De retour dans le game ! Trois ans après son départ pour le moins prévisible du groupe Lagardère, Arnaud Nourry dévoile son projet, Les Nouveaux Editeurs. Mais il ne s'agit là que d'une marque, exploitée par la société Rayas, qui, avant de présenter les premiers projets éditoriaux, doit trouver qui commercialisera les ouvrages en librairie.
Le 28/06/2024 à 15:11 par Nicolas Gary
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Publié le :
28/06/2024 à 15:11
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Un point devient crucial à souligner : Les Nouveaux Editeurs n’a rien d'une maison d’édition, mais accueillera des structures éditoriales. « Notre mission est de donner à tous les éditeurs qui le souhaitent la possibilité de réaliser leur projet éditorial en créant leur maison d’édition au sein de notre Groupe », précise l’entreprise.
De fait, Rayas se dédie avant tout à la gestion de fonds, avec des missions qui émoustilleraient un trader, mais donneraient des sueurs froides à un éditeur. Parmi les objets détaillés, on parle plutôt de prise de participation capitalistique dans des sociétés, l’acquisition aussi bien que la gestion.
Ou encore, « toutes opérations industrielles, commerciales, financières, civiles, mobilières ou immobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’un des objets visés ci-dessus ou à tous objets similaires ou connexes ».
N’oublions pas qu’Arnaud Nourry a suivi une formation à École supérieure de commerce de Paris et qu’il devint en 1994 (quatre ans après son entrée dans l’entreprise), directeur financier adjoint, pour le rachat du groupe Hatier.
LNE se positionne donc comme une super structure hébergeant des maisons d’édition. En somme, un modèle qui ressemble fort à celui du Collectif, impulsé par les éditions Anne Carrière : il fédère plusieurs maisons de petite taille, monté dans dans les années 2010, autour de la formule « Ensemble pour mieux publier ». Ou comment se développer sans individuellement produire plus et alimenter de la sorte la machine à surproduire.
À ce jour, Le Collectif regroupe quatre sociétés, et plusieurs sont passées par ce modèle comme Le Nouvel Attila, Emmanuelle Collas, Aux Forges de Vulgain et La Ville brûle. Un tremplin qui aurait pu prendre bien plus d’ampleur : en juin 2017, le groupe Média Participations rachetait les éditions Anne Carrière — sans aucune incidence pour les éditeurs alors présents dans Le Collectif.
Voilà ce que l’on retient des bribes pour l’heure exposées : à ce jour, aucun groupe ne dispose en effet d’un système de pépinière d’entreprises où des structures indépendantes évolueraient avec le soutien d’un grand groupe. Le tout sans lui avoir vendu son capital ni son âme. « Nous, librairies indépendantes, avons tout de même un fort penchant pour les éditeurs indés — ce qui nous serait difficilement reprochable. En effet, une telle organisation redorerait le blason de tout groupe : une forme de blanc-seing, à plusieurs niveaux », estime un libraire parisien.
Mais Arnaud Nourry ne doit pas avoir cette stratégie en tête, car pour pleinement profiter du concept, il importerait de ne surtout pas procéder uniquement à la création de nouvelles marques éditoriales. Dans la balance, il faudrait également soutenir de petites maisons déjà installées : « Les éditeurs profiteraient d’un cadre économique, logistique, avec des services supports mutualisés et tout le tremblement. Et le groupe, lui, bénéfierait du capital sympathie des petites structures. »
Les associés réunis autour de LNE exploiteront-ils cette approche avec plus d’ambitions et de moyens ? Les détails manquent à cette heure, et malgré nos demandes, ActuaLitté n’a toujours pas obtenu d’entretien avec le créateur. Lequel n'ignore certainement pas que le modèle du Collectif a, voilà quelques années, grandement inspiré un ancien patron de l'édition : ce dernier avait nourri l’idée de lever des fonds pour investir et développer le concept à plus grande échelle.
La première salve de communication survenue mi-juin posait le contexte : LNE ne publiera rien, mais fera publier. Pour assurer la commercialisation des ouvrages en points de vente, il manque encore un partenaire d’envergure : le diffuseur-distributeur. Le premier pour présenter les ouvrages aux points de vente, en amont, et le second pour les acheminer depuis les entrepôts.
Cette omission flagrante, la profession ne l'a pas manquée. « D’autant que Nourry a longtemps travaillé avec une certaine Michèle Benbunan, qui officiait dans la Branche Services & Opérations de Hachette — donc la diffusion-distribution. Si personne n’était cité, c’est qu’aucun accord n’était trouvé », rappelle un observateur.
En la matière, quatre grands groupes se profilent : Madrigall, Média Participations, Editis et Hachette. L’annonce devait s’opérer fin juin, nous avait confirmé Ronald Blunden, directeur de la communication de LNE, mais Arnaud Nourry, le fondateur, renvoie à fin juillet.
« Dans un premier temps, Média Participations devait compter parmi les partenaires, dès le lancement », nous assure un proche du dossier. « Mais Nourry a finalement préféré se lancer seul. Il reviendra certainement quand il faudra procéder à une augmentation de capital ». Il serait aussi probable qu’entre le projet présenté initialement et celui finalement abouti, le groupe de Vincent Montagne ait opté pour la circonspection. Conclusion : Média Participations ne sera pas l'opérateur de la diffusion-distribution.
« C’est vrai qu’il [Arnaud Nourry] a vendu du rêve, avec des pointures embarquées dans son aventure. Pour l’instant, ça a tout de la très jolie coquille, mais un peu vide », ricane-t-on. Gratuit ? De fait, l’ancien PDG de Lagardère Publishing a laissé le sentiment d'une personnalité clivante.
