Le poche, mais qu’est-ce ? Unanimement, les éditeurs répondent : un argument en faveur de la lecture. En 2016, un livre sur quatre vendu l'était en format poche, soit plus de 15 millions d’exemplaires. Certes, ce marché a évolué avec le temps, et les grands formats sont des ouvrages plus onéreux, mais le format poche, pour les groupes, est un véritable enjeu financier. Rencontre avec quelques incontournables du secteur.
Le 03/10/2017 à 16:06 par Clément Solym
Publié le :
03/10/2017 à 16:06
(photo d'illustration, Julia Buchner, CC BY ND 2.0)
« Les lecteurs attendent le format poche, pour des raisons de budget », concède David Ducreux, responsable de la communication de Folio. Chez Gallimard, cette marque est une collection poche propre au groupe, qui incarne par conséquent la maison. Historiquement constitué par un catalogue commun dont l’éditeur gère les droits, Folio représente « un socle de la littérature du XXe siècle », explique le responsable de la communication.
« Nous avons fêté nos 40 ans en 2012, et à l’époque, les chiffres donnaient déjà un clair panorama : 31 prix Nobel de littérature, auxquels Modiano et d’autres se sont ajoutés depuis. Plus de 3000 auteurs publiés, venus de 60 nationalités et 30 langues. » Et surtout, la fierté de compter plus de 30 Prix Goncourt désormais.
Mais Folio représente avant tout le patrimoine de la maison : ce n’est pas pour rien que L’étranger de Camus, avec plus de 7,5 millions d’exemplaires vendus, en est le best-seller. « Ce qui nous oblige, c’est le fonds dont nous avons la responsabilité. » Avec un choix éditorial clair : pas d’inédits, pas de romance non plus, bien que le genre grapille des parts de marché. « Cela ne nous correspond tout simplement pas. »
Filiale de la maison Flammarion, les éditions J'ai lu sont dirigées par Jocelyn Rigault. « Notre spécialité, c’est l'éclectisme. L’an prochain, nous aurons 60 ans, et depuis 1958, où nous avons débuté avec la romance, se sont ajoutées des littérature de genre, de l’imaginaire, des documents. Avec un segment policier et littérature étrangère très important. »
J’ai lu « cumule les niches : chaque secteur dispose d’un lectorat précis, et il n’est pas question de gommer cette identité ». Produisant 470 nouveautés par an, la maison se donne pour mission « de trouver un deuxième public, tout en faisant durer les textes. Avec la masse de grands formats à la durée de vie de plus en plus éphèmère, le poche est plus longtemps accessible ».
Maison généraliste, elle ne s’interdit rien : « Offrir au plus grand nombre la plus grande sélection, à petit prix, voilà le défi. Comme nous représentons une grande variété de genres, nous pouvons tout envisager. »
Pour Véronique Cardi, directrice générale du Livre de Poche, au sein du groupe Hachette, le format a une dimension historique : créé en 1953, la société, à l’initative d’Henri Filipacchi, a véritablement inventé le marché avec d’autres grandes maisons. « Le livre de poche, c’est une bibliothèque idéale : populaire et de qualité, classique et contemporaine, réunissant chez nous fiction, non fiction et grand public. »
Une certaine fierté, puisque le catalogue va de Gaël Faye à Virginie Grimaldi. « Des auteurs de références, dans le plus grand nombre de domaines possible », au sein de collections qui se sont diversifiées avec le temps. « Nous cherchons avant tout à rester fidèles aux valeurs du livre de poche, dans notre travail sur le catalogue : démocratisation de la lecture, petits prix. Le poche est avant tout le compagnon idéal, pour chaque instant », précise-t-elle.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Arrivée en 2008 dans le groupe Bragelonne, le label Milady est la transposition à un prix et une diffusion massmarket des auteurs et des genres publiés en grand format. On y retrouve logiquement imaginaire, fiction féminine, romance érotique, thriller etc. En quelques chiffres, Milady ce sont 1 276 références actives à date au catalogue poche, et 11,2 millions d’exemplaires vendus depuis la création. Le tout avec 217 références parues pour l’année en cours. Et quelques jolis succès comme David Gemmell, çà plus de 500.000 exemplaires, ou encore Sorceleur à 400.000 et Anita Blake à 600.000 exemplaires.
