La maison d'édition Laterza a annoncé qu'elle organiserait un nouveau festival d'économie à Turin en 2022. Cette annonce est intervenue après que le conseil provincial de Trente, gouverné par la Lega – le parti d'extrême droite dirigé par Matteo Salvini – ait décidé de retirer à Laterza l'organisation du festival que la maison organisait dans la ville depuis 15 ans. Après le Salone del Libro, Turin se prépare à accueillir un autre événement culturel majeur.
Le 15/11/2021 à 12:39 par Federica Malinverno
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15/11/2021 à 12:39
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La décision du conseil provincial de Trente a été justifiée par des raisons économiques, mais selon beaucoup, il s’agit d’un choix politique : Laterza et Tito Boeri, économiste réputé et président de l’INPS (Istituto Nazionale Previdenza Sociale) entre 2014 et 2019, organisateurs de l’événement, auraient été considérés comme trop proches du centre gauche.
Le conseil a décidé de confier la gestion du festival à Il Sole 24 ore, un grand journal économique national, et d’associer à l’organisation l’ancien ministre de l’Économie Giulio Tremonti, un homme politique qui a siégé au centre droit. L’année prochaine, il y aura donc deux festivals d’économie, l’un à Trente et l’autre à Turin. Et les deux événements se tiendront aux mêmes dates, du 2 au 5 juin.
Comme le rappelle Il Post, certains soutiennent que la province de Trente avait tout à fait le droit de prendre cette décision, car il pourrait sembler logique qu’après 15 ans, il y ait un changement à la tête de l’organisation du Festival, et il est également normal que le gouvernement essaie de créer un événement qui puisse avoir un impact économique plus large. Cependant, d’aucuns contestent qu’une telle décision puisse être avant tout politique.
Par ailleurs, précisément parce que le Festival d’économie est connu dans le monde entier, d’aucuns pensent que le changement de direction risque de saper son autorité : l’événement pourrait, d’après eux, également faire l’objet d’une plus grande pression médiatique.
L’éditeur Giuseppe Laterza conteste le choix politique, comme le rapporte toujours Il Post : « Tito Boeri est contesté pour ses idées de gauche, pourtant le Festival a toujours été ouvert à toutes les idées (...) Giulio Tremonti, qui a été appelé par Il Sole 24 Ore, est le lien entre Lega et Forza Italia, il a été député et ministre. » Le choix semble donc absolument politique.
Innocenzo Cipolletta, économiste et créateur du Festival avec Laterza en 2006, a également déclaré au Post : « Le Festival de l’économie a été un grand succès, mais la décision prise par le conseil nous laisse plutôt perplexes. Ils ont créé un comité scientifique pour examiner le projet, puis n’ont pas tenu compte de son avis. S’ils voulaient changer, ils auraient pu le dire clairement, sans faire semblant. »
Cependant, dès 2018, des signes clairs indiquaient que Fugatti, président de droite de la province de Trente, ne souhaitait pas poursuivre la gestion Laterza. Interviewé par La Repubblica (comme rapporte Il Post), il avait déclaré déjà en 2018 : « Jusqu’à présent, seuls les universitaires ayant une vision économique et politique précise du monde ont été invités au Festival de l’économie, expression de la culture de la gauche nationale et locale. Nous verrons comment, mais cette distorsion prendra fin. »
La première édition du festival a eu lieu en 2006 : comme on l’a dit, l’idée est venue de l’éditeur Laterza et de l’économiste Innocenzo Cipolletta, alors président de l’université de Trente. Outre l’université, la province autonome de Trente, alors dirigée par le centre gauche, et la municipalité ont également adhéré au projet.
Le festival revêtait une grande importance scientifique : parmi ses invités figuraient des économistes du monde entier et de nombreux lauréats du prix Nobel. Entre autres, le sociologue Zygmunt Bauman, les économistes Antony Atkinson, Paul Krugman, Thomas Piketty et Joseph Stiglitz ont participé aux différentes éditions.
