Le 14 septembre prochain sortira le prochain roman de Ken Follett, troisième volet de la saga des Piliers de la Terre, intitulé Une Colonne de Feu, publié chez Laffont. Pour l'occasion, ActuaLitté a eu l'honneur de rencontrer l'auteur gallois, dans une suite du Plaza Athénée à Paris. Il nous a dévoilé quelques aspects de ce nouveau roman historique, ses habitudes d'écriture et sa conception du métier d'écrivain.
ActuaLitté, CC BY-SA 2.0
Ken Follett : Il y a des moments où ça m'étonne (rires). Mes livres sont populaires au Brésil, par exemple, et parfois je me demande ce que les Brésiliens pensent d'une histoire sur la construction d'une église en Angleterre au Moyen-Âge. La réponse, c'est que ce qui est important, ce sont les émotions que les personnages ressentent, les combats qu'ils font, leurs amours.
Même si vous êtes Brésilien ou Japonais, vous pouvez tomber amoureux, détester votre patron, être obligé d'aller faire la guerre, peut-être. Et ça, c'est universel. Ce que nous aimons, nous lecteurs, c'est entrer dans les émotions des personnages, souffrir avec eux, avoir peur quand ils ont peur. Même si l'histoire parle d'une église, d'une guerre, d'une révolution, ce sont les émotions qui sont importantes.
Ken Follett : Un jour, j'ai lu que la reine Élisabeth Ire avait créé les premiers services secrets d'Angleterre. Je me suis dit que c'était curieux, au XVIe siècle. Alors j'ai fait quelques petites recherches. À l'époque, il y avait déjà des techniques d'espionnage qui sont restées au XXe siècle, comme de l'encre invisible, des messages interceptés, des codes et des gens qui pouvaient décoder n'importe quoi. J'ai alors pensé à faire un roman d'espionnage mais au XVIe siècle, qui mélangerait les romans de suspense que j'aime énormément et les romans historiques que j'apprécie également.
Ken Follett : Il y a beaucoup de livres d'histoire dont j'ai profité. Le petit problème, c'est que ce que font les espions est secret ; c'est logique. Il y a donc beaucoup de choses qu'on ne trouve pas dans les documents ou les livres d'histoire. Mais ce n'est pas grave : ce qu'il manque, je vais l'inventer, l'imaginer.
Ce que je trouve important en revanche, c'est de visiter des endroits. Pour recréer le Paris du XVIe, j'ai visité quelques petites rues parisiennes qui sont aujourd'hui comme elles étaient à l'époque. Parce qu'au XVIe siècle, on n'avait pas les boulevards Haussman, qu'on considère aujourd'hui comme typiquement parisiens. C'était une ville de 300.000 personnes mais dans un endroit très restreint. Les rues étaient sinueuses, sales, elles sentaient mauvais.
Ken Follett : Eh bien, ce n'était pas aussi cruel que le Moyen-Âge. On commence à devenir un peu moins cruel, bien que très peu. Au XVIe siècle, on aime encore regarder les animaux se faire torturer. Par exemple, la reine Élisabeth, que j'admire par ailleurs, adorait la corrida.
En revanche, on commence à avoir quelques aspects de civilisation comme le théâtre. Ce n'est pas beaucoup de progrès mais c'est un peu mieux. Parfois on ne torture pas, on va voir des pièces de Shakespeare, c'est déjà un progrès ! (rires)
Ken Follett : Au XVIe siècle, on a commencé à parler de l'idée de tolérance. C'est une idée neuve, et qui n'était pas du tout générale. La liberté de culte est la première qu'on a demandée, avant la liberté d'expression, avant le droit de voter. Donc même si les partisans de la liberté étaient peu nombreux et n'ont pas eu de grand succès à l'époque, c'était un commencement important.
En revanche, la situation des femmes ne s'améliore pas vraiment, pas au XVIe, même s'il y avait des reines, et des reines puissantes. C'était des femmes exceptionnelles qui étaient des rebelles, qui se révoltaient d'être considérées comme des êtres inférieurs. Mais en général, la plupart des gens, hommes ou femmes, acceptaient ce qu'on disait, et si on leur disait « Votre père est pêcheur, vous serez pêcheur », en général on disait « Très bien, merci » (rires). Mais dans un roman, on préfère les gens qui disent non, parce que comme ça, on a une histoire à raconter.
Ken Follett : Je crois que quand on commence à comprendre l'Histoire, on commence à appréhender sa propre époque. Mais je ne souhaite pas donner de leçons à mes lecteurs, parce que je ne suis pas plus intelligent qu'eux. Ce que je fais, c'est que je leur propose de voir ensemble comment [les hommes] étaient à l'époque, je leur montre quelques aspects et ils se feront leur propre opinion. Souvent dans mes romans, il y a un débat entre deux personnes, entre deux points de vue, et je ne finis pas par résoudre ce débat, parce que je ne peux pas, c'est au lecteur ou à la lectrice de faire son choix.
