Le 23 août 2012 paraît aux éditions Ring votre très attendu nouveau roman. Que pouvez-vous nous dire sur Satellite Sisters ?
D'une certaine manière, ce roman est une reprise de la saga publiée aux éditions Gallimard puisque j'y poursuis l'évocation de l'existence des personnages principaux de
La sirène rouge et des
Racines du mal (Toorop, Darquandier, Alice Kristensen, Andreas Schaltzmann, Marie Zorn, Joe Jane, Boris Dantzik…) en intégrant des personnages réels tels Richard Branson, Elon Musk ou le groupe Muse… Le roman démarre 15 ans après la naissance des jumelles Zorn, sur laquelle s'achevait
Babylon Babies, au moment où la conquête spatiale est en train de devenir le nouveau Far-West. Ce ne sont plus les institutions étatiques qui mènent la danse, mais des groupes privés qui, à l'instar de Richard Branson avec Virgin Galactic, mettent en place ce que j'appelle le « Las Vegas orbital », en partant d'ailleurs du Las Vegas terrestre, au Nevada.
Les deux jumelles, cette fois âgées de 16 ans, incarnent la prochaine étape évolutionniste, mais cette prochaine étape évolutionniste pour l'humain, c'est l'humain, puisque, comme le fait remarquer un personnage du livre, c'est nous qui ne sommes pas parvenus à être humains. Satellite Sisters peut donc être considéré comme une suite, mais il peut se lire comme un épisode autonome, indépendant des romans précédents.
© Stéphane Hervé
Babylon Babies apparaissait pour vous comme une « transition » : Satellite Sisters constitue une rupture avec vos œuvres précédentes ?
Tous mes romans sont des transitions. Chacun d'entre eux est la « destruction créatrice » du précédent, et peut-être même d'ailleurs d'un titre encore antérieur, voire d'un successeur. Il n'y a pas vraiment de linéarité, ni de circularité dans ma production… Elle est « non-linéaire », comme on dit de certains phénomènes physiques. Satellite Sisters, c'est la destruction créatrice de Babylon Babies, mais aussi de La sirène rouge, puisque Alice Kristensen, avait douze ans en 1993. Dans Satellite Sisters, nous sommes en 2030, c'est une femme d'âge mûr. Toorop est un homme d'un certain âge, il a pratiquement 70 ans. D'une certaine manière, on pourrait dire que ce roman est un opus synthétique de plusieurs romans antérieurs, et peut-être de certains aspects de romans postérieurs : c'est mon premier vrai thriller de science-fiction, démarrant sur Terre et décollant au-delà des frontières terrestres. J'utilise des personnages réels, comme Bronson et d'autres, qui sont partie prenante de la seule vraie politique qui existe à mon sens aujourd'hui, c'est-à-dire l'esprit des pionniers appliqué à la haute frontière, celle où l'horizon devient vertical.
La conquête de l'espace reprend donc, dans Satellite Sisters, certains aspects politiques et économiques de notre société contemporaine ?
En pire. Le roman a un « background » politique, dans le sens où l'ennemi déclaré de tous les personnages, qu'ils soient fictifs ou réels, est l'Organisation des Nations Unies II, qui vise à mettre sous contrôle l'historicité des nations, la singularité des cultures et des individus, au sein de ce que j'appelle la « Gouvernance globalitaire » dans le roman. Celle-ci voit d'un très mauvais œil le fait que les individus se servent de leur fortune ou de leur talent, ou des deux, pour aller plus loin. Elle préfère de loin une planète écologique, homéostatique, qui resterait tranquillement à sa place tout en se micronisant. Par exemple, cette soi-disant nouvelle nation apparue d'un coup de baguette magique, le Kosovo, crée en profitant d'une grave erreur politique des Serbes qui ont déclenché la guerre en ex-Yougoslavie, pour leur arracher le cœur. C'est précisément ce qui se passe dans les Balkans, en Asie du Sud-Est, ce qui se passera au Moyen-Orient, en Afrique, demain en Amérique latine et en Europe occidentale.
