Malgré le confinement et la crise sanitaire liée au coronavirus, les bibliothèques se sont efforcées de maintenir un service public de la lecture. Ressources numériques, services de commande et de retrait, services « dégradés » pour garantir la sécurité des usagers : les solutions se sont multipliées, mais de nombreux défis se dessinent pour les prochains mois, dans un contexte toujours très incertain.
Le 26/06/2020 à 10:15 par Antoine Oury
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26/06/2020 à 10:15
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Le 28 avril 2020, alors que la population française reste confinée, le Premier ministre Édouard Philippe annonce une réouverture des bibliothèques et médiathèques le 11 mai, parallèlement au déconfinement général. Au sein de la profession, passé un premier moment d'inquiétude, les services s'organisent et les associations interprofessionnelles réagissent, en collaboration avec le service Livre et Lecture du ministère de la Culture.
« On ne s'attendait pas à ce que la réouverture se fasse si tôt », reconnaît Malik Diallo, conservateur à la bibliothèque de Nancy et président de l'Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France (ADBGV). « Mais il était finalement important que les bibliothèques fassent partie de ce discours. »
En vue de la réouverture, « le travail avec le service du Livre et de la Lecture, au ministère, a été très fin, un dialogue permanent a été instauré, favorisant l'échange d'informations et le consensus dans la profession », souligne encore Malik Diallo. Un constat partagé par Alice Bernard, présidente de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF), autre organisation professionnelle en première ligne pour apporter recommandations et solutions.
Le ministère de la Culture a rapidement repris à son compte les recommandations des associations professionnelles, notamment le « phasage » des réouvertures, pour avancer progressivement, chaque établissement à son rythme. Pour les bibliothèques relevant du ministère de l'Enseignement supérieur, la reprise a été un peu plus chaotique, même si les pouvoirs publics ont là aussi, après précision, reconnu la liberté laissée à chaque établissement.
Dès les premières semaines du confinement, et parfois à l'encontre des recommandations professionnelles, des établissements de prêt ont mis en place des solutions comme le « drive », un retrait des documents commandés par les usagers, et le portage à domicile. Ces services, tantôt inédits, tantôt préexistants au coronavirus, se sont généralisés dans les établissements.
Ainsi, à Auray, en Bretagne, un système de commande sur le catalogue de la médiathèque, puis de retrait, a rapidement été mis en place par la médiathèque. « Des plages horaires étaient proposées tous les matins. Le service a très bien fonctionné, mais seule une partie de nos abonnés a su l'utiliser, une majorité était laissée de côté. En une semaine, nous recevions 240 personnes environ par le drive, à peine ce que l'on reçoit par jour lorsque nous sommes ouverts au public », nous explique Éliane Huault, directrice de la médiathèque de cette commune de 14.000 personnes environ.
La plupart des bibliothèques françaises proposaient déjà un système de réservation en ligne, dont la médiathèque d'Auray, fermée dès le 1er mars dernier. « Avec le confinement, le service a pris de l'ampleur et ne ralentit pas, avec une petite centaine de réservations en ligne par jour », indique la directrice de l'établissement. Depuis la réouverture des locaux au public, la prise de rendez-vous pour le retrait des documents n'est plus nécessaire, mais « le drive comme le portage sont des services chronophages ».
« Le drive a pu pallier l'interdiction de l'accès aux collections pour un temps, mais les usagers, dans leur majorité, attendaient ce retour dans les lieux. Il a, cela dit, pu répondre aux besoins d'un certain public, qui n'allait pas en bibliothèque par manque de temps ou d'envie », confirme Alice Bernard. « Si le service fonctionne, il pourrait perdurer, mais, avec le retour à un fonctionnement normal, une réorganisation du personnel ou des moyens supplémentaires seraient alors nécessaires, ainsi qu'une forte évaluation au préalable, pour juger de la pertinence du service. »
Agents comme usagers attendaient donc fermement la réouverture des locaux au public : le phasage recommandé par les associations professionnelles a permis d'échelonner l'accueil des usagers, pour assurer la sécurité de ces derniers comme des agents. Masques, gels, fléchage d'un parcours, mise en quarantaine des documents et autres dispositions ont redéfini l'accueil dans les établissements.
