Le système français du droit d'auteur est l'un des plus anciens au monde, et sert régulièrement d'exemple pour l'importance qu'il donne au droit moral de l'auteur. Mais la collecte et la répartition des droits par les sociétés de gestion collective constituent un travail complexe, et des erreurs surviennent parfois au cours de la procédure. Mercinity, société de conseil et de recouvrement de droits d'auteur, entend y remédier à sa manière. Rencontre avec son cofondateur, Nicolas Velai.
Le 17/01/2017 à 10:05 par Antoine Oury
Publié le :
17/01/2017 à 10:05
Nicolas Velai au Labo de l'édition (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Nicolas Velai : J'ai fait des études de communication bilingue à l'université. Une fois celles-ci terminées, j'ai eu envie de faire un projet que je puisse développer moi même : j'ai finalement intégré le Labo de l'édition avec un projet auquel j'avais pensé juste après les attentats de novembre 2015. Je voulais, avec ma collaboratrice Maud Busson, créer une plateforme de musique équitable, un endroit où l'on puisse acheter la musique directement auprès des artistes tout en faisant en sorte que chaque achat génère des dons pour des associations.
Cette plateforme se destinait aux artistes dont le public est encore restreint : plutôt que de dire « Allez sur iTunes et payez 10 € pour mon album », l'idée était d'aller sur Mercinity et de payer 5 € pour télécharger l'album, par exemple. 4 € revenaient à l'artiste, 50 centimes à la plateforme et 50 centimes à une association. C'est un achat moins cher pour le consommateur, plus rémunérateur pour l'artiste, et qui, en plus, vient aider une bonne cause. Il permet d'améliorer le revenu des créateurs, dans la mesure où 50 à 80 % des revenus, selon les contrats, vont à Apple ou à Amazon sur leurs plateformes.
Nous avons intégré le Labo de l'édition avec ce projet, nous avons fait le programme d'accélération, qui donne des bases marketing et des bases commerciales que mon associée et moi n'avions pas. Cela nous a un peu mis face au marché, et nous a fait réaliser que nous projet initial n'était pas très viable au niveau économique. Ce genre de plateformes existe aux États-Unis, comme HumbleBundle pour les jeux vidéo et les livres, qui propose un modèle de prix libre avec une part reversée à une association, sauf que ce genre de société est très long à mettre en place.
Nous avons donc reviré, pour le moment, en créant une agence de conseil en droit d'auteur, pour les artistes, que je dirige seul depuis le mois de septembre 2016. Notre vocation est d'aider les artistes, cette nouvelle activité est simplement une manière différente de la suivre.
Nicolas Velai : J'ai fait mon stage de fin d'études, un peu par hasard, dans une boîte d'édition musicale qui gère les droits d'artistes comme Johnny, Sardou, Tryo... J'ai appris pas mal de choses intéressantes, et je les ai réinjectées dans ce projet. Nous nous adressons ici à des artistes qui génèrent déjà des droits, pour les aider à mieux les gérer. En effet, nous nous sommes rendu compte que les artistes, qu'ils travaillent dans le domaine de la musique, de l'écrit, des arts visuels, ne veulent pas, la plupart du temps, s'occuper de leurs contrats ou de leurs droits d'auteur parce qu'ils préfèrent créer, tout simplement.
Outre cette mission globale de conseil, nous nous sommes spécialisés dans le recouvrement de droits d'auteur. Les sociétés de gestion ont deux missions, la perception et la répartition des droits d'auteurs : ils vont auprès des utilisateurs d'œuvres protégées, comme la télévision par exemple, pour récolter les droits relatifs aux œuvres diffusées et ensuite les répartir aux artistes. En général, ces sociétés sont très bonnes pour réclamer les sommes, sensiblement moins douées pour les répartir auprès des artistes, ce qui fait qu'une partie se perd entre temps : en fait, elles récupèrent d'un côté sans savoir à qui c'est censé revenir de l'autre, et les sommes ne sont pas reversées.
Nicolas Velai : Pour faire simple : les sociétés de gestion collective récoltent de l'argent d'un côté. Plus des trois quarts est reversé aux artistes, et le reste se partage entre fonds destiné à l'action culturelle et frais de gestion. Dans le domaine de la musique et de l'audiovisuel, le travail est un peu plus complexe que dans le livre, parce qu'il n'y aura pas qu'une occurrence pour l'auteur, et beaucoup plus d'usages possibles : la musique peut être diffusée dans une publicité, dans une émission, chez un coiffeur, dans une boîte de nuit... Cela multiplie le nombre d'utilisateurs à aller voir.