Ken Follett : C'est un peu personnel, parce que j'aime la France. J'y ai habité pendant trois années au cours des années 80, et j'ai énormément apprécié ce pays. Mais c'est aussi que j'ai une image du monde, et dans mon image, nous sommes tous connectés. Même en Angleterre, qui est une île, nous ne sommes pas seuls. Peut-être que l'on veut être seul, mais ce n'est jamais vrai, parce qu'on fait du commerce avec les autres pays. Et on ne peut pas arrêter de faire ça : d'où viendrait notre vin rouge si nous ne pouvions pas l'acheter en France ? Donc, c'est un peu personnel mais c'est surtout que je crois que c'est comme ça que le monde tourne.
Ken Follett : C'est une mission trop ambitieuse pour moi (rires). Mais ce que nous faisons aux lecteurs, nous les auteurs, c'est leur montrer que le monde est plus grand que ce qu'ils pensent. Quand vous lisez un roman, vous entrez dans les émotions de quelqu'un qui n'est pas comme vous. Vous commencez à comprendre que les gens sont différents mais que nous partageons beaucoup de choses également. À mon avis, le pouvoir d'entrer en relation avec les émotions d'autrui est très important pour les êtres humains, et je crois que les romans permettent cela.
Ken Follett : Oui ! D'abord, je n'avais pas cette intention. Je n'avais pas prévu que j'écrirais trois romans qui commenceraient dans la ville de Kingsbridge. Si je l'avais su, j'aurais choisi un meilleur nom ! Mais c'est devenu le symbole de l'Angleterre. Les changements de Kingsbridge sont les changements de l'Angleterre : ça grandit, ça devient plus riche, les industries se développent. Et toutes les choses qui sont arrivées à Kingsbridge sont aussi arrivées en Angleterre.
J'espère également que les lecteurs aiment revenir à Kingsbridge, parce qu'ils peuvent se dire « Oui, je me souviens de la grande cathédrale, de la maison en face où habite la famille, de la rue qui descend à la rivière, et du pont ». Je crois que ça fait plaisir aux lecteurs de se souvenir, d'apprendre de nouvelles choses et de voir comment la ville a changé.
Ken Follett : Oui, pour moi c'est très important. J'ai des amis qui me disent « J'écris pour moi », et je les respecte, mais moi je réfléchis toujours aux réactions des lecteurs : est-ce qu'ils vont aimer ce personnage, le détester ? Est-ce que qu'il vont croire que c'est possible ? Et surtout : est-ce qu'ils vont vouloir savoir ce qui va se passer à la prochaine page ?
Ken Follett : Je travaille toute la journée. J'aime beaucoup commencer de bonne heure, peut-être vers 6 h, quand je me lève. Le matin, très tôt, je suis plein d'idées et plein d'énergie. Bien sûr, je me rase, je prends le petit-déjeuner, le déjeuner, mais je travaille le reste du temps. Ensuite, peut-être vers 16 h, j'arrête de travailler, parce qu'à ce moment je n'ai pas beaucoup d'idées. L'après-midi, le soir, je me décontracte, je prends une coupe de champagne, je vais dîner avec des amis, etc.
Sur le long terme, un roman comme [Une Colonne de feu] me prend trois ans à écrire. La première année, je fais beaucoup de recherches et je fais un plan. Je planifie tout : pour chaque chapitre, je note ce qui arrive aux personnages. La deuxième année, j'écris le premier jet, je le montre aux éditeurs, aux spécialistes qui corrigent les erreurs d'histoire ou de science, et à ma femme et mes enfants. J'ai des enfants qui lisent beaucoup et qui aiment lire mes premiers jets et me donner leur avis. Enfin, la troisième année est consacrée au jet final.
Ken Follett : Je ne voudrais vivre dans aucune de ces périodes de l'Histoire parce que je suis très attaché au confort, aux grands hôtels, au champagne... Être au chaud l'hiver et au frais l'été, c'est très important pour moi, je n'aime pas l'inconfort, donc je préfère le présent (rires).
Mais pour écrire, c'est le Moyen-Âge, l'âge des Piliers de la Terre, que je préfère. C'est une époque qui me touche beaucoup, parce que les gens sont comme nous, mais leur vie est tellement différente et beaucoup plus dure, plus cruelle que la nôtre. Nous partageons des aspects de leur vie, et en même temps nous pouvons dire « Ah, grâce à Dieu je ne vis pas à cette époque ! »
Ken Follett : Il y en a beaucoup. Mais en particulier, non, je ne crois pas. Quand je finis un livre, et que je suis en train de me demander ce que je vais faire pour le prochain, en général après quelques semaines de réflexion, il y a quelque chose qui me saisit. Ça peut être une époque, ou un détail comme le fait qu'Élisabeth 1ère ait créé les services secrets. Je ne peux pas le prévoir. Je suis comme une radio, on tourne le bouton et au bout d'un moment, un message arrive enfin.
Ken Follett : Peut-être oui, ce n'est pas exclu !
Une colonne de feu – Ken Follett, trad. Dominique Haas – Robert Laffont – 9782221157695 – 24,50 €
Paru le 14/09/2017
926 pages
Robert Laffont
24,50 €
Commenter cet article