MementoMori – Rien de plus logique qu'une exposition sur les icônes dans la ville des Images d'Épinal : depuis le 24 février, et jusqu'au 22 septembre prochain, le Musée de l'Image présente 150 pièces, entre imageries populaires, photographies, revues, ou encore journaux illustrés, qui examinent la construction d'une icône. Si les icônes meurent bien comme tout le monde, elles n'en ont pas moins, en tout cas le penseront certains, trouvé le secret de l'immortalité. Mais pas forcément pour le meilleur...
Le 24/05/2024 à 12:36 par Hocine Bouhadjera
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24/05/2024 à 12:36
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Historiquement, le terme « icône », issu du grec eikôn qui signifie image, désignait des représentations sacrées dans l'Église orthodoxe. Le concept a évolué pour englober des figures historiques dans la sphère laïque, puis des célébrités du monde du spectacle qui ont rejoint ce panthéon du visage sanctifié. Comment devient-on une icône ? Et qui aujourd'hui peut prétendre à le devenir ?
Pour accéder au statut d'icône, il est nécessaire de s'ancrer dans la durée, celle des mythes, des légendes et de l'universel, sinon on parlera d'icône éphémère... La personnalité qui atteint ce niveau, qu'elle soit homme ou femme, doit posséder un destin exceptionnel, marqué à la fois par l'épique et le tragique. Elle devient un artefact de dévotion, mais aussi un instrument d'enseignement et de réflexion.
Son charisme doit gagner le cœur des masses et s'ancrer profondément dans leur imaginaire collectif. La réalité des faits importe peu d'ailleurs : l'icône est bien une construction fictive, une image élaborée, un pur produit de l'imaginaire. L'exposition se concentre sur celles ont été les sujets de ces fameuses images d'Épinal.
« La première des icônes », pour les commissaires généraux et scientifiques, François Cheval, directeur artistique du Centre de la Photographie de Mougins, et Christelle Rochette, directrice du musée, c'est Jésus, le charismatique fils de Dieu. L'image du Christ, qui transcende les frontières de la culture judéo-chrétienne, est universellement connue.
Instantanément identifiable, le Testament ne fournit en réalité aucune description de ses traits physiques. Il pourrait porter probablement la barbe et les cheveux courts, comme c'était l'usage à son époque.
Au IVe siècle, l'art byzantin introduit le Christ pantocrator, une représentation sévère, hiératique et omnipotente, quand à la Renaissance, l'image de Jésus se transforme : il est souffrant sur la croix, puis apaisé en tant que bon pasteur. Il s'humanise progressivement. L'Église romaine le dote d'un regard bienveillant et d'une expression empreinte de charité profonde. Il est devenu l'ami dont la beauté et la bonté sont capables de susciter la foi chez ceux qui le rencontrent. Quand l'immortalité dure depuis plus de 2000 ans, l'image accompagne la transformation de ceux qui se la représentent.
De nos jours, les termes « idole » et « icône » sont souvent utilisés de manière interchangeable. Beyoncé ou Taylor Swift sont considérées à la fois comme des idoles et des icônes. Dans le domaine religieux, ce sont deux concepts diamétralement opposés. Une idole est vue comme dotée d'une nature divine, et pour les Hébreux, puis pour les Chrétiens et plus tard les Musulmans, Dieu est unique, insaisissable, incorporel et invisible, échappant à toute représentation matérielle possible.
Malgré cette interdiction biblique de représenter le divin, le christianisme a introduit la pratique de créer des icônes de Christ, la manifestation physique de Dieu sur Terre. L'adoration d'une icône, donc, n'est pas celle de l'image elle-même mais de ce qu'elle symbolise : la présence visible du Dieu invisible. Cette tension entre l'adoration des idoles et le respect des icônes a été à l'origine de périodes de forte discordance, notamment les crises iconoclastes des VIIIe et IXe siècles et les guerres de religion qui ont éclaté au XVIe siècle.