En France, certaines sociétés de gestion collective vont voir les diffuseurs en leur demandant de remplir des fiches de déclaration avec la liste des morceaux diffusés, et leurs auteurs. Cette méthode peut sembler plus précise qu'une estimation, mais il existe toutefois des possibilités d'erreurs : si la chanson diffusée est celle d'un groupe, le diffuseur devra mentionner les auteurs de la chanson, et pas le nom du groupe. La personne qui remplit la fiche peut facilement se tromper dans le nom des auteurs, dans celle de la chanson... Et toute erreur entraînera un blocage dans la répartition des sommes perçues pour la diffusion de la chanson de ce groupe.
Depuis 2000, l'État a créé une commission au sein de la Cour de Comptes, chargée de donner son avis sur les sociétés de gestion. Chaque année, le constat est le même : trop d'argent en attente est conservé. Les sociétés de gestion ont alors décidé de reverser cet argent en attente dans la politique d'action culturelle, ce qui permet d'aider des festivals, des artistes émergents, la diffusion de clips... Ces subventions bénéficient à beaucoup, mais certainement pas à l'artiste qui n'a pas touché ses droits.
Notre travail consiste donc à procéder au recouvrement de ces droits d'auteur qui n'ont pas été touchés. Dans les livres qui sont accompagnés par des disques, par exemple, tout le monde s'emmêle les pinceaux, d'un côté les sociétés de gestion collective chargées du livre vont obtenir de l'argent, de l'autre celles en charge de la musique va demander de l'argent pour les mêmes textes, mis en musique... Ce genre de situation mène généralement sur des droits bloqués, en attente.
Nicolas Velai : Justement, l'auteur ne le sait pas, dans la mesure où ses droits n'appartiennent à personne : des bases de données publiques sont disponibles pour que les artistes puissent réclamer leurs droits. Sauf que la plupart ne le font pas, car ils ne le savent pas ou n'ont pas le temps, et c'est là que nous intervenons. D'autant plus que les sociétés de gestion collective ne vont pas vraiment inciter à s'y plonger.
Nicolas Velai : Ce sont des démarches administratives assez complexes, pas vraiment des négociations, dans la mesure où les sociétés de gestion collective sont éthiquement en tort de ne pas avoir retrouvé les ayants droit. Il faut non seulement faire état de ses droits sur une œuvre, mais également s'adonner en amont à des recherches fastidieuses sur tous les titres.
(Jimelovski Platano Macho, CC BY-SA 2.0)
Nicolas Velai : C'est une sorte de cercle vicieux : ceux qui ne sont pas au courant de leurs droits en attente ne vont pas se plaindre, ceux qui sont au courant sont généralement déjà connus, et ils ont des gens qui vérifient leur situation de manière transparente. Et puis, il n'y a pas d'action en justice, car les erreurs ne relèvent pas des sociétés de gestion, mais plutôt des utilisateurs. Nous travaillons beaucoup avec des juristes, car il nous arrive même de nous retrouver dans des situations litigieuses avec les sociétés de gestion collective, qui ne voient pas toujours nos interventions d'un très bon œil.
Nicolas Velai : La commission que nous prélevons varie selon les artistes, selon les sommes à récolter : vu qu'il s'agit d'un travail administratif, c'est plus ou moins le même travail qu'il y ait 10.000 ou 100.000 € en attente. Nous allons donc faire varier nos commissions en fonction de ces sommes, et nous oscillons actuellement entre 20 et 30 % pour la commission. Le montant est défini au cas par cas : nous traitons actuellement avec une association d'auteurs de musique, et nous prenons une marge réduite dans la mesure où il s'agit d'une association, parce que les intérêts ne sont pas les mêmes.
Nicolas Velai : Nous sommes amenés à nous diversifier, car nous avons une connaissance du secteur et nos interlocuteurs nous sollicitent sur d'autres problématiques. J'ai ainsi reçu l'appel d'une autre association d'auteurs qui me signalait qu'on lui refusait l'inscription dans une société de gestion collective : elle ne pourrait donc pas percevoir des droits d'auteur à moins de devenir une entreprise. Nous souhaitons aider les artistes sur toutes ces problématiques qui les défavorisent.