« Pour une maison indépendante comme la nôtre, créer un label poche sert à conserver notre catalogue et en maîtriser l’exploitation d’une façon plus diverse et plus large. Les coûts afférents au contenu (à-valoir, traduction, correction…) ont plus de chances d’être couverts par une exploitation en poche par nos soins succédant à la première édition grand format », indique Stéphane Marsan, directeur éditorial.
Pour autant, les ventes de droits de grands formats sont une nécessité commerciale. Milady ne dispose ni des moyens ni de la notoriété de grandes marques de poche. « Même en disposant de notre propre label poche Milady, nous avons continué à céder des œuvres quand nous avons jugé que ces marques, du fait de leurs spécificités, serviraient mieux l’auteur en poche que nous ne l’aurions fait nous-mêmes. La légitimité de Folio auprès des prescripteurs pour Les Lames du Cardinal de Pevel en est l’un des meilleurs exemples. »
Côté Livre de Poche, la maison a mis en place différentes opérations pour faire se rencontrer les livres et les lecteurs, comme le Camion qui livre – et a fait cet été encore la tournée des plages. « C’est un exemple de modernité, et de lien avec la tradition : le fondateur avait en effet une carriole et présentait au public, en tournée, une sélection de livre. »
L’année prochaine, une autre opération interviendra : la Battle d’écriture. « Nous tâchons là d’agir sur les jeunes générations et d’entretenir auprès d’elles le goût des mots et de la lecture, autant que de l’écriture. » Seront ainsi organisé des matchs d’impro, avec des lycéens dans une compétition nationale, sous le parrainage de Gaël Faye.
Le travail sur les couvertures est tout aussi primordial : « Pour Virginie Grimaldi, notre studio a cherché une note vitaminée, très différente de ses grands formats, tout en lui accordant une place à part », indique Véronique Cardi.
À l’évidence, « le lecteur n’a désormais plus le temps de s’interroger sur les livres : en entrant en librairie, il doit voir une lisibilité du genre : c’est cette compréhension immédiate à laquelle nous aspirons ».
Et chacun essaye de rivaliser de créativité pour donner une atmosphère. Pourtant, Jocelyn Rigault (J'ai Lu) y voit « une approche artistique, c’est très clair, et pas du marketing : voilà deux ans, nous avons relooké neuf segments de notre catalogue, leur attribuant une charte graphique propre. Le marketing intervient ensuite, dans la PLV et la publicité. »
Se distinguer, en priorité, tout en gardant à l’esprit que l’on ne s’adresse pas aux mêmes personnes, « donc proposer des identités graphiques distinctes, en fonction des publics, des genres ».
D’un point de vue commercial, le poche exige cependant une cadence de publication intense. « Quand nous avons lancé notre poche Imaginaire, nous avons publié à nous seuls en l’espace d’un an autant que tous les éditeurs poches réunis publiant ces genres ! En 2017, notre production poche, ce sont 210 titres tous genres confondus. Notre ligne imaginaire était première en parts de marché en 2016, devant les marques poche des groupes. Pas mal pour un indépendant ! », relève Stéphane Marsan.
Chez Livre de Poche, appartenant à 60 % au groupe Hachette, et 40 % à Albin Michel, les publications sont variées, provenant pour majorité des deux groupes actionnaires, mais accueillant aussi les titres d'une soixantaine d’éditeurs. Les accords passés entre les uns et les autres sont toujours très encadrés : « Le marché est très concurrentiel, commercialement très agressif et les cessions peuvent faire l’objet d’enchères fortes », note un éditeur.
