Invitée ce 26 avril sur les ondes de RTL, la ministre de la culture, Rachida Dati, a évoqué la question du Pass Culture, généralisée en France en 2021 pour les jeunes de 18 ans, avant d'être étendue à d'autres classes d'âge. À la demande du président de la République, la voici militant pour un Pass Culture élargi à l'échelle européenne, « un peu sur le modèle d'Erasmus ».
Le 27/04/2024 à 12:02 par Hocine Bouhadjera
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Invitée sur RTL, Rachida Dati s'explique : « Dans le cadre de la valorisation de la culture européenne, le président de la République a demandé l'extension du Pass Culture à l'échelle du continent. Ce projet vise à enrichir la compréhension et l'appréciation des diverses expressions culturelles européennes, notamment la peinture, la chanson et l'opéra, qui témoignent de notre riche héritage européen. »
L'idée serait de faciliter l'accès aux différentes activités et lieux culturels à travers l'Europe, notamment en s'appuyant sur le Pass Rail, un forfait de voyage destiné aux jeunes de moins de 25 ans, pour encourager les jeunes à explorer et à s'immerger dans cette diversité culturelle. Et par extension, de renforcer les liens entre les citoyens européens et leur patrimoine culturel commun. Rachida Dati a pour l'instant demandé aux équipes du ministère de la culture de « travailler sur le sujet ».
Actuellement, le Pass Culture est disponible jusqu'à l'âge de 18 ans, avec la possibilité d'utiliser les fonds non dépensés pendant deux ans supplémentaires. L'objectif est d'adapter ce pass sur le modèle d'Erasmus, « qui a largement prouvé son efficacité » : « À ses débuts, Erasmus était perçu comme un programme exclusif pour les enfants privilégiés, mais aujourd'hui, il est accessible à tous les jeunes, ce qui en fait un modèle réussi d'intégration et d'accès à la culture et à l'éducation à travers l'Europe », développe la ministre de la culture.
Elle constate par ailleurs : « Cette initiative est d'autant plus pertinente que l'Europe culturelle, comme vous pouvez le constater, est un continent fragmenté, souvent marqué par le rejet de l'autre. »
Un exemple, Aya Nakamura et les réactions qu'elle suscite : « Cela reflète les préjugés et les résistances persistants dans certains milieux en France. Est-il normal qu'une artiste comme elle doit encore prouver sa légitimité ? Cette question soulève un enjeu plus large de reconnaissance et d'acceptation. À travers la culture, nous ne cherchons pas seulement à intégrer ou inclure, mais plutôt à adopter une politique d'acceptation active. »
Sauf que l'idée d'un élargissement n'est pas nouvelle, tant s'en faut : en 2017 déjà, Françoise Nyssen, alors ministre française de la Culture, et son homologue italien Dario Franceschini, avaient émis l'idée d'un « pass culture européen » lors d'une réunion à Rome.
La version française, portée par le candidat Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017, avait totalement reproduit le « Bonus Cultura » italien. Aujourd'hui renommé 18 App, il offre 500 euros aux jeunes pour des dépenses culturelles. Que France et Italie envisagent de porter ce projet plus largement en Europe avait donc germé... sans trop de suites données. Or, l'idée n'a pas attendu Emmanuel Macron pour être expérimentée ailleurs en Europe.
En février 2019, le Pass Culture démarrait en phase de test dans cinq départements français, puis s'étendait à neuf autres en juin de la même année. Aujourd'hui, après les 18 ans, il a été étendu à l'échelle nationale pour les groupes scolaires, puis progressivement pour les jeunes de 17, 16 et 15 ans.
L'introduction du Bonus Cultura en Italie sous Matteo Renzi a conduit à une augmentation de la lecture chez les jeunes de 18 à 21 ans, avec près de 54 % de la population ayant acheté des ouvrages grâce à ce programme. Mais également à nombre de détournements : l'argent qu'il représentait avait rapidement servi à enrichir les jeunes bénéficiaires, qui le “revendaient” sur internet.
L'arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni avait fait craindre de nouveaux plans, visant à relier l'allocation de 500 € aux revenus des ménages plutôt qu'à une approche universelle. Une annonce qui n'a finalement pas été suivie des faits.
En juin 2023, après l'Italie, la France ou encore l'Espagne, l'Allemagne a ajouté à sa politique culturelle un dispositif tourné vers les jeunes de 18 ans, qui leur octroie un montant à dépenser en produits ou expériences culturels. Tous ceux qui avaient fêté leurs 18 ans en 2023, soit près de 770.000 personnes, avaient pu en bénéficier. Le KulturPass, c'est 200 €, avec 100 millions € investis par le ministère de la Culture la première année.
Dans un premier bilan réalisée par la ministre de la Culture allemande, Claudia Roth, outre d'espérer attirer des sponsors privés pour le développer davantage, elle envisageait une coopération entre la France et l'Allemagne, permettant aux détenteurs du Pass Culture français de bénéficier du KulturPass en Allemagne, et vice versa.