La France a de son côté façonné au XIXe siècle une version mythique et idéalisée de son histoire, cherchant à forger une identité nationale qui transcende les différences régionales et locales. Ce processus, amorcé dans les années 1830 par des figures comme l'historien-artiste Jules Michelet, est baptisé le « roman national ».
L'un de ces personnages historiques héroïsés est Vercingétorix, figure éclipsée durant près de dix-huit siècles avant de renaître au XIXe siècle. Dans une période marquée par un regain d'intérêt pour l'archéologie et l'histoire gauloise, des publications telles que l'Histoire des Gaulois d'Amédée Thierry en 1825 et l'Histoire de France de Henri Martin en 1834, revitalisent l'image du chef arverne, le célébrant comme le premier héros national.
Il devient emblématique par l'entremise des manuels scolaires des jeunes Français, symbole pendant longtemps d'un patriotisme fervent. L'imagerie populaire, notamment celle d'Épinal, contribue à cette sacralisation de l'État-nation.
Bien que mentionné par Jules César dans la Guerre des Gaules, aucun portrait physique de Vercingétorix n'y est tracé, là-encore, laissant libre cours à l'imagination. Le mythe autour de ce guerrier gaulois valeureux et fier se cristallise avec des attributs inventés : une moustache tombante, des cheveux longs et désordonnés, et un casque orné d'ailes. Un alliage d'équipements de l'Âge du Bronze et d'atours médiévaux. Dans ce siècle de nationalisme croissant en Europe, Vercingétorix, malgré sa capitulation à Alésia, devient un symbole de la résilience française, surtout après la défaite de 1871 contre les Prussiens, successeurs des légions romaines...
Encore un véritable visage méconnu devenu figure de la France, celui de Jeanne d'Arc, bien que son existence soit l'une des plus richement documentées de l'époque médiévale, grâce aux archives de son procès pour hérésie en 1431 et de celui pour sa réhabilitation en 1456. Si « la Pucelle » a traversé les siècles sans jamais être oubliée, c’est au XIXe siècle à nouveau, dans ce contexte d’élaboration d’une histoire de France héroïque, qu'elle se métamorphose en une icône véritable.
Sa figure est revendiquée aussi bien par les milieux catholiques que par les républicains anticléricaux. L’historien Jules Michelet la sublime en humble bergère, incarnation du peuple révolté et précurseur de la Révolution française. Parallèlement, les catholiques la glorifient en tant que sainte martyre, injustement victime de l'Angleterre.
Une enfant de douze ans, une toute jeune fille, confondant la voix du cœur et la voix du ciel, conçoit l'idée étrange, improbable, absurde si l'on veut, d'exécuter la chose que les hommes ne peuvent plus faire, de sauver son pays.
- Jules Michelet, Jeanne d'Arc, 1853
En 1920, elle est canonisée par l’Église catholique, et dans le même temps, le Parlement français institue une fête nationale en son honneur. Elle est successivement instrumentalisée, de Charles de Gaulle au maréchal Pétain, du parti communiste de l'après-guerre à l'extrême droite.
Au fil du temps, les icônes peuvent voir leur éclat ternir, souvent en raison des changements dans les valeurs et les perspectives d'une époque à une autre. Napoléon Bonaparte en est un exemple frappant, autrefois célébré comme le génie militaire et réformateur audacieux, aujourd'hui de plus en plus critiqué pour ses actions impérialistes, sa réinstauration de l'esclavage ou encore son rôle dans des conflits dévastateurs.
L'Empereur des Français, plus que toute autre figure historique, est néanmoins encore synonyme de la France, particulièrement à l'international. En tant que général, Premier consul, puis empereur, il orchestre une campagne de propagande, tant écrite qu'imagée, pour se dépeindre initialement comme un républicain convaincu et un leader proche de ses troupes, avant de se présenter comme un souverain altruiste, uniquement motivé par l'appel de la nation.
