Au 1er étage du vertical bâtiment de Cap Digital, les bureaux sont attribués, mais pas encore investis : l'IDPF, International Digital Publishing Forum, association créatrice du format de livre numérique EPUB, a choisi Paris pour l'installation de son siège européen en août dernier. L'EDRLab, European Digital Reading Lab, devient ainsi l'un des centres de la réflexion pour l'avenir de la lecture numérique.
Le 13/11/2015 à 08:06 par Antoine Oury
Publié le :
13/11/2015 à 08:06
Cyril Labordrie, responsable de la promotion de l’EDRLab et du format EPUB, et Laurent Le Meur, directeur technique de l'European Digital Reading Lab
(ActuaLitté, CC BY SA, 2.0)
L'IDPF, association à but non lucratif, a généré le format EPUB, standard des livres numériques, en septembre 2007. 8 ans plus tard, l'EPUB est devenu EPUB3 et l'IDPF choisit l'Europe, très impliquée dans la définition d'un standard pour la publication numérique, afin d'y ouvrir son premier centre de développement régional. À terme, une aile asiatique pourrait également ouvrir ses portes.
Ce n'est pas encore précisé sur les portes de Cap Digital, mais EDRLab tient pour European Digital Reading Lab, Laboratoire européen pour la lecture numérique, une autre association à but non lucratif. À son bureau, on retrouve les principaux groupes d'édition français, avec Pierre Danet (Hachette) en président, Virginie Clayssen (Éditis) en trésorière, Alban Cerisier (Gallimard) en secrétaire général, tandis que Media-Participations fait partie des membres fondateurs.
L'implication du monde du livre français au sein de l'IDPF et de la fondation Readium, sa partie développement, n'est plus à prouver, et a pesé dans le choix de la France par l'organisation consacrée au livre numérique, basée aux États-Unis. « Pierre Danet a énormément oeuvré pour faire venir cette structure en France : c'est une très bonne nouvelle pour l'édition française et les starts up qui travaillent sur l'édition numérique, comme Prismalia, Immanens, Mantano ou Feedbooks. Cela dynamise tout l'écosystème », assure Cyril Labordrie, chargé par Cap Digital de suivre et de faire la promotion des projets mis en place par l'EDRLab. Le statut de Cap Digital, encore une association à but non lucratif (et un des pôles de compétitivité pour le numérique en Île-de-France), a également convaincu l'IDPF.
Certaines habitudes sont déjà là : Bill McCoy, directeur exécutif de l'IDPF, en 2013 à Paris
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Le financement du Laboratoire se répartit entre les cotisations des adhérents (500 €/an) et les apports du Syndicat National de l'Édition, du Cercle de la librairie (plus important financeur), du ministère de la Culture et de la Communication (via le CNL, avec un engagement sur 3 ans), et de celui de l'Industrie. Au total, la part d'argent public représente entre 10 et 15 % du financement.
Les statuts associatifs adoptés par les structures qui définissent les standards, comme l'IDPF ou l'EDRLab, ont l'avantage d'être plus raccord avec le mouvement open source qui accompagne le format EPUB qu'une société privée. « Les membres sont des utilisateurs avant tout, il n'y a donc pas de domination de l'un d'entre eux » : aucun risque de lock, de verrouillage de l'écosystème par une seule société privée.
La fondation IDPF est donc à l'origine de l'EPUB, mais une autre fondation, Readium, se charge de créer les outils qui vont avec. Dans le cas contraire, le standard tomberait rapidement dans l'oubli, dépassé par les innovations technologiques et oublié par les acteurs de l'édition numérique. Les principaux outils Readium sont ReadiumSDK, pour créer des applications de lecture smartphone et tablette, ReadiumJS, qui remplit la même fonction pour les applications Web et Javascript, et le Readium CloudReader, sorte de variante du second. À l'avenir, des outils de référence pour iOS et Android, avec des fonctionnalités d'accessibilité comme le passage du texte vers l'audio, et vice-versa, ou des descriptions d'images, sont prévus.