L'ONU est la politique-monde : je ne pointe pas spécifiquement une ethnie, une nation, une culture ou une idéologie politique. La seule idéologie politique qui fonctionne aujourd'hui, c'est une non-idéologie et une non-politique, remplacée par une méthode de gestion mondiale du capital humain qui tend à supprimer cultures, nations et géographies. Et surtout, qui tend à s'opposer à toutes les démarches obliques ou déviantes qui sont pourtant des facteurs d'historicité depuis que l'homo sapiens existe.
L'ONU est en fait une énorme machine régressive, qui veut, comme le dit Peter Sloterdijk, transformer l'humanité en un parc humain.
Un parc ou un marché ?
Le marché fait partie de l'équation. L'attitude anticapitaliste, que l'on retrouve bizarrement dans les élections remportées par Monsieur Hollande, est complètement factice. Tout le monde sait que Monsieur Hollande devra se plier aux désirs de Wall Street, parce que c'est celui qui a le bâton qui dirige.
L'ONU a tout intérêt à décapitaliser la planète, à en faire une grande société post-hippie, malgré tout surveillée par un Big Brother fort amical, convivial même, qui sortira quand même la matraque si cela s'avère nécessaire. L'idée est de pacifier l'humain, alors que l'homme est un prédateur depuis ses origines : sans l'instinct de survie du primate originel, nous ne serions pas là.
Ce qui est « amusant » d'ailleurs, et ce que peu de gens connaissent, c'est que le projet de l'ONU, mis en place après guerre par les Alliés, a été conçu par un groupe de chercheurs nazis, qui avaient imaginé un grand Reichstag des Nations. Celui-ci aurait été constitué par des micro-nations vidées de leur historicité et de leur géographie et contrôlées par une bureaucratie nazie. Le projet est tombé à l'eau avec la contre-attaque des Russes, mais l'idée fut reprise par les vainqueurs pour fabriquer le monde de l'après-guerre, dans lequel il y a eu plus de conflits et plus de morts que dans 1ère moitié du XXème siècle. Les seules décisions émanant des États, aujourd'hui, sont celles qui vont dans le sens de cette bureaucratie. Il ne faut quand même pas oublier que l'ONU a été dirigée pendant 15 ans par un ancien SS, Kurt Waldheim, responsable de la déportation de 300.000 juifs de Salonique.
© Stéphane Hervé
Et les auteurs ont toujours un impact sur la vie politique ?
Il faut s'entendre sur l'expression « vie politique ». S'il s'agit de ce à quoi nous avons assisté depuis plusieurs semaines, c'est le Cirque Pinder pour moi. La vie politique, c'est précisément ces hommes et ses femmes, qui, contre toutes attentes, fabriquent l'Histoire en prenant des voies obliques, des voies déviantes. Nous entrons dans le XXIème siècle, qui sera bien plus différent du XXème, que celui-ci ne l'a été du XIXème.
Dans Le Théâtre des opérations, en 1999, vous écriviez « Naître et ne pas être, telle est notre condition. » Le XXème siècle fut celui de l'existentialisme, le XXIème sera celui de l'inexistentialisme ?
Cela fait partie du programme subliminal des grandes institutions mondiales que de nous précipiter vers la non-existence politique, encore une fois. Nous sommes face à une tentative métahistorique de remettre en question l'homo politicus, tel qu'il a été conçu au moins depuis Sumer. On peut même remonter au-delà, jusqu'à l'homo sapiens, sapiens faber. L'entreprise est terriblement dangereuse, mais dotée de l'intelligence démoniaque de prétendre œuvrer pour le bien de l'humanité. Le nazisme annonçait la couleur, là nous sommes face à quelque chose où tout est relatif : le Kosovo est équivalent aux États-Unis, la Somalie du Sud sera équivalente à la Russie, etc… Même la France pourrait, à terme, pourrait être divisée en plusieurs grandes régions, avec une gouvernance économique. La politique est là-dedans, mais il faut la chercher : elle est dans les conseils d'administration de l'ONU.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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