Absente des États généraux du livre, Cécile Coulon avait fait parvenir un texte pour ouvrir les débats que Carole Zalberg a lu au public. Elle y parle de ce que vivent les auteurs, au quotidien, avec des formules simples, et frappantes. Avec son autorisation, nous reproduisons ici l’intégralité de cette splendide intervention.
Le 24/05/2018 à 13:36 par Auteur invité
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24/05/2018 à 13:36
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Bonjour. Ou Bonsoir pour ceux qui ne se sont pas couchés cette nuit. La journée va être longue, pour ceux-là et les autres aussi, vous allez, ensemble, discuter d’un sujet aussi épineux que la comptabilité de François Fillon, mais beaucoup plus nécessaire : le statut de l’auteur, ou plutôt, l’absence de statut de l’auteur.
Je ne peux malheureusement pas être parmi vous aujourd’hui, ce sera donc Carole Zalberg qui sera ma voix, faites-lui confiance, elle ne changera pas les mots en cours de route. J’ai très envie de vous souhaiter une excellente journée, en tout cas, je la souhaite productive.
Commençons par une mauvaise blague : la semaine dernière j’ai déjeuné chez mes parents, et entre la poire et le fromage (au lait cru) un ami de la famille m’a demandé où j’en étais dans ma vie professionnelle, j’ai répondu que j’écrivais des livres et il m’a dit « Non, mais sérieusement ton vrai métier c’est quoi ? ».
Heureusement pour lui, il avait un bout de salade coincée entre les dents. Ce moment, la plupart des gens ici l’ont déjà vécu. Et ce qui est en train de se passer du point de vue de la loi, c’est la même chose, sauf que, le bout de salade dans la dent du gouvernement, c’est nous.
Si je ne suis pas parmi vous alors que le statut des auteurs, en gros des gens qui n’ont pas un vrai travail et qui se battent pour 10 % d’un livre qu’ils ont mis des années à écrire et à faire publier, c’est parce que je suis de jury au CNC, jury qui attribue des bourses pour des jeux vidéo en production (ça y est je sens que j’en ai lâché quelques-uns parmi vous).
Je suis dans ce jury parce que je travaille sur un jeu vidéo avec une maison de production depuis plus d’un an. Avec de vraies fiches de paye, des factures, des prélèvements, des temps de travail, des cotisations retraite, des mutuelles, bref, les auteurs connaissent très bien les termes « prélèvements » et « facture » le reste, c’est flou.
Je travaille à côté parce que pendant des années je n’ai pas vécu de l’écriture de mes livres et ça n’a jamais été le but d’ailleurs. Comme beaucoup de gens, j’ai été élevée avec l’idée qu’il fallait avoir un diplôme, faire un stage quelque part, ensuite avoir un vrai travail, des vacances (les auteurs connaissent bien ce mot, car les gens leur reprochent très souvent d’être en vacances toute l’année), une mutuelle, la retraite, bref la totale, la complète quoi.
Écrire des livres c’est une chose, les publier, ç’en est une autre, et les vendre encore une autre.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
De quoi allez-vous parler aujourd’hui ? De dix personnes minimum qu’il faut payer pour qu’un livre passe de l’auteur au lecteur ? Des livres publiés uniquement pour faire de la trésorerie ? De la différence entre livres vendus et livres facturés ? De la retenue sur droits d’auteur en cas de retour et que cette retenue peut atteindre plus de 30 % ? De la hausse de la CGS (évidemment) et du fait que le mot auteur effraie les parents et fait rire les banquiers ?
Mais surtout, amis auteurs, quelqu’un va-t-il témoigner pour dire que oui, c’est possible de parler directement à quelqu’un quand vous téléphonez à l’AGESSA pour tenter de remplir votre dossier ?
Je suppose que vous aborderez ces sujets. Je suppose que la plupart des gens dans cette salle sont soit en colère, soit dépités, soit énervés. Ceux qui regardent les news sur leurs portables ou jouent à Candy crush saga sont faciles à repérer, ce sont les seuls qui sourient. Bref.
Parler d’un statut social pour les auteurs, visiblement, ça froisse, ça chiffonne, pourquoi un statut social pour une activité artistique je vous le demande, quand on sait que les meilleures œuvres naissent dans la misère, la sueur et les larmes pourquoi avoir une retraite et une couverture maladie c’est tellement mieux de créer en sachant qu’on est dedans jusqu’au cou.
