24 heures chrono pour réinventer la protection des auteurs. La Ligue des auteurs professionnels, cofondée par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et les États Généraux de la BD, s’est alliée avec la Guilde des scénaristes, les Juspi et l’Institut des sciences du travail de l’ouest pour cet événement. Les 13 et 14 mars, des auteurs du livre et de l’audiovisuel ont travaillé non-stop avec des juristes, avocats et universitaires spécialisés en propriété intellectuelle et en droit du travail.
Le 16/03/2020 à 09:24 par Nicolas Gary
Publié le :
16/03/2020 à 09:24
Le but ? Créer en un temps record des outils très concrets pour les auteurs : contrat d’édition équitable, lettres de mise en demeure types pour tous les cas de figure de droits bafoués, organigramme de l’univers professionnel de l’auteur, et d’autres projets surprises. Un atelier spécifique était dédié à l’analyse de la représentation professionnelle actuelle des auteurs par des spécialistes.
« Puisque l’État n’a pas relevé le défi du rapport Racine », déclare Samantha Bailly, « il est plus nécessaire que jamais de nous équiper pour faire face à l’urgence. La précarisation galopante de nos professions sera encore davantage accentuée par les mois qui viennent par les conséquences sociales et économiques liées aux annulations d’événements et à la fermeture des librairies. Nous devons agir de façon ferme et constructive. »
Denis Bajram, auteur de BD retiré de la vie syndicale, était présent. Une occasion jugée unique en son genre : « Nous sommes parvenus à amener l’édition à réfléchir sur des idées qui ne sont pas nouvelles, mais remettent l’artiste-auteur au centre des discussions », se réjouit-il. Les esprits restent vifs : on revient sur la réussite du rapport Racine — « On s’y référera durant les 20 prochaines années désormais », assure une juriste. Et si les mesures du ministre ont profondément déçu, une nouvelle donne prend forme.
« L’important est que les auteurs ne soient plus isolés et se rassemblent, pour agir collectivement », assurent Benoît Peeters et Sophie Dieuaide. Surtout que la veille, le président du SNE intervenait sur France Inter – et ses propos n'ont pas convaincu, loin de là. Mais nous y reviendrons.
Statut des auteurs : Vincent Montagne, le représentant des éditeurs, s’explique https://t.co/ywpwGpjxhspic.twitter.com/dz3OwuitD4
— France Inter (@franceinter) March 12, 2020
Le hackathon a démarré sur les chapeaux de roue : la formation de trois groupes qui se sont mis immédiatement au travail. Une journée d’intenses collaborations où des experts en droit et des auteurs ont parlé de façon très franche de contrats d’édition, redditions de compte, droit moral, recours sociaux, représentation professionnelle... des sujets techniques vulgarisés en temps réel par deux dessinateurs, Cy et Malo, qui ont animé les réseaux sociaux pour les absents.
#hackaton : une aberration du contrat d'édition vue par @YeahCy : la fameuse exploitation permanente et suivie. pic.twitter.com/e9sCYGPQQ6
— Ligue des auteurs professionnels (@LigueAuteursPro) March 13, 2020
Ici, on rédige une lettre type pour une autrice qui ne parvient pas à avoir ses indemnités de congés maternité. Là, on tente de comprendre ce qu’est l’exploitation permanente et suivie à l’heure du numérique. Sur un autre îlot, des juristes analysent quelles organisations siègent dans telles instances, pour quelles décisions prises au nom des auteurs.
« Quand on lit dans le contrat d’édition type que propose le SNE, dont la structure se retrouve dans de nombreuses maisons d’édition, on voit bien que l’auteur n’a pas voix au chapitre. C’est un contrat construit pour être le plus profitable possible pour les groupes éditoriaux », indique une juriste. « Cela signifie que les auteurs doivent négocier le moindre point, bec et ongle. Et quand on sait que les auteurs sont la partie faible de contrats qui sont souvent des contrats d’adhésion, on comprend qu’il faut agir. »
La perspective d’aboutir à un contrat qui serait favorable aux auteurs fait l’objet d’une méthode : les clauses et articles sont passés au crible par une tablée d’une quinzaine de personnes. La trentaine de pages fait l’objet d’une réécriture minutieuse pour une version “auteurs friendly”, plus équilibrée. Le tout dans une réelle bonne humeur, quand soudain quelqu’un s’empare d’une guitare et sur l’air de Should I Stay Or Should I Go, improvise une ritournelle : « Dois signer ou dois-je partir ». Hilarité générale.
#hackathon : auteur et éditeur par @robespiegle. pic.twitter.com/bKmiS7CSSE
— Ligue des auteurs professionnels (@LigueAuteursPro) March 13, 2020
On fait des points réguliers, afin que chaque atelier bénéficie à tous. Il est 19 h : « La représentativité se précise, les mises en demeure grondent, les contrats s’équilibrent », note Nicolas Digard depuis Twitter.