« Personne ne comprend son projet. Lui-même sait-il ce qu’il en attend ? Et comme on l’a lu sur votre site, cette présentation ressemblait à une offre d’emploi, plus qu’à une stratégie opérationnelle et concrète », note une éditrice. Et de conclure : « Pourquoi ne pas avoir ouvert avec quelques structures populaires auprès de la librairie, afin d’impulser une première dynamique ? Trois ans à ronger le frein de sa clause de non-concurrence pour aboutir à ça ? »
Un ancien du groupe Hachette contrebalance : « C’est un des grands patrons de l’industrie, il l’a amplement démontré : il suffit de regarder les résultats de Hachette Livre, son développement à l’international, sa marge que tout le monde envie. Nourry a suivi les traces de Lisimachio [PDG de Hachette débarqué en mai 2003 et remplacé par Arnaud Nourry], mais il a placé le groupe en orbite » On aime ou on déteste : clivant, vous dit-on.
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Côté Madrigall, on n’infirme ni ne confirme, mais avec le sourire. « Dans la short-list, il y a Madrigall et Interforum », assurait dernièrement une proche de Nourry, embarquée dans LNE. Et pas Hachette ? « Les contacts ont été pris, mais ses déclarations dans Le Monde laissent peu de doutes », souligne-t-on. « J’aurai plus de 51 %, car j’ai passé l’âge de travailler pour les autres, pour me faire sortir à la fin, et le reste, ce sont de la famille et des amis », indiquait en effet le fondateur de LNE à nos confrères.
Le coup de griffe contre son ancien employeur n’avait échappé à personne. « Il a pourtant pris contact avec eux, et l’éviction pour des motifs judiciaires d’Arnaud Lagardère, n’y était pas étrangère. Après tout c’était lui qui avait éjecté Nourry et fut dernièrement nommé PDG de Hachette », se souvient un observateur. Ô ironie…
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« Il était tout de même parti en croisade contre l’idée d’une fusion entre Hachette et Editis, quand Vivendi s’est mis en tête de céder le second pour engloutir le premier. Une pareille campagne de presse, où il s’est pris pour l’actionnaire et le décisionnaire, le rendait incontrôlable, donc à expulser ».
Entre temps, Arnaud Lagardère a réintégré son poste, ainsi que l’annonce le groupe Lagardère ce 28 juin. « Travailler avec celui qui vous a viré, pour une figure plutôt caractérielle comme Nourry, c’est une pilule qui ne s’avale pas. Et côté Vivendi, maintenant propriétaire de Lagardère, on n’a pas besoin d’un groupe qui débute dans les partenaires de Hachette Livre, c’est assez évident. »
Reste donc Interforum, filiale du groupe Editis, à qui l’on prêterait déjà le rachat des éditions Delcourt — en concurrence avec Vivendi. Aucun des deux n’est particulièrement présent sur le segment de la bande dessinée — peut-être plus côté manga.
« Catherine Lucet ne cesse de le redire de rendez-vous en rendez-vous : Editis est à l’affût de tout ce qui serait mis en vente, d’une part et pourrait consolider sa diffusion — les équipes sont en sureffectif et des arrivées seraient bienvenues. » Prochainement, Inteforum récupérera la distribution les titres du catalogue de Auzou – qui gère en revanche sa diffusion en direct.
Quel sens aurait alors un partenariat stratégique avec Les Nouveaux Éditeurs ? Réponse fin juillet, peut-être…
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0 - Vitrail de la cathédrale St Nicolas de Myre, Fribourg (Suisse)
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
5 Commentaires
FredEx
28/06/2024 à 18:13
Si on comprend bien, il ne cherche pas des auteurs, mais du cash.
C'est pas con.
Actualisant
29/06/2024 à 18:54
Et comment compte-t-il recruter des éditeurs installés dans des groupes en leur demandant de tout construire de rien, en ayant simplement des investissements à apporter tout en prenant une participation ?
Ce projet n'a pas d'avenir.
Petit éditeur
29/06/2024 à 18:59
Autant le projet de Carrière a quelque chose de séduisant pour une petite maison, mais une surface économique trop réduite pour garantir la réussite du fonctionnement.
Média aurait dû mettre la main à la poche, ils auraient alors construit cette pépinière idéale pour créer des forces vives sans la nécessité de déchaîner de la surproduction afin de survivre.
Mais la capacité de Nourry à séduire de petites structures ? Disruptif l'ancien PDG de Hachette Livre ? Sait-il parler la même langue que les maisons indépendantes ?
On peine – je peine – à croire qu'il soit en mesure de convaincre les petits.
Quant aux grands noms, qu'iraient-ils faire dans cette galère ?
Aux Forges d'Attila
29/06/2024 à 19:03
(je charrie, les gars)
personnellement, je n'y mettrai pas un kopeck : oui, il serait intéressant de savoir qui distribuera ce qui est aujourd'hui une coquille vide, mais qui signerait avec une coquille vide ?
Une des éditrices embarquées dans le projet se répand dans Paris qu'elle a déjà sa marque et ses titres, mais elle ne convainc pas – la pédagogie, la répétition, tout ça.........
Il faudra des années avant que ces Nouveaux Editeurs tirent les bénéfices de leur entreprise et pour une fois, je rejoins Gary dans son propos : il aurait été plus habile d'ouvrir avec des maisons déjà recrutées.
Qui ouvre aujourd'hui une entreprise sans stock ni offre, sur la base d'un service dont il est impossible de mesurer les effets ? Juste sur le nom d'un ex-dirigeant certes du premier groupe français, mais expulsé par l'actionnaire pour ingérence – Gary, faut apprendre à appeler un chat un chat !
Disrupteur
17/07/2024 à 17:43
A-t-on des nouvelles de l'heureux élu diffuseur ?