Malgré ces limitations, le retour des usagers marque un moment fort : « Le premier jour d'ouverture, nous avons accueilli 360 personnes, des personnes souriant derrière leurs masques et une forte convivialité entre les adhérents et les personnels. Même si l'on a entendu que les livres et bibliothèques n'étaient pas primordiaux, on s'aperçoit que cela a manqué pendant le confinement », remarque Éliane Huault.
Si les agents attendaient les usagers de pied ferme, la réouverture des locaux a parfois généré des tensions avec les élus, désireux de voir l'équipement rouvrir ses portes au plus vite. « Cela a pu parfois se faire sur un temps très court, alors qu'il y a énormément de paramètres à prendre en compte. Qui plus est, des collègues ont pu avoir des décès dans leur entourage, ou mal vivre le confinement, et cela peut créer des situations très problématiques », tient à préciser Alice Bernard.
Selon nos informations, à Dijon, une des premières villes à rouvrir sa bibliothèque aux usagers, le processus menant à la décision n'aurait pas forcément pris en compte les préoccupations du personnel. Contactées, la bibliothèque et la ville de Dijon n'ont pas souhaité répondre à nos questions à ce sujet, malgré nos relances. De plus, selon les établissements et les budgets des collectivités, plus ou moins de moyens ont été alloués aux équipements de protection et aux équipes d'entretien, plus sollicitées pour désinfecter les lieux. Certaines villes proposent ainsi des masques aux agents et aux usagers, d'autres seulement aux agents, et d'autres non.
Malik Diallo reconnaît lui aussi « des désaccords » dans la réouverture des locaux, « mais qui relèvent des négociations locales. Ce qui est important, c'était de proposer une base commune, qui restait toutefois de l'ordre de la recommandation, et non un décret, cela a permis de stabiliser le dialogue sur certains aspects. » À ce titre, un travail suivi a été mené avec les associations d'élus, notamment la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) et France urbaine, pour « présenter nos points de vue et aborder des problématiques complexes sur un temps réduit », précise-t-il.
Même si la crise sanitaire du coronavirus ne se limite qu'à cette première partie de l'année 2020 en France, de nombreux défis restent de mise pour les professions des bibliothèques. Le premier, et non des moindres, porte sur la fréquentation des établissements. En effet, un certain nombre d'établissements font face, depuis leur réouverture, à un fort déficit d'usagers.
« On se retrouve dans un climat où les gens ont du mal à revenir en bibliothèque, car ce n'est pas exactement comme avant, il n'est plus possible de revenir pour simplement s'asseoir et discuter, voir une exposition, utiliser un ordinateur ou assister à une animation », relève Alice Bernard. « Ce n'est plus la bibliothèque que l'on connaissait. » De plus, les précautions prises vis-à-vis des locaux et ouvrages empruntés, placés en quarantaine, auraient un effet contre-productif, presque inquiétant, et poussant les usagers à renoncer à une visite en bibliothèque.
Dans un contexte où les jauges de visiteurs sont de mise, ces difficultés à accueillir du public ne sont pas forcément gênantes. Mais elles pourraient le devenir si une fréquentation en berne devient la justification pour réduire les budgets des établissements. Après d'importantes dépenses publiques et alors qu'une crise économique se profile, ces derniers sont particulièrement à risque.
« Sous prétexte de soutenir les librairies, on commence à voir des cas où les budgets pour certains types de ressources sont amputés au profit du livre », explique la présidente de l'ABF. « Les bibliothécaires sont dans l'attente, ils espèrent ne pas avoir de réductions budgétaires en fin d'année, même si 2021 risque d'être une année où l'on va sabrer », craint Alice Bernard. Par ailleurs, pour certains établissements, les budgets restent corrélés aux élections municipales, et le second tour prévu le 28 juin prochain constitue alors une échéance cruciale.
À Auray, comme pour d'autres établissements, les achats auprès des libraires ont été maintenus pendant la crise, puisqu'ils étaient déjà budgétés pour 2020. « Nous aurons sans doute des restes sur la ligne budgétaire des événements, mais il ne sera pas possible de les faire passer pour des acquisitions », note Éliane Huault : certains établissements pourraient ainsi participer à l'effort économique de la collectivité.