L'écosystème en question est celui, open source, du développement du format EPUB, auquel chacun peut participer sur la plateforme collaborative GitHub. Même si la plupart des pôles Recherche et Développement ne sont pas très importants dans les effectifs des maisons d'édition, de nombreux éditeurs participent aux recherches menées par Readium, sans oublier les créateurs d'appareils de lecture ou de logiciels, bibliothécaires et autres membres de la communauté qui travaille sur l'EPUB, tous lecteurs.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Les projets de Readium sont ainsi open source : librement utilisables, et améliorés par tous ses utilisateurs. « Il y a quelques années, être propriétaire du code était important, maintenant c'est le savoir-faire qui prime », note Cyril Labordrie. « J'ai travaillé dans le jeu vidéo, où il y a peu d'open source, car tout dépend de Sony, Microsoft, qui ne fonctionnent pas sur ce mode-là. Mais même dans l'univers du jeu, il y a de plus en plus de standards open source excellents. C'est le cas de l'EPUB pour la lecture numérique. » « Les éditeurs ont tout intérêt à contribuer au développement de cette norme ouverte, qui leur permettra de ne plus payer de licence pour pouvoir utiliser tel ou tel format de livre numérique », ajoute Laurent Le Meur, le directeur technique de l'EDRLab, en poste depuis une semaine.
Pour prendre en charge une partie du développement des outils Readium : un « lead développeur », expert en EPUB, devrait rejoindre les bureaux le mois prochain, tandis qu'un consultant à mi-temps officie déjà pour l'EDRLab. À terme, l'équipe devrait se constituer de 3 ou 4 développeurs, effectif nécessaire pour le suivi des différents projets, en plus de la communauté open source.
Et la révolution technique est loin d'être terminée. « L'intérêt de l'EPUB, c'est l'ajout de fonctionnalités que l'on n'a pas sur le livre numérique : accessibilité, fonctionnalités multimédias, inclusion d'images et de vidéos, adaptation de bandes dessinées et de magazines, livre qui puisse s'afficher à la fois en fixed layout et en reflowable selon les besoins... », énumère Laurent Le Meur. Ainsi, des sociétés qui travaillent sur la lecture rapide et l'affichage centré se sont déclarées prêtes à reverser des éléments de développement à la communauté.
Pour l'instant, la première année d'activité du labo sera partagée entre les projets Readium qui portent sur l'accessibilité et ceux qui concernent la protection des fichiers numériques, avec la finalisation du projet DRM Lightweight Content Protection (LCP). « Pour certains, la DRM est un frein à l'acquisition de livres numériques, et un argument en faveur des systèmes propriétaires d'Apple ou d'Amazon. Aujourd'hui la DRM LCP reste une spécification, mais a connu deux implémentations bêta, dont celle de TEA, qui l'a dénommée DRM CARE », explique Laurent Le Meur. « Ce n'est pas la protection qui est light, c'est la manipulation », tient à préciser le directeur technique : la DRM LCP utilise une protection par chiffrement, comme celle d'Adobe.
Le DRM LCP n'est pas encore tout à fait conforme à la norme EPUB, mais la phase bêta permettra de la rendre entièrement interopérable. Avec la promesse d'une plus grande facilité d'utilisation : « Avec la DRM Adobe, une inscription est nécessaire auprès de la société. Avec LCP, il s'agira d'un code d'entrée choisi par le lecteur. Et tous les readers compatibles LCP permettront de lire les livres protégés par LCP. » Pour la phase bêta initiée par TEA, une limitation des appareils sur lesquels le fichier peut être lu a toutefois été ajoutée à la demande des éditeurs. Car la DRM LCP reste une mesure technique de protection : elle pourra être intégrée dans Prêt Numérique en Bibliothèque et gérer les licences, supprimant ainsi une partie des difficultés techniques rencontrées par les usagers et subies par les bibliothécaires.
À la médiathèque Françoise Sagan, à Paris (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
L'objectif supérieur au développement de cette mesure technique de protection « propre » est bien entendu l'interopérabilité, un terme devenu commun dans la bouche des autorités françaises et européennes. « Ne pas être dépendant d'un acteur privé est quelque chose de très important aux yeux des autorités européennes », reconnaît Cyril Labordrie. D'autant plus si cet acteur privé est américain et à une vilaine tendance au monopole.
