Dans le contexte lourd du conflit israélo-palestinien, la Foire du Livre de Francfort aura servi de tribune politique. Salman Rushdie, lauréat du Prix de la Paix des libraires allemands, a dénoncé les violences et réclamé l'arrêt de la guerre. Et d'autres écrivains lui emboîtent le pas dans cet appel à la paix et la solidarité.
Le 7 octobre dernier, le Hamas a attaqué Israël, faisant plus de 1400 morts et prenant plus de 199 personnes en otage, entraînant la riposte immédiate de Benyamin Netanyahou, le Premier ministre d'Israël sur la bande de Gaza.
Le ministère de la Santé du Hamas annonçait la mort de 4600 personnes à Gaza, ce 22 octobre – un chiffre porté à plus de 5000 ce 23 octobre par cette même source. De leur côté, les survivants endurent un siège depuis le 9 octobre, avec des approvisionnements en énergie qui n'ont toujours pas repris.
Ces atrocités polarisent le monde entier, ainsi que la communauté artistique et littéraire. Salman Rushdie, récipiendaire du Prix de la Paix des libraires allemands à la Foire du Livre de Francfort, s’est exprimé sur le conflit indique The Bookseller. « Je suis horrifié par l’attaque du Hamas et je crains la réaction de Netanyahu. J’espère que les hostilités cesseront rapidement », assure l'écrivain. « Il est inquiétant de voir l'un des principaux partis politiques des États-Unis s'éloigner des valeurs démocratiques pour privilégier un culte de la personnalité. »
Il a également mentionné les atteintes à la démocratie et à la liberté d'expression en Inde, dénonçant les poursuites contre Arundhati Roy, autrice indienne et lauréate du Booker Prize. Cette « grande écrivaine indienne dotée d’une intégrité et d’une passion immenses », comme la présente Rushdie est en effet menacée par la justice pour avoir plaidé pour l’indépendance du Cachemire en 2010. Et de conclure : « C’est honteux qu’elle soit traduite en justice pour avoir exprimé ses convictions. »
La conférence de presse s’est déroulée sous haute sécurité : les apparitions publiques de l’auteur de La Cité de la victoire (trad. Gérard Meudal, Actes Sud) se sont raréfiées après la tentative d’assassinat survenue en août 2022. Il publiera à ce titre Le Couteau : Réflexions suite à une tentative d’assassinat, à paraître chez Gallimard – l'essai sortira en avril 2024 chez Vintage Digital en anglais.
Installé à New York, Rushdie est menacé de mort depuis 1988 du fait de son roman Les Versets sataniques (trad. A. Nasier, Gallimard). Malgré cette fatwa émise par le « Guide Suprême » chiite, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, il n'a jamais cessé d'écrire, jusqu'à incarner une figure de la lutte pour la liberté d'expression.
D’autres personnalités se sont exprimées sur la guerre israélo-palestinienne, à l'instar du philosophe slovène Slavoj Žižek, qui a consacré son intervention à ce conflit, lors de la cérémonie d’ouverture de la Foire du livre de Francfort.
« Les livres sont aujourd’hui nécessaires plus que jamais. Sans eux, il n’y a pas de solution à la terrifiante guerre à Gaza », annonçait-il immédiatement. Et de condamner « fermement l’attaque du Hamas à la frontière avec Gaza », et reconnaissant « le droit d’Israël de se défendre ».
Lors de son discours, après avoir été interrompu par des spectateurs que ses propos ont choqués, il a rétorqué : « Je ne relativise pas, mais parler comme vous le faites met des millions de Palestiniens dans une position qui alimentera ensuite la montée de l’antisémitisme. » Žižek parle de « sionisme antisémite », soit le soutien des Juifs à Israël, tandis que leur présence dans d’autres pays est remise en cause.
Juergen Boos, directeur de la Foire du Livre de Francfort, l’a suivi en saluant « la liberté de parole [que] nous devons protéger ». Regrettant des erreurs dans l’organisation de la Foire, il assurait s’exprimer « au nom de tous, ici, en disant que nous condamnons la terreur. Nous sommes des humains et nous pensons avec humanité aux Palestiniens et aux Israéliens ».
Suite à l’attaque du Hamas, l’opinion publique se montre divisée, tout comme la communauté artistique et littéraire. En effet, les populations israéliennes et palestiniennes sont mises dos à dos : le soutien à la Palestine est criminalisé par certains partis politiques qui assimilent ces marques de soutien à de l'antisémitisme. Ainsi, en France, de nombreux rassemblements pour la libération de la Palestine ont été interdits : la manifestation littéraire allemande ne fut pas exempte de tensions.
Les organisateurs de la Foire ont publié un communiqué, le 13 octobre, annonçant que de nouveaux rendez-vous et débats seraient consacrés à l’attaque et à ses conséquences sur les relations entre Israéliens et Palestiniens.
Cette déclaration a provoqué des critiques : certains reprochaient à l’organisation un manque de considération envers les assassinats perpétrés sur les Gazaouis. En réaction à ces critiques, la Foire a précisé le jour suivant : « Les voix palestiniennes seront également présentes lors du Salon du livre. »
Cependant, la cérémonie de remise du prix LiBeraturpreis, destinée à l’autrice palestinienne Adania Shibli, a été annulée. L’organisation allemande Litprom, spécialisée dans la promotion des littératures arabes, africaines, asiatiques et d’Amérique latine, a pris cette décision « en raison de la guerre déclenchée par le Hamas », dans un almagame entre l'organisation et les auteurs palestiniens.
Cette annulation a suscité l’indignation de nombreux membres du monde littéraire. En effet, une centaine d’entre eux, dont Annie Ernaux, Abdulrazak Gurnah et Olga Tokarczuk, ont signé une tribune pour dénoncer ce retournement de situation. Dès le samedi 14 octobre, la Sharjah Book Authority, l’une des principales organisations arabes du livre, a annoncé qu’elle se retirait de l’événement.
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Malgré ces divisions croissantes, certains auteurs s'alignent avec Salman Rushdie, souhaitant un arrêt de la guerre. Selon Common Dreams, le 18 octobre, plus de 600 écrivains et artistes occidentaux ont publié une lettre ouverte dans les colonnes du London Review of Books.
Ils plaident « pour la fin de toute violence, la fin de toute oppression et de tout déni des droits de l’homme, et pour la mise en place d’une paix juste et durable pour tous. » Parmi les signataires, se trouvent des auteurs renommés tels que Margaretta D’Arcy, Louis Deslis, Kathy Engel, Anne Enright, Naomi Klein et Sally Rooney.
« La violence continue, sans précédent, qui s’exerce contre les 2,3 millions de Palestiniens à Gaza, avec le soutien financier et politique des puissances occidentales, doit cesser », développent les artistes, et de conclure : « Nous appelons nos gouvernements à exiger un cessez-le-feu immédiat et à permettre l’entrée sans restriction de l’aide humanitaire à Gaza. Nous demandons également l’arrêt de toutes les livraisons d’armes et du soutien militaire qui ne font qu’aggraver la situation actuelle. »
Le monde littéraire semble donc incarner davantage le camp de la paix plutôt que l'embrigadement dans l'un ou l'autre des camps de belligérants.
Crédits photo : Asia Society (CC BY-NC-ND 2.0)
Paru le 12/01/2012
754 pages
Editions Gallimard
11,70 €
Paru le 06/09/2023
333 pages
Actes Sud Editions
23,00 €
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