Missak Manouchian entrera au Panthéon, avec sa femme Mélinée, ce mercredi 21 février. Ouvrier communiste arménien immigré en France, directeur de journal et leader d'un groupe de résistants dont la plupart des membres, Manouchian compris, furent exécutés le 21 février 1944, il était aussi poète et amoureux de littérature. Manouchian sera le premier résistant étranger, et communiste, à recevoir un tel hommage.
Le 19/02/2024 à 17:14 par Ugo Loumé
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19/02/2024 à 17:14
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J'ai laissé derrière moi mon enfance au soleil nourrie de nature,
Et ma noire condition d'orphelin tissée de misère et de privation ;
Je suis encore adolescent ivre d'un rêve de livre et de papier
— Extrait de Vers la France, de Missak Manouchian
Cette ivresse de la littérature, il la vit dès son plus jeune âge, dans l'orphelinat libanais qui l'a recueilli avec un de ses frères, Garabed, suite au génocide arménien. Un de ses instituteurs, à qui il dédiera le poème Nouvel An, l'initie à la poésie et le fait participer au journal de l'école.
Il apprendra à manier les mots aussi bien que le bois, par des enseignements de menuiserie et d'ébénisterie, ce qui lui permet de gagner sa vie lorsque lui et Garabed arrivent à la Seyne-sur-Mer dans les années 1920. En 1925, les deux frères montent à Paris et enchainent des travaux en tant qu'ouvriers.
Missak s'inscrit en auditeur libre à la Sorbonne et fréquente la bibliothèque Sainte-Geneviève, à deux pas du Panthéon, dès qu'il le peut. Il y cultive son amour pour la littérature en consultant les romans de Romain Rolland, d'Henri Barbusse, ou en lisant les poèmes de Rimbaud, Hugo, ou Baudelaire. Il intègre progressivement des cercles d'intellectuels et commence à faire connaître ses écrits à des écrivains et directeurs de revues.
En 1930, il lance avec son ami Kegham Atmadjian, alias Séma, la revue Tchank, dans laquelle il est d'abord question de littérature française et arménienne. Y sont notamment présentées des traductions en arménien de poèmes de Baudelaire et Rimbaud. Les nouvelles, poèmes et chroniques publiés évoquent régulièrement l'exil.
Missak Manouchian adhère au Parti communiste en 1934, et se voit confier la direction du journal Zangou qui a pour objectif de relayer les informations de l'Arménie soviétique. Y sont également publiés des articles sur la guerre civile espagnole et des reportages sur le monde prolétaire, qui donne notamment la parole aux ouvriers. C'est dans les locaux du journal qu'il rencontrera sa femme, Mélinée Assadourian, cette dernière aura un rôle clé dans la reconnaissance des écrits de son mari.
À la suite du pacte germano-soviétique, certains communistes sont arrêtés. Nombreux sont ceux qui hésitent entre leur fidélité à la France et celle pour le Parti. Manouchian, communiste apatride, ne connait pas de tels doutes : depuis sa cellule, en septembre 1939, il écrit à l'armée française en faisant part de son souhait de se battre pour sa patrie d'accueil — même si ses demandes de naturalisation ont toujours été refusées.
Pendant la Résistance, il prend la tête d'un groupe composé majoritairement d'étrangers, supervise des dizaines d'attentats contre l'armée allemande, dont un qui coûtera la vie à Julius Ritter, ami d'Adolf Hitler. Il sera arrêté puis condamné à mort avec vingt-deux de ses camarades. Il est fusillé le 21 février 1944.
Missak Manouchian laisse derrière lui un grand nombre de poèmes, écrits — en arménien — tout au long de sa vie, que sa femme Mélinée parvient à faire éditer en recueil après sa mort. C'est aussi cette dernière qui écrit à Aragon et qui convainc le poète surréaliste d'écrire ses fameuses Strophes pour se souvenir en hommage au détachement Manouchian.
Léo Ferré a popularisé ce texte sous le nom de L'Affiche rouge, qu'il a mis en musique en 1959, faisant référence à une affiche de propagande raciste émise par Vichy et les nazis qui dépeignait ses sujets comme des criminels. Récemment, Feu! Chatterton a cette fois repris Léo Ferré.
Paul Eluard rendra également hommage au poète arménien et à ses camarades avec Légion.
Le 12 janvier dernier sortait aux éditions du Points l'oeuvre poétique de Manouchian, traduite en intégralité pour la première fois, dans une édition bilingue franco-arménienne (trad. Stéphane Cermakian).