La nuit venue, les groupes se reforment, les discussions deviennent plus informelles. « C’est très enrichissant pour nous », révèle un universitaire. « On connait le code de la propriété intellectuelle, le contrat d’édition, mais tout cela reste théorique. Là, on peut vraiment confronter nos connaissances avec la réalité de la pratique. C’est passionnant. On veut aider les auteurs à mieux connaître leurs droits. »
Sont aussi présents de jeunes auteurs, ayant publié un ou deux livres, qui partagent leurs expériences et découvrent ce qu’ils peuvent ou non négocier. « J’ai tellement appris en quelques heures, c’est dingue », se réjouit une autrice. « Il faut vraiment revoir la base contractuelle que nous signons : le contrat d’édition à l’ère numérique de 2013 était une première base, mais bien des éléments sont très problématiques », relève un dessinateur.
Chacun y va de sa propre anecdote. « Il y a des éditeurs qui sont là pour tenter de t’éventrer en permanence. Et puis, celui qui m’a refait un contrat, après l’explosion des ventes sur un livre : on a tout bonnement déchiré l’ancien, et lui-même m’a refait l’ensemble pour que cela me soit bien plus favorable. »
Peu à peu, le Labo de l’édition se vide. Le lendemain matin, les équipes se retrouvent pour un debrief sur l’ensemble des avancées. Chaque groupe de travail révèle ses productions. La rédaction du contrat équitable est presque terminée pour le premier groupe, qui ira de pair avec un outil permettant d’évaluer l’équité ou non des clauses proposées aux auteurs. Le second groupe dévoile son analyse du droit des relations collectives aussi bien dans le livre que dans l’audiovisuel.
La nécessité d’une distribution claire des rôles entre sociétés de gestion de droits collectifs et syndicats apparaît nécessaire, la défense des conditions de travail et des droits sociaux d’une profession étant bien légalement la prérogative des syndicats. Le dernier groupe fait un inventaire impressionnant des lettres types rédigées, qui auront dépassé le simple périmètre des droits sociaux.
« Le contrat de cession de droits que nous allons proposer n’est qu’un point de départ. C’est le contrat type pratiqué actuellement qu’on a nettoyé pour être plus favorable aux auteurs », explique Denis Bajram. « Mais on a vite réalisé que la structuration même du contrat d’édition actuelle était problématique, tant elle mélange des périmètres de droits différents. »
Parmi les autres sujets, la représentativité : dans la restitution, la présidente de la Ligue, Samantha Bailly, souligne que « ce rapport entre syndicats et organismes de gestion collective doit trouver une issue apaisée, sans conflits, mais il est important de clarifier les périmètres d’action de chacun au regard du droit du travail ».
Avec une réalité rappelée par un groupe de spécialistes ayant planché 24 h sur la question : « On a constaté que les OGC ne peuvent pas défendre les conditions de création des artistes-auteurs. Leur rôle est important, mais tout autre. Les conditions de travail des auteurs ne relèvent pas du Code de la propriété intellectuelle, en réalité, il faut que les auteurs aillent chercher des outils et des droits dans d’autres codes. Il est important d’identifier une nouvelle méthode de répartition de la représentativité entre tous les acteurs de ce secteur, avec les syndicats. »
Une conclusion par des experts en droit qui va à l’opposé des récentes affirmations du ministre de la Culture. Dans les prochaines semaines, les productions du hackathon seront mises en ligne, pour que les auteurs puissent disposer de ces outils concrets, mais aussi des analyses juridiques qui ont émergé de ces 24h.
« Cette première édition était centrée sur le livre et l’audiovisuel », déclare Samantha Bailly, « mais il faut élargir par la suite. Nous nous sommes heurtés à la nécessité de régler la question du contrat de commande, puisque de fait le contrat d’édition n’est en réalité qu’un contrat de cession de droits. On peut le rééquilibrer, mais il nous manque encore un autre contrat, qui concerne l’amont, l’acte de création, le travail créatif en résumé. » Le fameux contrat de commande et son vide juridique aux allures de falaises...
Et de poursuivre : « Propriété et travail, voilà les deux paradigmes qu’il faut garder en tête, qui relèvent de deux champs complémentaires, mais différents. Ce contrat de commande, nous devons le construire en pensant artistes-auteurs, avec une approche de la création plus large, pour affiner ensuite selon nos secteurs. Ce sera notre prochain événement, en lien avec d’autres organisations professionnelles d’autres métiers de la création. Nous avons beaucoup à nous apporter mutuellement. »
Le rendez-vous est pris.
photos ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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