Poète maudit du XVe siècle, François Villon a été l'inspirateur de grands poètes romantiques et d'une biographie par
Jean Teulé (Je, François Villon, aux Editions Julliard) aujourd'hui adaptée en bande dessinée par Luigi Critonne. Interview croisée avec les deux auteurs sur l'un des plus grands poètes de la littérature française.
Comment est venue l'idée de la collaboration ?
Luigi Critone : Delcourt m'a proposé d'adapter le roman de Jean il y a déjà trois ans. Je ne connaissais ni Jean Teulé ni François Villon, mais après avoir lu le livre j'ai beaucoup apprécié les deux.
Jean Teulé : Nous avons déjeuné, après que l'éditrice m'a envoyé un album de Luigi (Les 7 missionnaires), que je ne connaissais pas non plus. Luigi est arrivé à table avec quelques crayonnés de ses dessins vraiment bien, exprimant sa manière de voir Villon. Nous nous sommes immédiatement très bien entendus. Luigi a travaillé tout seul sur le story-board que j'ai trouvé impeccable, puis il a fait son album. Je ne me suis in fine mêlé que de petits réajustements de textes et rien d'autre. Je n'aurais pas fait mieux et même sans doute, par moments, moins bien.
En tant qu'auteur de BD vous-même, Jean, cela ne vous a-t-il pas fait bizarre de passer votre bébé ?
JT : Si, mais c'est vraiment agréable. Et j'ai de la chance parce que, avec Philippe Bertrand qui avait fait le Montespan, Luigi qui fait Villon, Richard Guérineau qui va faire Charly 9, ça va faire des styles de dessins très différents, et j'adore ça, que chaque artiste apporte sa personnalité. Quand j'écris un roman, je le visualise inconsciemment en film ou BD. Alors quitte à ce qu'il soit adapté, autant que ce ne soit pas ce qui soit dans ma tête. C'est un privilège, un bonheur incroyable, que de voir ce que cela inspire dans la tête d'un autre.
L.C : Jean écrit beaucoup par images. À la lecture de son roman, j'en ai tout de suite eu qui m'ont permis d'imaginer certaines scènes, avant même d'accepter le travail. Ce n'est pas toujours évident, mais en général je trouve que le rythme et la narration faisaient du livre un bon choix pour l'adaptation. Le fait que l'intrigue se passe au Moyen-Age m'a par ailleurs beaucoup aidé, moi qui ai un dessin plutôt réaliste. Je suis resté très fidèle au livre, tout en étant conscient que le rythme devait être différent de l'écrivain, pour qu'il ne s'agisse pas que d'une illustration du roman.
Le fait que le personnage principal soit un poète a-t-il aidé ?
C.L : Je ne me suis pas vraiment posé la question, car il s'agit également d'un personnage historique, en chair et en os. Le découpage de l'histoire en chapitres et l'inclusion de poèmes en tête de chacun ont permis de conserver une certaine trame littéraire. Mais l'important est resté pour moi de donner un rythme propre à la BD.
Jean, pourquoi avoir écrit sur Verlaine, Rimbaud, puis Villon ?
JT : Quand j'étais adolescent, ces trois-là étaient ceux qui me fascinaient. Lors de l'écriture de Rainbow pour Rimbaud, je n'ai pas été capable de le faire parler directement, en prenant pour prétexte un narrateur qui se prenait pour le poète. Pour Verlaine, le narrateur était un individu qui venait passer un automne avec Verlaine : je me rapprochais donc. Mais pour Villon j'ai décidé d'utiliser la première personne, façon d'arriver au bout de cette trilogie. Mais je ne vais pas me taper le dictionnaire de la poésie française : j'arrête les poètes et n'en ferai plus jamais.
Verlaine, Rimbaud, Villon, ont un un talent qui me fout sur le cul
Jean Teulé
Ils ont un talent qui me fout sur le cul.J'ai toujours eu tendance à repérer les ficelles des auteurs. Mais quand je lis Verlaine, Rimbaud, Villon : ces mecs-là ont un talent tellement gigantesque qu'il n'est pas la peine de lutter. Poète aujourd'hui serait un métier impossible, et la poésie peut parfois être assimilée au romantisme cul-cul. Je voulais montrer l'immensité de ces travaux, me posant comme passeur, inspiré par Léo Ferré qui a beaucoup influé sur moi en reprenant les poètes. A priori, j'ai réussi, puisqu'après que Je, François Villon est sorti en librairie, il semble que ces recueils ne se sont jamais autant vendus.
Bie qu'il s'agisse d'un poète, sa vie, tant dans le roman que dans la BD, est ultra gore...
J.T : Le point commun de ces trois-là, Rimbaud Verlaine Villon est qu'il s'agit de trois salauds. Des mecs absolument infréquentables. Mais dès qu'on les lit, on est soufflé par le talent, le génie de ces types. C'est d'une pureté, d'une beauté, hallucinante. J'aime bien cette dualité, que l'on ressent bien dans le livre de Luigi.
