Jean Teulé, président. Voilà qui claque, et aurait peut-être même de la gueule : avec lui, une palanquée de poètes rentrerait à l’Élysée. Mais en attendant que l’écrivain prenne la tête de l’État, c’est à Gradignan qu’il pose ses valises, pour Lire en Poche, comme parrain de l’édition 2021. Rendez-vous pris avec celui qui revendique, comme Aragon, « ce sale type », de n’avoir jamais appris à écrire. En avant la musique.
Son dernier livre, chez J’ai Lu, Crénom Baudelaire, est un petit bonheur. « J’avais toujours dit que je n’écrirai jamais sur lui, mais après Rainbow pour Rimbaud, on me demandait s’il y aurait d’autres livres sur des poètes. Sauf que Baudelaire, non, jamais : trop désagréable, et je n’aimais pas sa gueule. J’avais même jeté une pochette du disque de Léo Ferré qui chantait Rimbaud, Verlaine et Baudelaire, pour pas le voir. » Mais quelques années plus tard, lors d’un passage sur France Inter, une journaliste tique : et si cette détestation était un angle pour un livre ? « Raconter la vie de ce génie infect, ça a déclenché quelque chose — et comme pour tous mes livres, c’est un hasard qui a provoqué le texte. »
Au point que, bon an, mal an, « j’ai fini par avoir un peu d’affection et de compassion pour l’homme : à la fin de sa vie, il était devenu si sensitif, qu’il menaçait de s’évanouir, dès qu’il sentait quelqu’un derrière lui ».
Et puis remontent les images, les anecdotes : « Comme il a vécu les travaux entamés à Paris par le Baron Haussmann, il se rendait de nuit près des chantiers, et s’allumait un cigare près des tonneaux de poudre, pour voir. Le plaisir de peut-être y risquer sa peau, de l’anxiété. » D’ailleurs, quand son éditeur, Poulet Malassis, qu’il avait rebaptisé Coco Malperché lui demandait des nouvelles des Fleurs du mal, « il lui répondait que ce serait une explosion de gaz chez un vitrier ».
Jean Teulé adolescent avait une fascination pour ce recueil de poèmes, « mais le personnage, je le détestais. Dans sa relation étrange aux femmes, sa misogynie, ou encore cet amour déconcertant pour sa mère. Il allait tout de même, quand elle quittait la maison même un moment, se plonger dans le panier de linge sale, pour respirer les vêtements de sa mère ».
Des dizaines d’années plus tard, l’auteur de La Charogne n’a pas fini d’attiser les passions.
Reste donc que Teulé vient pour un festival consacré au livre de poche. Et dans un grand rire, que suit sa voix rocailleuse, il lance : « Je suis content d’être ici. Le poche, c’est un format trois fois moins cher que la grande édition. On est donc dans un salon pour les lecteurs pauvres, ou radins. Ou les deux. Ça tombe bien : l’entrée est gratuite en plus. » Avec le même humour, il poursuit : « D’ordinaire, je me rends dans les salons avec un stylo avec une plume en or. Ici, j’ai juste pris un Bic ordinaire. D’ailleurs, je mettrai que quatre mots pour les dédicaces, au lieu des douze que je donne d’ordinaire. »
Jean Teulé n’a pas sa langue dans la poche (© MF). Et au-delà de la punch-line, il garde un souvenir ému de « mon premier livre devenu poche : c’était Rainbow pour Rimbaud. Je n’en revenais pas, parce qu’ado, je ne lisais que ces petits livres — j’étais pauvre et radin », explose-t-il de rire. « De toute manière, je ne respecte pas les livres en tant qu'objets : les Pléiade, je les annote, je corne les pages. Ce n’est pas parce qu’on parle de papier bible qu’il faut pratiquer la génuflexion ! »
À l’occasion d’un dîner, chez un ami bibliophile, on lui présente un ouvrage du XIXe siècle, à la tranche dorée. « Evidemment, je l’ai ouvert pour voir… Qu’est-ce que je n’avais pas fait ? C’était un scandale, j’avais cassé le dos de la couverture… le type n’avait jamais ouvert le bouquin depuis qu’il l’avait acheté. Mais le livre, ce qui importe, c’est ce que ça vous laisse dans la tête. » Dans le cas des poches, la seconde vie compte tout autant.
« Je fais partie de ces auteurs qui peuvent vivre uniquement avec les ventes de leurs livres, donc j’apprécie énormément cette nouvelle commercialisation. Je resterai à la mode, jusqu’à être démodé, mais en attendant, je peux dire que j’ai connu le goût du caviar. Quand on écrit, c’est étonnant. » Il marque une pause, tire sur sa cigarette, et dans un sourire, ajoute : « J’ai comme le sentiment d’une escroquerie, d’un malentendu… mais tant que ça marche, ça me va. »
L’homme qui a fait tous les métiers évoque évidemment la bande dessinée : « André Barbe m’a dit un jour qu’il fallait que je fasse de la BD. Je n’en lisais même pas : il m’a embarqué à L’Écho des Savanes. Comme j’ignorais ce que faisaient les autres, j’ai fait à ma manière. Ce fut pareil avec la télévision : il n’y en avait pas chez moi, et Bernard Rapp m’a embarqué dans l’émission L’assiette anglaise… » De là, une éditrice, chez Julliard, Élisabeth Gilles, le contacte : « Vous êtes un écrivain qui ne le sait pas. Elle m’a signé un contrat, sans que j’ai même un livre à lui proposer. Et elle m’a demandé un roman… alors que je n’en ai lu qu’une cinquantaine dans ma vie. »
Ah, mais lequel l’aura le plus marqué ? Aucune hésitation. « L’écume des jours. Pas un livre en fait : une porte. Ça m’a complètement transformé la magie de ce texte : il était donc possible d’être aussi libre que cela ? » Et après Boris Vian, vinrent les poètes : Villon, bien sûr, Rimbaud, Verlaine, Aragon… Il fouille dans sa poche, sort son portable : un appel ? Non point : une photo extraordinaire, où l’on voit Aragon, main sur une rambarde, descendant pour prendre le métro. « J’ai fait cette photo, un jour d’enterrement de secrétaire général du Parti communiste. Il était dans le cortège, j’ai pu lui parler. On m’avait envoyé faire des photos… alors que je savais tout juste me servir de l’appareil ! »
Mais tous ces textes, cette poésie qu’il garde en tête, il reconnaît la devoir à Léo Ferré. « Ses mises en chansons ont permis aux ados de mon époque de découvrir les poètes. À ma manière, sans être scolaire ni déférent, avec un côté rock’n roll et rentre-dedans, j’ai voulu faire pareil. C’est une grande admiration et beaucoup d’irrespect, parce que tous ces types étaient quand même de belles ordures… »
Tous ? Même Léo ? « J’ai assisté à une trentaine de ses concerts… j’ai même fait 200 km en stop depuis la Lozère pour l’écouter », raconte-t-il, sans bomber le torse. « Et puis, j’ai fait son dernier, au théâtre Déjazet. Il n’était pas très frais, commençait une chanson alors que le band orchestre en entamait une autre. » Pas terrible. « À la fin du concert, une dame vient me voir, se présente comme son attachée de presse et me propose de le rencontrer. Au bout de 5 minutes dans sa loge, je l’ai trouvé imbu, puant, et j’ai fini par détester ce type. »
Jean Teulé, splendide, s’exclame : « Je vais vous dire : il vaut mieux les lire, ces gens ! »
Crédit photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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