Cette édition 2018 du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême n'était pas exempte d'une contestation portée par auteurs et autrices. Tous ont encore une fois alerté sur leur précarité et les conditions difficiles d'exercice de leur métier. Christelle Pécout, autrice et vice-présidente du Syndicat des auteurs de bande dessinée, évoque avec nous l'actualité sociale des auteurs, de la rémunération des dédicaces à la représentation des femmes au Festival d'Angoulême.
Le 27/01/2018 à 11:36 par Antoine Oury
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27/01/2018 à 11:36
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Christelle Pécout : La marche des auteurs avait été initiée par le Snac BD en 2015 suite à la réforme de l'IRCEC, laquelle avait généré un ras-le-bol des cotisations sociales en hausse. Cela avait eu au moins l'effet de nous permettre de négocier la réforme de l'IRCEC. À ce propos, les élections du conseil d'administration du RAAP nous ont permis de changer la représentation en présentant des candidats, notamment avec l'intersyndicale. Le conseil d'administration de la retraite des auteurs nous ressemble un peu plus, aujourd'hui.
La tribune du CAA [Collectif Artistes Auteurs, NdR] est venue d'un collectif né dans plusieurs villes en même temps, notamment Strasbourg et Nantes pour les auteurs de BD. Pour le Snac, c'est la manifestation d'une colère dont on parle depuis longtemps aux pouvoirs publics, aux collectivités, aux éditeurs...
La réforme de la CSG, malgré l'annonce du ministère de la Culture qui va essayer de la compenser, nous a vraiment donné l'impression d'être méprisés et de ne pas être considérés comme des actifs comme les autres, alors que nous sommes aussi des actifs. Plus généralement, cette hausse des cotisations, dans tous les domaines — d'autres sont prévues d'ici 2020 —, est extrêmement fatigante pour une population précaire.
Christelle Pécout : Il y en a déjà une : le CAA est une convergence de plusieurs types d'artistes, avec des auteurs BD, des illustrateurs, des auteurs jeunesse, des photographes, des plasticiens. La Charte des Auteurs jeunesse avait fait une marche à Montreuil pour marquer les esprits, il se trouve que nous sommes en très bons rapports, nous communiquons régulièrement, et nous nous rapprochons du CAA pour nous accorder.
Christelle Pécout : Nous avons déjà soulevé plusieurs points avec le cabinet de la ministre de la Culture, qui concernent la compensation de la CSG et comment cela va être assuré, ainsi que l'avenir de la Maison des Artistes et de l'AGESSA. Il y a trop d'incertitudes sur ces questions, ce qui augmente un peu plus la précarité des auteurs. La présence rémunérée des auteurs en festival a également été évoquée, ainsi que, plus généralement, les problèmes sociaux que nous rencontrons.
Christelle Pécout : Nous distinguons vraiment les rencontres et les dédicaces. Pour les rencontres et tables rondes, nous suivons les tarifs proposés par la Charte des auteurs jeunesse, et le Centre national du livre vient d'ajuster ses tarifs également.
Le CNL rémunère les auteurs pour leurs interventions d'animation, mais uniquement sur les festivals qu'il subventionne : le travail qu'il nous reste à faire, c'est intervenir auprès des villages et des petites villes où l'auteur assure vraiment l'événement culturel dont il est invité. À ces occasions, le libraire d'occasion ou le restaurateur du coin, par exemple, vont gagner de l'argent grâce à la manifestation tandis que les auteurs, qui attirent les gens, ne gagnent rien. Il est vrai que nous sommes accueillis, avec le voyage, les repas, le logement payés — il faut voir parfois dans quelles conditions —, mais il faut savoir que le temps du week-end est devenu un temps de travail pour les auteurs. Comme nos à-valoirs, nos avances sur droits d'auteur, sont plus basses, nous sommes obligés de travailler beaucoup plus pour... gagner plus, voilà. On ne peut pas forcer les organisateurs privés à nous rémunérer, mais il faut une réflexion de fond sur ce domaine.
C'est un autre point, mais l'autoproduction est en train de gagner du terrain en bande dessinée, et un nombre croissant d'auteurs est désormais obligé de passer le week-end à vendre des albums.
Christelle Pécout : Pour les dédicaces, la bande dessinée est un domaine spécifique : certains d'entre nous voient leurs dédicaces faites gratuitement et revendues le lendemain à 600 €. Cette vente d'originaux échappe à l'auteur, mais aussi à l'État. Nous avons soulevé ce problème avec les pouvoirs concernés.