L.C : Deux autres tomes sont prévus, dans lesquels on ressent cela d'autant mieux. Je suis d'accord avec Jean. Lorsqu'on lit le roman, on est frappé par le paradoxe entre le génie du personnage et sa vie pour le moins tortueuse. Cela donne d'autant plus envie de lire ses poèmes, pour voir ce qu'a bien pu écrire un type comme ça. Finalement, lorsque je suis arrivé à la fin du livre, cela collait : le criminel, presque le fou, et le génie de la poésie faisaient un tout, tant par son style que son vocabulaire, son humour et son ton direct. Même si j'ai dû vraiment m'interroger, parfois, sur la pertinence de dessiner certains épisodes de la vie de Villon tant ils sont horribles et violents. Mais cela faisait sens de les intégrer.
J.T : Comme le poème qu'il a écrit, dévasté, après avoir livré sa femme au viol des Coquillards… On a juste envie de lui dire : pourquoi as-tu fait ça pour ensuite en avoir du remords ?
L.C. : Je pense qu'il avait un irrésistible penchant pour le mal, pour faire des choses qui ensuite lui échappaient. Il ne s'agit pas de le justifier, mais je pense que Villon était attiré par les mauvaises gens sans savoir pourquoi, et qu'il le regrettait ensuite, après avoir fait des bêtises.
Comment se passe le travail pour les deux prochains tomes ?
L.C. : J'aime bien que Jean jette un oeil sur les textes, parce qu'il y a des subtilités qui peuvent m'échapper. Je trouve que son regard fait beaucoup de bien au livre.
J.T : Nous sommes très bien organisés tous les deux….
L.C. : ...même si nous nous voyons peu.
J.T. : Cela dépend des livres. Parfois l'auteur qui adapte mon livre ne me fait rien voir et il a le droit. Je ne lui réclame rien, c'est sa façon d'agir.
Avec Philippe, c'est comme avec Luigi, il avance des trucs et je vais chez lui, il me raconte la dizaine de pages qu'il va faire et si je suis d'accord, et je lui dis « mais vas-y ! ». Chacun a sa personnalité et c'est très bien comme ça.
LC : Tout est dans le livre, et clair. Mais si jamais j'ai besoin de demander à Jean ce qu'il a voulu dire dans un passage, savoir qu'il est là est rassurant.
Le livre a été très bien accueilli par le public et la critique, mais beaucoup ont pointé l'excès de violences et d'horreurs…
JT : Un livre doit faire rire, peur, toucher, faire réagir. Et Villon, indubitablement, a eu une vie qui fait réagir.
LC : Pour moi ce n'est pas vraiment le côté gore qui choque. C'est plus profond. Je pense que le problème vient davantage de la difficulté à s'identifier au personnage. Lorsqu'il est petit, on éprouve encore de la pitié pour lui. Mais lorsqu'il grandit, il dérape complètement et l'on ne peut plus le cautionner. On ne peut que le détester et avoir le sentiment qu'il nous échappe.
JT : Et pourtant, sur la fin on revient un peu en empathie, on le plaindrait presque à se dire « mais quel destin ! ». Ce qui fait toute sa complexité, notamment lorsqu'il écrit « Je reconnais tout sauf moi-même ». Villon est spectateur de tout ce qu'il fait d'horrible, comme s'il s'en rendait également victime, ce qui fait de lui un personnage plus important et complexe, par exemple, que Kadhafi [rires].
Un livre doit faire rire, peur, toucher, faire réagir.
Et Villon, indubitablement, a eu une vie qui fait réagir.
Jean Teulé
Dans un tout autre domaine et à chaud sur l'actualité, que vous a inspiré l'épisode Charlie Hebdo ?
J.T : Je n'aime pas Charlie hebdo, sans doute parce que j'ai connu la grande époque. Mais ce qu'ils ont fait est très gonflé. On peut dire aujourd'hui ce qu'on veut sur Jésus, mais la moindre chose sur Allah déchaîne les violences. Beaucoup d'humoristes font des vannes sur le catholicisme, mais très peu sur l'islam, parce que l'on sent que ça fout les jetons. Du coup je suis très solidaire avec Charlie Hebdo, avec Charb et la bande, parce que ce qu'ils ont fait est très gonflé et déclenché une réaction complètement stupide. C'est plutôt leur honneur d'avoir fait ça, ce que je dis d'autant plus volontiers que je n'aime pas beaucoup ce magazine. Cela dit, il ne faut pas stigmatiser tous les musulmans, car il ne s'agit que de l'histoire de quelques connards qui ont fait ça. Il ne faut pas tout mélanger, ce serait trop simple.
LC. : je suis d'accord avec Jean.
DOSSIER - En série ou en film, les adaptations de livres crèvent l'écran
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
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