Ailleurs, une médiathèque départementale de Nouvelle-Aquitaine a dû cesser une partie de ses activités, notamment ses offres de formations, d'expositions et d'animations. Les annulations ont conduit à quelques ajustements financiers : « Pour faire un geste, nous avons payé les artistes et les formateurs, à hauteur de 20 à 40 % [une règle concernant les finances publiques impose un “service rendu” pour le paiement intégral d'une prestation, NdR]. Le surplus de la ligne budgétaire va donc être versé dans le pot commun pour la culture, au niveau départemental », nous indique-t-on.
Les ressources numériques des établissements, plébiscitées pendant le confinement, soulèvent aussi des questions d'ordre financier. « Leur coût a sensiblement augmenté, il a même explosé », poursuit-on. Depuis le confinement, de nombreuses médiathèques départementales, et donc des bibliothèques municipales ou intercommunales, ont ouvert les accès aux ressources numériques à tous les habitants du département, générant un surcoût important.
« Il faut désormais que l'on trouve des financements, car ces dépenses n'étaient pas budgétées. En règle générale, ces ressources coûtent très cher, notamment la vidéo à la demande et la presse numérique, qui sont très consultées », nous expliquent une responsable. Les bibliothécaires négocient déjà avec les fournisseurs de contenus pour obtenir des conditions plus avantageuses, notamment dans le domaine du livre, avec un succès relatif. Les récentes déclarations du ministère de la Culture pourraient appuyer leurs demandes, mais les producteurs, éditeurs et auteurs restent campés sur leur position.
Écrire que chacun sortira changé par la crise sanitaire relève désormais du lieu commun. Mais la situation pourrait être la même pour le métier de bibliothécaire : « Des personnes utilisant le drive nous on dit : “On ne vient jamais d'habitude, dès que vous rouvrez, on s'abonne !” », relève Éliane Huault, à la médiathèque d'Auray.
La privation aurait ainsi rappelé le besoin des bibliothèques : « Pendant la crise, la bibliothèque n'était pas forcément pensée comme une urgence, mais elles paraissent d'autant plus essentielles ensuite », assure Malik Diallo. « Cette période va décoincer certains points quant aux méthodes de travail, et notamment le télétravail. Mais elle rappelle aussi à quel point le lieu peut manquer, combien des éléments nécessitent du lien et du présentiel. »
À ce titre, « un travail de communication devra être fait pour retrouver les publics perdus, au moment du retour à la normale », indique d'ores et déjà Alice Bernard. Le gouvernement, très engagé sur la question des bibliothèques au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, n'a pas encore annoncé de mesures spécifiques aux établissements de prêt, si ce n'est la possibilité, par la Dotation Générale de Décentralisation, de financer des achats supplémentaires de livres pour les années 2020 et 2021 — une mesure plutôt orientée vers les librairies.
« Cette période doit encourager le Plan bibliothèques, et conduire au maintien des investissements pour les bibliothèques ainsi qu'au soutien pour les acquisitions », souligne Malik Diallo. « Elle remet aussi en visibilité les bibliothèques : il est important qu’elles soient inscrites dans le discours politique, pour reconnaitre la place qu'elles occupent dans le vivre-ensemble. »
Photographies : Médiathèque Alexis de Tocqueville - Caen (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Document diffusé par la Médiathèque Landowski, Boulogne-Billancourt
Médiathèque Alexis de Tocqueville - Caen (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Médiathèque Alexis de Tocqueville - Caen (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Bibliothèque Robert Desnos Montreuil (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
8 Commentaires
Mina_Bib
27/06/2020 à 08:08
Merci pour cet article.
Je souhaitais juste vous proposer d'intégrer davantage l'écriture inclusive dans vos textes : usager.e.s, lecteurs et lectrices... ;-)
Maryse
27/06/2020 à 10:04
Le masculin est un genre ouvert (masculin et neutre) le féminin un genre fermé (concerne uniquement le féminin).L'ajout du point médian final est inutile et hache la lecture. Merci de ne pas l'utiliser !