Sa biographie, Manouchian, écrite par Mélinée, fut republiée en novembre 2023 (trad. Aram) par les éditions Parenthèses. Mélinée et Missak Manouchian, une histoire française - La mémoire du groupe des 23 (Atlande) est un ouvrage collectif qui retrace la biographie des 23 membres du groupe de Missak Manouchian, ainsi que la manière avec laquelle la mémoire s'est construite autour d'eux.
Une bande-dessinée sortie le 25 janvier dernier aux éditions les Arènes, Missak Manouchian - Une vie héroïque, par Didier Daeninckx, Mako et Dominique Osuch, nous plonge dans la vie du résistant arménien, du génocide de son peuple jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Autre BD : Missak, Mélinée et le groupe Manouchian - Les fusillés de l'affiche rouge (Dupuis), par JDMorvan et Thomas Tcherkezian se concentre sur cette fameuse affiche rouge visant le groupe de résistants étrangers, grand symbole de la propagande contre la Résistance.
Textuel publiait aussi en novembre dernier un ouvrage documentaire, qui regroupe photographies, coupures de presse, correspondances et archives sur le couple Manouchian.
Enfin, côté jeunesse, Missak Manouchian - L'enfant de l'affiche est disponible aux éditions Rue du monde ; Missak et Mélinée - Une histoire de l'affiche rouge est publié par Rouergue éditions ; et le roman Avec le Groupe Manouchian - Des immigrés dans la Résistance (Oskar), de Didier Daeninckx, nous met dans la peau de Aliona, jeune fille qui côtoie le groupe de Missak Manouchian.
Crédits image : Auteur inconnu, Source inconnue, Domaine public
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 12/01/2024
198 pages
Points
14,60 €
Paru le 25/01/2024
116 pages
Editions Les Arènes
22,00 €
Paru le 16/02/2024
160 pages
Editions Dupuis
25,00 €
Paru le 08/11/2023
191 pages
Textuel
39,00 €
Paru le 30/11/2023
256 pages
Parenthèses Editions
24,00 €
Paru le 19/01/2024
60 pages
Rue du monde
19,00 €
Paru le 01/02/2024
191 pages
Atlande
19,00 €
Paru le 31/01/2024
122 pages
Editions du Rouergue
13,20 €
Paru le 28/09/2023
101 pages
Oskar
12,95 €
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Paul
20/02/2024 à 14:20
Je suis né en 1947. Donc juste après la shoa. Dès mon adolescence j'ai été bouleversé par cette histoire, devenue légendaire. Quant on est Juif de ma génération, avec les conséquence que cela implique pour la seconde génération; la famille aussi bien paternelle que maternelle exterminé, Manouchian et les 21 juifs tombés pour la France, sont le symbole de ce que Camus appelait dans "l'homme révolté", la capacité à dire non.
Ce poème écrit par un des plus grand poète de sa génération, se multiplie non seulement par un beaux texte, mais par la terrible tragédie qui l'accompagne.
Encore aujourd'hui je suis profondément ému et par le destin de ce groupe ( "aux noms trop difficile à prononcer"), ainsi que ce texte (expressionniste ?) qui permet d'appréhender cette tragédie.
Bien que vivant en Belgique, je suivrait par la télévision, cet hommage rendu à ceux de l'affiche rouge.
Paul Smietana
Lyo
21/02/2024 à 10:56
Le passé de communiste du couple Manouchian pose beaucoup de problèmes a Macron qui n'a invité que très tardivement le dernier camarade vivant Mélinée et Missak Manouchian.
Augustin M
24/04/2024 à 22:23
Il est vrai qu'il y a une récupération par le parti communiste de Missak Manouchian ... tout comme il y a aussi une récupération par Macron de l'avoir fait entrer au Panthéon. Pour ma part je ne partage pas cette récupération ni d'un côté ni de l'autre. Missak Manouchian est d'abord et avant tout un Français ... même s'il ne l'était pas par ses papiers d'identité et qui aurait mérité mille fois de l'être. Qu'importe qui l'a fait entrer au Panthéon et qui sont ceux qui en tireront une gloriole dérisoire. En ce qui me concerne son histoire est plus belle que celle que veulent réécrire les uns et les autres : c'est sa rencontre avec un certain Franz Stock, prêtre, aumônier de ceux qui ont été incarcérés avant leur exécution au Mont Valérien ou dans d'autres prisons. Mais cette histoire on n'en parle pas parce que cela indispose aussi bien les communistes que Macron.