En vérité, pardon si je suis en train de démolir la revendication principale de cette journée, ce n’est pas un statut que nous demandons. Juste un chouïa, une larmichette, un reste, bref un petit peu de justice. Chez les auteurs, le taux horaire, ça n’existe pas, les RTT ça n’existe pas, les discussions autour de la machine à café avec Martine de la compta, ça n’existe pas. L’arrêt maladie ça n’existe presque pas. Les tickets resto ça n’existe pas (et tant mieux on reste mince). En revanche, le fait de cotiser à partir de nos droits d’auteurs et de ne pas bénéficier de la protection que ces cotisations sont censées produire, ce n’est pas un caprice, c’est une nécessité.
Ce débat, ou plutôt, cette humiliation sous forme de projet de loi, autour du statut de l’auteur m’a fait prendre conscience de plusieurs choses : déjà, j’ai appris que des auteurs gagnaient de l’argent, et ça ça m’a fait chaud au cœur. Ensuite j’ai appris combien d’auteurs gagnaient de l’argent et combien d’argent ils gagnaient et j’ai attrapé un rhume.
Très récemment, comme beaucoup d’entre vous, j’ai rempli ma feuille d’impôt en ligne, j’ai déclaré mes droits d’auteurs dans la case « salaires ou affiliés » et une bulle s’est ouverte pour me dire qu’à partir de janvier 2019, prélèvement à la source, chez l’employeur, et je me suis dit « oh les cons, j’ai pas d’employeur ils vont bien galérer », ensuite deuxième bulle « en cas de professions libérales/artisans.artistes » on fait ça en direct, à la bien, de banque à banque, et puis j’ai vu le montant qu’on me prendrait en 2019 qui est actuellement le montant de ce que je gagnerai en 2019 parce, oui, artiste = revenus très très très fluctuants.
Un peu comme député, du jour au lendemain tu as 5000 euros par mois sur ton compte nous c’est pareil, mais à l’envers avec des zéros en moins.
#AuteursEnColere « L’auteur est le premier maillon de la chaine du livre, d’une industrie... mais c’est le maillon le plus faible... Penchons nous sur le malade » Marie Sellier Presidente de la Société des Gens de Lettres pic.twitter.com/i5DCdydFTJ
— Charlotte Orcival ✎ (@charloteOrcival) 22 mai 2018
Rajoutez à ça : non compensation de la CSG (aïe), pourcentages qui ont du mal à augmenter sur le prix de livre (ouille), possible suppression de l’Agessa (OK je me moque du service téléphonique et des feuilles à remplir, mais au moins, au moins, ça s’inscrit dans une logique propre à ceux qui écrivaient) et bien je commence à rire jaune, voire à ne plus rire du tout.
250.000 personnes. Chacune prélevée une fois sur leurs droits avant que la maison ne les verse, une seconde fois par l’Agessa, une troisième par les impôts. Ok, tout ça, c’est normal, c’est pour que La France fonctionne, les hôpitaux, les écoles, les routes, tout ça, tout ça. Ok. Sauf qu’en réalité, nous payons des impôts sur un produit, sur le pourcentage d’un produit, qui ne prend pas en compte, et ce serait impossible, les heures de travail, les déplacements, la promo, bref, tout.
Nous payons des impôts, des taxes, sur un produit sur lequel nous touchons moins que toute autre personne ayant participé à l’élaboration de ce produit. Pourquoi pas. Le livre, donc le milieu de l’édition, est le premier secteur culturel en France : en 2016, 437 millions de livres vendus, achetés par les Français, chiffre d’affaires : 6 milliards d’euros en totalité. Je vous laisse rêver quelques secondes.
Attention au réveil.
Actuellement, il y a concertation sur le statut de l’auteur, mais sans auteurs. C’est comme demander à un boulanger de quitter la salle quand on parle de la meilleure manière de faire des baguettes. Parce que les auteurs sont chiants, ils râlent, ils négocient, ils se permettent de demander leurs droits d’auteurs, ils se permettent de ces choses. Des mesures vont être prises sans aucune concertation ni consultation auprès des auteurs, parce qu’on est emmerdants.
Nous sommes — comme les artisans, les agriculteurs, les professions libérales — les plus taxés, et ceux qui bénéficient le moins des droits fondamentaux relevant de ces taxes.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Sachez que nous ne faisons pas l’aumône : nous ne demandons pas de subventions, nous ne demandons pas un mot de la part des parents pour dire qu’on a bien fait notre travail, nous ne demandons pas de l’argent que nous ne méritons pas.