Puisque l'on parle des GAFA, Google est présent aux discussions techniques de Readium, Apple aussi, mais « plus pour suivre que pour réellement participer », se souvient un participant d'une réunion. La marque à la pomme gagne plus d'argent avec ses appareils qu'avec le contenu de son store : l'idée qu'une autre boutique qu'iBooks soit utilisée sur iPad lui importerait peu... Alors, quelle sera la réaction d'une partie des GAFA à l'interopérabilité grandissante ? « Amazon restera dans son silo, mais Apple est beaucoup plus souple avec ses applications iOS : bon, on ne sait pas s'il y aura du LCP dans iBooks... »
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Si ces géants de la lecture numérique observent de loin la définition du standard, ce n'est pas plus mal : toute société en position de monopole cherchera toujours à s'approprier le standard de son domaine d'activité. « Dans l'informatique, un des premiers à avoir fait ça est Microsoft, avec Internet Explorer, qui utilisait le standard Web un peu dévié de manière à ce que les sites lisibles sur IE le soient moins ailleurs », signale Cyril Labordrie. « À part ces grands acteurs, tous ont un intérêt à l'accessibilité : à la fois les vendeurs, qui sont lus sur plus de liseuses, et les readers, qui peuvent lire les publications qui proviennent de plus de vendeurs. »
Salarié de Cap Digital mais mis au service de l'EDRLab et du format EPUB, Cyril Labordrie a la charge de trouver de nouveaux adhérents, pour fédérer au maximum la profession, pas seulement française, mais européenne, autour d'un standard commun : « Nous sommes en discussion avec un réseau belge et l'Union internationale des télécommunications, à Genève... Je suis aussi passé à la Foire de Francfort, où j'ai pu rencontrer une quinzaine de sociétés, toutes très enthousiastes de l'installation d'un labo européen. » Le président de l'association, Pierre Danet, a par ailleurs rencontré Deutsche Telekom, entreprise de télécommunications allemande impliquée dans le système Tolino, concurrent d'Amazon outre-Rhin et très intéressé par l'interopérabilité : « C'est logique pour eux, c'est bien pour nous », se réjouit Laurent Le Meur.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
La recherche des adhérents s'oriente en priorité vers les start-ups et les acteurs de l'édition numérique, mais d'autres maillons de la chaîne du livre, comme les bibliothèques, sont sur la liste des prochaines étapes du recrutement. Il faudra également démarcher les éditeurs juridiques, techniques, scientifiques ou médicaux, dont les lecteurs sont parmi les plus habitués à la lecture numérique, mais qui distribuent encore la plupart du temps des PDF. L'animation de la communauté par l'EDRLab ne se fera pas qu'en ligne, puisque des événements seront organisés avec Cap Digital.
Les collaborations européennes permettront un recours éventuel à des financements tout aussi européens : « Nous sommes en train de monter un projet avec des éditeurs italiens autour de l'accessibilité », confie Laurent Le Meur, « Nous voulons ajouter dans les outils d'Authoring [outils pour semi-automatiser la fabrication d'un ebook, NdR] la possibilité de mieux tagguer le livre avec des métadonnées pour améliorer son accessibilité, ou encore tester que l'outil d'Authoring a bien fait son travail, afin que l'outil de lecture puisse correctement lire le fichier. » Si le projet est accepté, les équipes s'engageraient alors pour trois années de travail.
L'impression persiste, en France, que les éditeurs passent un peu à côté des fonctionnalités inédites que peut apporter la lecture numérique. Il est vrai qu'ils ne sont pas aidés par les articles qui annoncent régulièrement la fin du livre numérique, mais les startups et les développeurs sourient souvent lorsqu'on leur demande pourquoi elles lorgnent plutôt vers les États-Unis. La formation commence tout juste à s'adapter aux nouvelles opportunités, et il semble bien que la technique suive le mouvement.
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