Lourde responsabilité alors pour chacun d’avoir un comportement de suivi étroit des auteurs, pour les accompagner au mieux. Folio revendique cette collaboration : « Nous avons créé un poste de relation libraires spécifiquement pour la collection : cela permet de suivre nos auteurs dans le temps. De fait, nous agissons comme une véritable maison. »
Pour J’ai lu, « à la différence d’autres, où la majorité des titres vient des groupes auxquels ils appartiennent, 70 % du catalogue provient de l’extérieur. »
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
À ce jour, un tiers des titres de Folio viennent d'éditeurs extérieurs au groupe, mais la spécificité de la collection reste d’être au service du grand format. « Dans Folio SF, on se permet d’avoir des inédits, parce que ce genre n’existe pas chez Gallimard; par ailleurs, ce sont les éditions Denoël qui peuvent nous apporter des titres publiés par leurs soins en grand format. »
Chez Milady, précise Stéphane Marsan, le recours à des achats de droits relève d'une volonté éditoriale : « En de rares occasions avons-nous acquis des droits auprès d’éditeurs tiers, soit parce que leurs ouvrages s’intégraient parfaitement dans notre ligne éditoriale (science-fiction) soit parce qu’ils nous aidaient à composer une ligne que nous avions du mal à alimenter suffisamment avec notre propre catalogue grand format (littérature). »
« Ses parts de marché augmentent, même si la progression est lente. Mais aujourd’hui, on voit les derniers Goncourt entre 5 et 8000 exemplaires vendus numériques, démontrant cette évolution », concède-t-on chez Folio. Pour certains titres, cela représente même des ventes supérieures au papier.
Reste que dans l’ensemble, les acheteurs de numérique sont des lecteurs qui consomment déjà beaucoup de livres papier. « C’est un achat en plus, pas un nouveau public », précise-t-on.
Veronique Cardi plaisante : « Les prédictions apocalyptiques entendues voilà encore quelque temps sont toutes balayées à ce jour : la non-explosion de l’ebook en France rassure relativement. » Et implique de rendre l’objet toujours plus attractif. « Nous cherchons à enrichir avec de véritables bonus nos ouvrages : certains auteurs, comme Grégoire Delacourt, signent des préfaces ou postafes inédites pour la sortie en poche. »
Plus encore, avec la parution de Journal d’un vampire en pyjama, Mathias Malzieu fera sensation. « Il avait promis qu’il ferait le tour de l’Islande sur un skateboard à moteur s’il réchappait de sa maladie. Il a tenu parole et a réalisé des photos durant son périple. Elle se retrouveront donc dans la version poche, pour apporter quelque chose en plus au lecteur. » Cela n’empêche pas d’avoir développé un catalogue numérique propre, le label Prélude, qui publie en semi-poche et numérique.
« Il faut garder à l’esprit que les droits numériques sont, à 90 %, détenus et conservés par l’éditeur du grand format », rappelle Jocelyn Rigault, de Folio. « Certes, l’ebook a changé un peu le comportement des lecteurs, mais il a surtout exercé une véritable influence pour les littératures de genre. C’est notamment le cas pour la romance : il a fallu s’adapter. » Mais l’avenir du poche n’est pour autant pas à craindre. « Personnellement, je suis numérico-sceptique : le livre papier est bien trop ancré dans le paysage culturel français. »
« On peut considérer le livre numérique comme le successeur du poche en tant qu’exploitation mass-market, de grande diffusion, par principe moins cher que les autres formats. Enfin, tant qu’on tient à le vendre moins cher que les formats papier, ce qui est notre cas : le prix courant du numérique est à 60 % environ du prix papier », se distingue Stéphane Marsan.
En tant qu’indépendant, la priorité reste alors de garder la main sur le catalogue en numérique, son contenu et sa commercialisation. « Cela nous permet par exemple d’utiliser l’immédiateté du changement de prix pour faire des opérations commerciales de recrutement de lecteurs. » Pour autant, le numérique ne remplace en rien le poche, « comme il ne remplace pas les éditions imprimées en général : toute exploitation est complémentaire et s’adresse en majeure partie à un public complémentaire ».
Or, chez nombre d'éditeur, le prix des livres de poche est maintenu au dessous du format numérique, garantissant que la situation ne soit pas prête d'évoluer. Pour les amateurs, ce week-end se tiendra à Gradignan le salon Lire en Poche (à côté de Bordeaux), une manifestation dédiée au livre de poche : l'occasion de se faire doublement plaisir.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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