Nous sommes ainsi amenés à nous diversifier dans nos activités, et par rapport aux différents corps de métiers : de l'audiovisuel au livre en passant par la musique...
Nicolas Velai : Effectivement, il y a de plus en plus de nouveaux usages, et les sociétés de gestion, qui sont en France privées et à but non lucratif, mais fonctionnent quasiment comme des administrations publiques. Du coup, ces entités ne sont pas forcément réactives, et se font parfois prendre au dépourvu par les progrès de la technologie.
Nicolas Velai : Pour avoir travaillé sur la gestion de droits d'artistes énormes, quand j'ai vu l'argent qu'ils gagnaient via le streaming, je me suis dit : « Si les trois artistes français qui génèrent le plus de droits gagnent aussi peu sur le streaming, je n'imagine même pas ce que gagnent les autres ».
Aujourd'hui, sur le streaming musical, on divise en gros les 10 € qu'un utilisateur paye pour le mois par le ratio de lectures qu'il y a pour chaque artiste, ce qui donne des moitiés de centimes. Je ne sais pas qui fait le plus de lectures sur Spotify, mais même cet artiste ne doit obtenir que 1 % de la totalité des lectures sur Spotify. L'artiste peu écouté obtient donc de l'argent dans une proportion encore plus réduite...
Mais soulignons aussi que ces nouveaux outils ont d'autres fins : Internet en général m'a fait découvrir énormément de choses, des livres, de la musique... Je suis musicien moi-même, et je ne dénigre donc pas l'activité artistique, mais même si les artistes ne gagnent pas beaucoup d'argent, c'est déjà quelque chose de pouvoir être écouté depuis l'autre bout du monde. Et, encore une fois, vaut-il mieux avoir une grosse partie de rien ou une petite partie de quelque chose d'énorme ?
(Jake Johnson, CC BY-NC-ND 2.0)
Et même des systèmes comme le streaming, qui semblent inégalitaires pour les artistes, ont des énormes vertus : des utilisateurs des plateformes de streaming ne vont pratiquement plus télécharger illégalement d'albums alors qu'auparavant, en tant que gros consommateurs de musique, ils visitaient souvent les sites de téléchargement illégal.
Nicolas Velai : Les usages du livre commencent à se diversifier, mais il n'y a pas encore une rupture telle que celle qui s'est faite pour la musique ou pour les films, avec Spotify et Netflix. Le marché du livre s'y prête peut-être moins. La bonne nouvelle, c'est que le secteur du livre peut tirer les enseignements des situations des autres marchés culturels. Clairement, pour le livre, nous sommes un peu à l'époque du MP3, au moment où on commence à voir du changement.
Nicolas Velai : Je pense que c'est une bonne chose que l'Union européenne uniformise les règlements dans les États membres. En revanche, la réforme elle-même devrait être davantage centrée sur les nouveaux usages, et je suis en faveur de l'Internet libre, pouvoir utiliser librement des choses sans tomber dans des formalités administratives compliquées.
Au final, c'est notre fonds de commerce, mais ma collaboratrice comme moi-même, tous deux artistes, nous résolvons des situations compliquées qui ne devraient même pas exister. Je suis un grand fan de la culture web, un peu pop, comme les GIFS, les memes... Et quand on lit le discours un peu passéiste de certaines sociétés de gestion en France, on réalise qu'elles sont un peu déconnectées : un extrait de film, un clip tourné en dérision ou sous-titré de manière marrante ne portent pas préjudice à des auteurs en 2016. Vouloir aller chercher de l'argent partout n'est pas pensable, et il y a des retombées positives à de nombreux gestes en ligne, il ne faut pas être obtus.
Nicolas Velai : Nous faisons de notre mieux pour collaborer avec les sociétés de gestion collective dans la mesure où nous sommes réunis autour de la cause des artistes. Cependant, il nous est parfois difficile d'obtenir un dialogue constructif, tant ces sociétés sont de vieilles machines administratives souvent peu favorables au changement.
En somme, nous intervenons en tant que complément du travail effectué par les sociétés de gestion — qui font un travail monumental, je le rappelle. Mais ces sociétés voient parfois ce complément comme une accusation de travail mal fait de leur part, plutôt qu'une plus-value évidente pour les artistes. Si nous espérons améliorer nos échanges avec les sociétés de gestion collective, nous continuerons à poursuivre notre vision qui consiste à redonner le pouvoir aux créateurs, et ce même sans le concours de ces sociétés.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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