proche de Louxor.
Pierre Derhozaite…
Champollion, comme tous les précurseurs, les visionnaires, aura eu du mal à être accepté par le milieu académique en raison de son audace, de son caractère exalté, et de son absence de diplômes supérieurs. Cependant, à sa mort le 4 mars 1832, il est le premier conservateur en égyptologie du Musée du Louvre, premier historien de l’art égyptien, professeur, et académicien. Aprè son décès, certains douteront encore que Champollion ait véritablement réussi à déchiffrer les hiéroglyphes : la publication posthume de sa Grammaire égyptienne, du Dictionnaire égyptien et des Monuments de l’Égypte et de Nubie, répondront à ce scepticisme.
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Cette riche exposition s’achève par une présentation de Champollion dans la culture populaire : Tintin et les cigares du pharaon, Astérix et Cléopâtre, Blake et Mortimer, les legos… ou encore San Antonio, et Gérard Macé et son Dernier des Égyptiens. L’occasion d’illustrer l’importance des découvertes de Champollion dans la culture populaire, et plus largement, de mettre en évidence la fascination d’un passé lointain, après l’égyptomanie qui suivit les découvertes du début du XIXe siècle. Dans l’opus signé Frédéric Dard, San Antonio mène l’enquête à Figeac, ville natale de Champollion, où le conservateur du musée s’appelle Pierre Derhozaite…
« Champollion a consumé sa vie à lire des hiéroglyphes », affirme Balzac, Honoré cette fois-ci, dans Théorie de la démarche, et la biographie de la vie du grand savant confirme quelque peu cette affirmation. Mais cette citation néglige le principal : le rôle du savant dans l’éclairage d’une civilisation de plus de trois millénaires, à qui il a redonné la voix. « Il a établi une méthode qui va inspirer beaucoup de savants suivants pour d’autres déchiffrements », conclut Vanessa Desclaux.
Crédits : Tombeau du pharaon Seti I de la XIXe dynastie, Vallée des Rois, Egypte. Carole Raddato (CC BY-SA 2.0)
Par Hocine Bouhadjera
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