Simplement, d’une part, que les auteurs soient soutenus par les éditeurs quand il s’agit de leur statut (combien d’éditeurs présents dans la salle ?) et d’autre part, que l’on cesse dans les couloirs officiels et les réunions gouvernementales et les repas de famille aussi tant qu’on y est, de considérer que le terme « auteur » suffit à donner un statut : nous ne demandons rien d’autre qu’un peu de respect, rien d’autre qu’un régime social pour celles et ceux qui font – en partie — engranger 6 milliards d’euros de chiffres d’affaires, et qu’on considère encore comme des capricieux qui ne connaissent rien à la « vraie vie ».
Par Auteur invité
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Catherine
24/05/2018 à 18:35
Tout est dit.
Mémoire du Temps
24/05/2018 à 21:41
Bravo, Cécile :-), ce qu'il fallait dire. :exclaim:
Mémoire,
auteure sans prétention, ni vocation mais auteure solidaire de ceux qui ont besoin de ce statut pour vivre, tout simplement, et continuer à nous enchanter.
Et, par ailleurs, engagée depuis toujours dans la défense de ses collègues quand elle travaille "vraiment" parce que, parfois elle ose se "reposer" en écrivant.
Lanoir Frédéric
24/05/2018 à 23:14
Paris , la belle capitale de mon pays tu est devenue trop chère , impossible de se loger avec les revenus d'un travailleur handicapé ,même dans un placard de 9 M2 , ça fait mal de se sentir exclu , même en Région , imaginez ce que coûte un aller retour pour un casting à la capitale lorsqu'on vit vers Vesoul , le service public ne permet même plus de revenir en train le même jour après les castings donc , une nuit d'hôtel , voilà , petit témoignage . Frédéric Lanoir
frederic lanoir
24/05/2018 à 23:17
Excusez moi , j'annule mon précédent message , veuillez m'excuser , Auteur et Acteur , la différence est de taille , j'ai écrit en hâte et hors sujet donc ! Bien cordialement
koinsky
25/05/2018 à 07:07
5 acteurs du livre, ça fait 100% / 5 = 20%
L'auteur doit toucher 20
Françoise Simpère
25/05/2018 à 16:28
La phrase qu'entend très souvent un auteur "on e vit pas de sa plume". Et pourquoi? C'est un sacré boulot d'écrire un ou plusieurs livres, ça prend un temps fou- non rémunéré- sans aucune certitude d'être publié, même après plusieurs livres. Dans quel autre métier faut-il réclamer le relevé et le paiement de ses droits faute de quoi on est "oublié" (le record: pas de relevé pendant 7 ans! Au départ on se dit "c'est à cause de l'avance, elle ne doit pas être couverte par les ventes", puis on se décide à réclamer et on s'aperçoit que c'est un oubli dont l'éditeur s'excuse...)Da,s quel autre métier est-il impossible de savoir exactement le nombre de ventes et obligatoire de faire confiance à des relevés très souvent incompréhensibles?
Dans quel autre métier le fabricant du produit- l'auteur en l'occurrence- ne touche que 6 à 12
Stéphane Hervé
28/05/2018 à 09:58
C'est un beau, un bon texte. Affligeant, et qui résume parfaitement la condition des auteurs. Même si les assedics du spectacle ne sont pas toujours la panacée, au moins les musiciens sont couverts. Pour un photgraphe ou un auteur, l'Agessa et leur condescendence sont un coup de couteau dans le dos. Déjà qu'on a pas grand chose sur le dos... Bravo.
Caroline Grimm.
04/06/2018 à 22:36
C'est clair, précis, courageux. Merci! Allez, unissons nos forces parce que la situation est trop absurde et cruelle pour s'y habituer. Depuis quand est-ce ainsi dans le monde de l'édition?
CORSAIRE
21/07/2018 à 18:19
Bonjour,
Dommage, nous n'avons pas été invité. Les éditeurs indépendants paient leurs auteurs, mais souvent ne se paient pas, idem pour certains libraires. Les éditeurs ne peuvent pas donner ce qu'ils n'ont pas.
Il y aurait comme une convergence d'intérêt qui empêche tous les éditeurs de vendre leur livres. Qu'on ne me fasse pas croire que seuls l'industrie du livre fait de bons livres... Que disent les libraires ?