Sur le fond, les multiples obstacles mis à la fréquentation des bibliothèques m'incitent à ne plus y aller, alors sue j'en étais une usagère assidue. On peut faire ses courses alimentaires sans encombre, en comptant sur la responsabilité des acheteurs, et on traite le public des bibliothèques comme des petits enfants devant obéir à de multiples consignes sans aucune possibilité de discussion. L'excès de précaution tue la fréquentation, alors que les librairies sont ouvertes et Internet aussi ! Non, dans l'esprit des promoteurs de ces règlements disproportionnés, le livre n'est pas un produit de première nécessité !
Patrick
28/06/2020 à 09:27
Merci Maryse !
Non à l’écriture dite inclusive
elssy
27/06/2020 à 17:32
arrêtez de comparer les librairies internet aux bibliothèques. Dans une libraire ont achète le livre or en bibliothèque plusieurs personnes peuvent l'emprunter donc ce n'est pas la même chose. Je peux comprendre que les mesures port du masque et gel puisse être contraignantes mais c'est pour la sécurité de tous. Bien sûr on attend le retour les usagers avec impatience.
Maryse
27/06/2020 à 22:12
Merci pour cette intéressante précision. J'ignorais la différence entre une librairie et une bibliothèque. Je paierai désormais les livres que je choisis dans les librairies et je ne demanderai plus "combien je vous dois ?" au bibliothécaire avant d'emporter les livres qui m'intéressent.
Votre réponse est éclairante sur la condescendance avec laquelle sont traités les citoyens dans cette crise sanitaire : nous n'avons rien à dire et ne savons rien. Quant à la sécurité, elle est à géométrie variable : si j'ai parlé de librairies, c'est parce que depuis le 11 mai, on peut acheter sans difficulté des livres en librairie, mais par contre on ne peut les emprunter en bibliothèque qu'au terme d'un protocole discriminant pour les personnes qui ne maîtrisent pas Internet et lassant pour celles dont c'est le cas. Comment expliquer que ce qui est considéré comme sûr dans un cas ne l'est pas dans l'autre ? Ce genre d'incohérence et de contradiction a été et reste constant, les exemples abondent dans d'autres champs, comme l'école ou les transports. En somme, quand il faut consommer en payant, on peut y aller, mais pour la culture à disposition de tous, là, prudence, la sécurité est en jeu ! Avec leçon de morale à la clé et menace d'être punis si nous ne sommes pas sages.
Quant à Internet, soit les relations virtuelles, à ce train là, elles risquent de prendre la main sur les rencontres réelles, c'est pour cela que j'en ai parlé dans mon précédent message.
Je reviendrai avec plaisir dans une bibliothèque quand j'y serai traitée en adulte et pourrai choisir les documents à emprunter en suivant le cas échéant les suggestions des professionnels, qui nous présentent souvent des thématiques intéressantes.
Patrick
28/06/2020 à 09:30
Sous prétexte de soutenir les librairies, on commence à voir des cas où les budgets pour certains types de ressources sont amputés au profit du livre »
La raison d’être des bibliothèques est à questionner lorsqu’elle sort d’un aspect social. L’économie du livre nécessite de rémunérer les auteurs et les éditeurs grâce à la vente des ouvrages en librairie.
Marie
28/06/2020 à 10:01
Alors que le quidam lambda a déjà d'énormes difficultés à comprendre ce qu'il lit, l'écriture inclusive" catastrophise" sa lecture. C'est d'ailleurs pour cela (entre autre) que l'Administration n'en veut pas.
elssy
01/07/2020 à 14:44
Nous avons alerté que les services paniers drive uniquement par internet pénalise les personnes n'ayant pas internet, n'étant pas à l'aise avec l'outil informatique.
Vous oubliez que ce ne sont pas le personnel de ces institutions (bibliothèques) qui choisissent les politiques sanitaires mais que nous devons mettre en place les décisions politiques.
Évidemment on voudrai de nouveau que les usagers circulent dans les bibliothèques et choisissent leur livres si ils ont besoin de conseil on est là.
Je ne pense pas qu'internet puissent prend la main sur les rencontres réelles, puisque depuis des années ont nous annoncent que le livre numérique va remplacer ce n'est pas encore le cas, forte heureusement.