La ministre de la Culture allemande avait aussi abordé le sujet lors d'un séminaire intergouvernemental qui s'était tenu à Munich les 9 et 10 octobre 2023 – et où se trouvait alors Rima Abdul-Malak, alors locataire de Valois. Une tribune datant de décembre 2023, rédigée par Brigitte Klinkert et Nils Schmid (coprésidents du bureau de l’Assemblée Parlementaire Franco-Allemande), encourageait l'initiative, se basant sur la proximité des deux pays depuis le traité de l'Élysée de 1963 qui établit une coopération entre la France et l'Allemagne dans différents secteurs, dont la culture.
Les jeunes Espagnols âgés de 18 ans bénéficient de leur côté, depuis juillet 2022, du Bono Cultural Jove, une bourse de 400 euros spécifiquement dédiée à l'achat de biens culturels pour près de 500.000 jeunes. L'allocation est répartie dans trois catégories pour encourager la diversité des pratiques culturelles. De ces 400 euros, 200 sont destinés aux arts vivants, plastiques, à l'audiovisuel et au patrimoine culturel.
En mars dernier, Rachida Dati a évoqué une réforme du Pass Culture devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, « pour que l'on puisse l'utiliser à plein ».
Elle avait notamment expliqué devant les députés avoir d'ores et déjà « constaté que ce pass culturel n’était pas si accessible que ça, dans certains endroits, aux jeunes que l’on souhaite viser ». Des parlementaires avaient déjà soulevé cette problématique, plaidant notamment pour que les frais de transport vers les lieux culturels puissent être pris en charge par le Pass.
Notant que 20 % des jeunes âgés de 18 à 20 ans ne dépensaient pas leurs crédits du Pass Culture, Rachida Dati exprime le désir de le réformer afin de maximiser son utilisation, tout en s'assurant qu'il serve non pas à perpétuer les inégalités sociales mais à promouvoir une véritable démocratie culturelle.
Plusieurs options ont été proposées par la ministre lors de son audition. Elle souhaite notamment garantir l'accessibilité du Pass et offrir un accès culturel adéquat aux jeunes en situation de handicap. Une autre piste envisagée est l'extension de l'utilisation collective du Pass (de la 6e à la terminale, sous la supervision des enseignants) aux Fédérations d’éducation populaire.
Avec Nicole Belloubet, ministre de l'Éducation nationale, la locataire de Valois ouvrira aussi le Pass Culture aux apprentis et aux jeunes en institut médico-social, a-t-elle annoncé aux députés de la commission.
Sans apporter de détails, Rachida Dati a ajouté que cet élargissement de la part collective du Pass pourrait être financé par « un fonds de dotation privé », afin que l'État « ne soit plus le seul financeur ». Cet éventuel nouvel apport nécessiterait sans doute de revoir le modèle adopté : la SAS Pass Culture, intégralement financée par des fonds publics, est actuellement codétenue par l'État et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), dans une situation de quasi-régie.
La Cour des Comptes, dans un rapport récent, recommandait de faire de la SAS un opérateur de l'État, et éventuellement d'ouvrir « une filiale ad hoc » destinée à de nouvelles activités commerciales pour participer au financement de l'ensemble du dispositif.
Le dispositif du Pass Culture n'est pas sans recevoir des critiques, particulièrement de la part des parlementaires. Ces derniers soulèvent plusieurs problèmes, comme un manque de médiation, une approche trop consumériste de la culture, ou encore le fait que cela pourrait simplement profiter aux industries culturelles sans garanties...
Le 9 avril dernier, la député RN Sophie Blanc interpellait encore la ministre de la culture sur l'utilisation du pass Culture, soulignant que les 300 euros alloués aux jeunes de 18 ans sont majoritairement dépensés en mangas, ce qui écarte les objectifs initiaux visant à diversifier l'accès culturel...
Pour l'élue, c'est clair : un usage consumériste est ici favorisé. Elle est par ailleurs formelle : les professionnels du secteur culturel considèrent le pass comme un échec, notant un manque de bénéfices pour les cinémas, les concerts, les théâtres, et les musées, ainsi qu'un problème de revente sur les réseaux sociaux.
À la suite de ce constat, elle questionne sur la possibilité de redéfinir l'usage du pass pour mieux servir ses objectifs d'accessibilité culturelle et de lutter contre sa revente illicite. Comment ? En réorientant le pass vers des spectacles, musées non nationaux ou librairies indépendantes pour optimiser son impact. Et enfin de demander à la ministre si des mesures seront prises pour réformer le pass et lutter contre la revente... Aucune réponse n'a encore été rendue publique.
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Depuis sa généralisation à tous les jeunes de 18 ans en 2021, le Pass Culture n'a fait que gagner en ampleur — et en coûts. Dans les crédits 2024 de la rue de Valois, il représentait 267,5 millions d'euros, contre seulement 107,5 millions pour les crédits destinés à l'éducation artistique et culturelle (EAC).
Crédits photo : Pascal Terjan (CC BY-SA 3.0)
Par Hocine Bouhadjera
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