Selon une recherche menée par l’Université de Trente et citée par Il Post, le Festival de l’économie génère des effets sur le territoire avec un impact total, lors de la dernière édition avant la pandémie, de 2,3 millions €, soit plus du double de l’investissement initial des organisateurs. Lors des dernières éditions avant la pandémie, la fréquentation atteignait 50.000 personnes.
Au cours des dernières semaines, plus de vingt villes s’étaient proposées pour accueillir le festival, mais c’est finalement Turin qui a été choisie. La proposition de Turin a reçu le soutien de toutes les institutions de la ville : la Région Piémont, la Ville de Turin, ainsi que la Compagnia di San Paolo, la Fondazione Cassa di Risparmio di Torino, la Chambre de Commerce, l’Université, le Polytechnique et le Collegio Carlo Alberto. La Stampa, le quotidien turinois qui a lancé l’idée de cette candidature, deviendra le partenaire média.
« Il était difficile de choisir », a admis Tito Boeri, professeur et directeur scientifique de l’événement, au Corriere della Sera. Le succès du Salon du livre 2021 (151.000 visiteurs) a levé les derniers doutes.
« Finalement, nous avons opté pour Turin en raison de deux aspects (...) : la demande unanime de toutes les institutions et de tout le spectre politique et la participation massive au Salone del Libro di Torino (...). Nous partons d’une tradition plus jeune que celle de la foire du livre, mais nous nous efforcerons d’être à la hauteur et de pénétrer dans le cœur des Turinois », a-t-il expliqué.
Dans un communiqué, les organisateurs ont indiqué que le nouvel événement s’appellerait le Festival international d’économie et que son thème serait « Mérite, diversité, justice sociale ».
Tito Boeri a expliqué ce thème au Corriere della Sera : « Le monde, notre pays, est différemment inégal. Nous devons comprendre comment gérer ces nouvelles ruptures, à quel point elles réduisent les possibilités de mobilité sociale. »
Il a également réfléchi à la situation des femmes : « L’épidémie a eu un impact négatif sur les femmes en particulier : ce problème doit également être résolu, il faut leur donner plus d’opportunités dans leur carrière professionnelle, si nécessaire en recourant à des formes de discrimination positive, par exemple par des quotas dans la promotion du personnel. »
Comme l’indique le communiqué de l’éditeur, les questions seront abordées « à l’échelle mondiale, avec des intervenants du monde entier, en particulier des universités les plus prestigieuses d’Europe et des États-Unis ».
Le profil hétérogène et multidisciplinaire de ces intervenants est mis en avant : « ils ne seront pas seulement des économistes, mais aussi des sociologues et des historiens, des juristes et des philosophes, en général des chercheurs impliqués dans diverses disciplines, protagonistes des recherches les plus avancées sur le sujet. »
En effet, « le Festival aura les mêmes caractéristiques de diffusion informelle et rigoureuse avec lesquelles Laterza et Boeri ont amené l’économie sur la place publique, lui permettant d’être appréciée par un large public. »
Le festival se déroulera donc aux mêmes dates que le Festival d’économie de Trente, mais Tito Boeri a confié au Corriere della Sera qu’il est impossible de les modifier : « Ces dates ont été choisies en 2006 parce qu’elles coïncident avec la fin des cours des professeurs universitaires, notamment américains. » Il est donc très compliqué de décaler ou d'anticiper la manifestation.
L’événement a toujours attiré des milliers d’étudiants qui viennent souvent d’autres régions italiennes et de l’étranger. C’est pourquoi, poursuit Boeri, « nous vérifions auprès des institutions locales la disponibilité de dortoirs afin d’élargir l’offre. Nous voulons profiter de l’accessibilité de Turin pour accueillir beaucoup de monde, comme à Trente, où 70 % des étudiants venaient de l’extérieur de la ville. »
Un défi de taille pour une ville comme Turin, habituée à organiser de grands événements littéraires, et pour une maison d’édition comme Laterza, qui, depuis sa fondation en 1901, travaille pour la diffusion de la science et de la culture.
crédit photo : Mathieu Stern/ Unsplash
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