Sa silhouette, marquée par la redingote et le bicorne, devient instantanément reconnaissable. Le Mémorial de Sainte-Hélène (1823), où Las Cases compile les mémoires de l'empereur, cimente le mythe napoléonien que toute une génération d'écrivains nostalgiques de l'épopée va perpétuer, parmi lesquels Hugo, Dumas, Vigny, Nerval, Musset, Balzac et Stendhal.
Interdite sous les règnes de Louis XVIII et Charles X, l'effigie de Napoléon réapparaît dans les années 1830 sous forme de sculptures, peintures et gravures. L'imagerie populaire soutient ce processus d'iconisation qui se poursuit jusqu'à la fin du Second Empire, élevant parfois l'empereur au rang de divinité, comme César ou Alexandre. À chaque conflit, l'image de Napoléon le vainqueur ressuscite, pour insuffler un élan aux forces françaises.
L'histoire de Napoléon ne s'arrête pas là, comme en témoignent les nombreux films qui en font leur protagoniste, dont la restauration du Napoléon de 1927, d'Abel Gance, est la dernière actualité. Ainsi s'est perpétué l'image d'un homme issu de modestes origines, qui a brièvement dominé l'Europe.
Les débats contemporains sur les conséquences de son règne, notamment sur l'esclavage et la guerre, illustrent comment l'héritage d'une icône peut être réévalué à la lumière de nouvelles normes éthiques et morales. Ainsi, ce qui était autrefois vu comme la marque d'un grand leader peut progressivement être perçu sous un jour moins favorable...
L'exposition présente une dernière figure française, dont l'aura s'est éteinte pour la majorité, le « vainqueur de Verdun », le maréchal Pétain. En 1940, il domine le paysage français. Son mythe, soigneusement construit sur les années, se renforce sous l'influence de la propagande de Vichy qui le présente comme le père protecteur de la nation et le pilier d'une politique de collaboration. De octobre 1940 à février 1941, l'image du maréchal en tant que sauveur providentiel inonde le pays, prétendument capable de remédier aux afflictions de la société française. Son portrait est investi d'une aura quasi mystique, car en ces temps troublés, c'est moins à la raison qu'au sacré que l'on fait appel.
L'icône de Pétain fusionne le drapeau français avec les traditions catholiques, la gloire de la victoire de 1918 et le prestige de l'empire. Jusqu'au printemps 1944, des foules ferventes l'acclament dans diverses villes, de Dijon à Nancy, d'Épinal à Paris. Voir et écouter le maréchal devient un acte de dévotion. Pour ses partisans, l'icône Pétain offre un refuge, un déni du réel. Une icône destinée à s'évanouir, car non-inscrite dans le sens de l'histoire.
L'exposition Icônes – Les images fantasmées, se poursuit jusqu'au 22 septembre prochain, au Musée de l'Image d'Épinal.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
3 Commentaires
LOmS Barry
24/05/2024 à 13:23
Vite, ouvrez les fenêtres ça eup grave...
Maréchal nous voila
ce tube de ouf
Will I am
24/05/2024 à 16:24
Le plus étrange demeure que les deux personnages de notre Histoire les plus décriés aujourd'hui sont ceux qui nous ont légué le plus dans nos vies quotidiennes. Napoléon : le Code civil, le Code pénal, nos institutions... Pétain : la Sécurité sociale, les Ordres, une grosse partie de notre Code de la route...
La différence entre les deux est que le second s'est déshonoré de son vivant. Le premier est victime d'une reécriture de l'Histoire.
Gilles
29/05/2024 à 15:22
C'est beau de réécrire l'histoire..
Napo a aussi rétabli l'esclavage, fait des trucs pas très joli pour les femmes en les consacrant inférieur à l'homme... chacun voit la face de la médaille.
A Pétain la mort des juifs et le reste.
Chacun ses icones.