Ce que l'on souhaite, c'est le paiement du temps de présence de l'auteur en festival de bande dessinée pour la dédicace : un tarif minimal est nécessaire. Nous voudrions vraiment éviter l'introduction de dédicaces payantes en festival, ce qui reviendrait à un système de commissions comme aux États-Unis. Ces commissions se font souvent de la main à la main, ce qui n'est pas une solution, selon nous. Et les auteurs moins « bankables » pourraient en faire les frais. À côté, beaucoup d'auteurs, et notamment des scénaristes, s'inquiètent de ne plus être invités, avec un tel système de rémunération : mais nous pensons que, dans la situation actuelle, de plus en plus d'auteurs ne peuvent déjà plus se permettre d'aller en festival.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Christelle Pécout : Peut-être un forfait, mais certains auteurs seraient forcément plus chers. Ce qui serait bien, ce serait de partir sur une base — ce n'est pas à nous d'en fixer le montant — et de rémunérer de la même façon les auteurs qui sont invités à un même festival. Nous souhaitons une solution la plus juste socialement.
Évidemment, cette rémunération ne supprime pas le défraiement. On paie un acteur ou une actrice, on paie un chanteur ou une chanteuse, pourquoi pas les auteurs et les autrices, qui effectuent aussi une prestation artistique ? Car nous sommes plus proches de cela que d'une simple signature comme une dédicace de roman.
Christelle Pécout : C'est à déterminer. L'éditeur dira toujours non, car pour lui, il s'agit de temps de promotion. Mais ce qu'il ne dit jamais aux jeunes auteurs et autrices, c'est qu'ils ne sont pas obligés d'y participer, et ces derniers s'y sentent contraints, sans pour autant être payés.
Ou alors, l'éditeur dira qu'il ne rentre pas dans ses frais en festival. Or, l'éditeur fait de moins en moins de choses dans la réalisation des albums : auparavant, il s'occupait de scanner, de faire le lettrage... À présent, ce sont les auteurs qui le font, pour le même tarif, voire moins.
Le Festival d'Angoulême, comme Lyon BD, invite quelques auteurs et autrices, qu'il rémunère pour des tables rondes et diverses prestations, grâce au CNL notamment. Mais les dédicaces qui ont lieu sur les stands ne sont pas considérées comme telles.
[Marie Gloris, autrice et membre du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme comme Christelle Pécout, se joint à l'entretien, NdR]
Christelle Pécout : Cette année, par exemple, seules deux expositions du Festival sont consacrées à des autrices, Orianne Lassus et Marion Montaigne. Ce que nous espérons, au Collectif, c'est qu'un jour une autrice sera nommée pour le Grand Prix ; ça viendra peut-être un jour.
Marie Gloris : Je dirais qu'il y a une évolution positive, quand même, sur la prise en compte de nos demandes, sur l'écoute et les retours qu'on peut avoir, au niveau institutionnel ou, dans un autre registre, au niveau de l'éditorial et de nos collègues, tout simplement. Les demandes qu'on fait depuis deux ans sont entendues, même si elles sont parfois mal vues... Enfin, le collectif compte : il est désormais convié à des rendez-vous institutionnels.
Le point négatif, c'est que tout va toujours très lentement, et l'on s'épuise par moment des réponses qui nous demandent d'attendre. On a dit pendant un siècle aux femmes d'attendre pour avoir le droit de vote, quelque part, ici, c'est du même ordre, on nous dit que les gens ne sont pas prêts. Sur un cycle long, il y a une amélioration, mais c'est très lent. Et la réaction est toujours possible : on peut faire deux pas en avant, puis trois en arrière... Il nous faut une vigilance quotidienne, systématique.
Le Magic Mirrors, espace réservé aux auteurs à Angoulême
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Christelle Pécout : Oui. La profession se féminise, ce qui était attendu, et, malheureusement, comme beaucoup d'autres secteurs, quand une profession se féminise, les salaires baissent. Il y a une précarisation des auteurs de toute façon, mais elle est amplifiée par la féminisation du métier. Car les femmes, sociétalement parlant, par éducation, ne sont pas habituées à négocier, ou sont invisibilisées de bien des manières dans le processus.
Ce qui est évident, c'est que sur les stands des gros éditeurs du festival, il y a une sous-représentation des autrices, comme chez Le Lombard ou chez Dupuis par exemple. C'est assez incroyable, à l'heure où un quart des auteurs, au moins, sont des femmes. Dans les récompenses, il y a quelques progrès : à part la réforme du mode de vote du Grand Prix, nous avions demandé qu'il y ait des femmes dans les jurys de sélection et dans les jurys finaux.
Marie Gloris : On en est là, encore à demander des femmes dans les jurys. Ce sont des questions politiques et, comme tout ce qui est politique, s'il n'y a pas d'impulsion, cela ne se fait pas. Je suis la première, de façon naturelle, à ne pas être pour la parité en politique, mais je sais, sur un principe de réalisme, qu'il n'est pas possible de faire autrement.
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Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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