#AVeloEntreLesLignes – Le parcours dans les rayons en quête d'un texte demeure un modeste périple : celui qu'offira l'ouvrage aura peut-être plus de piment. Zoé David-Rigot, ancienne libraire chez Atout Livre et au Monte-en-l'Air (Paris), et Jaroslav Kocourek, photographe, traversent en ce moment l’Europe en vélo, direction la Mongolie. Dans chaque pays parcouru, ils ont choisi de rencontrer les libraires locaux.
Le 14/04/2023 à 09:24 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
14/04/2023 à 09:24
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Rarement l'on avait conçu le voyage en librairies aussi concrètement. Le duo de cyclistes s'est donné pour ambition, par l’entremise du livre, de mieux appréhender les cultures de ces territoires. Autrement dit, raconter chaque pays par leurs commerces de livres.
Un long voyage transforme, par l’acte en lui-même et le moyen de transport, qui joue un rôle important dans cette aventure. Lévi-Strauss, après plusieurs jours de bateau avant d'accoster au Brésil, éprouva un sentiment de dépaysement plus fort qu'une traversée en quelques heures d’avion.
De leur côté, Zoé David-Rigot et Jaroslav Kocourek ambitionnent de découvrir les grands espaces du pays de Gengis Khan en se passant du vol direct. Ils parcourent l’Europe et l’Asie jusqu’à Oulan Bator, la capitale, en vélo. Un trip d’un an, au moins, qui les interrogea : « Quel projet raconterait le mieux les pays qu’on traverse ? », indiquent-ils à ActuaLitté. Une porte d’entrée s’est alors imposée, la librairie – monde que connaît bien Zoé David-Rigot.
Mais comment identifier les structures à visiter ? « Nous nous sommes appuyés sur le site du Centre national du livre qui répertorie les librairies francophones », explique Zoé David-Rigot. Une contrainte à respecter : qu’elles se trouvent sur l’itinéraire, sinon « le voyage deviendrait énorme ». En outre, « le choix des librairies s'est opéré par des contacts et amis d’amis. À Tbilissi, en Georgie, un libraire de la ville nous présentera à ses proches et confrères », continue la Parisienne. « Parfois, nous avons directement toqué aux portes, comme à Konya, en Turquie », ajoute Jaroslav Kocourek.
Le voyage a commencé depuis quelques mois, mais il reste quelques kilomètres à parcourir.
La Turquie, et avant la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Serbie ; plus tard l'Arménie, la Georgie… Des pays très différents et une entrée, les livres. Le couple l’affirme : « Libraire n’est pas un métier, c’est une manière de vivre, une décision forte pour beaucoup. En République tchèque, en Slovaquie ou en Serbie par exemple, il est vraiment difficile de subvenir à ses besoins en étant simplement libraire. On en a rencontré plusieurs qui cumulaient les emplois. »
Polarsteps. Voyage de Zoé et Jaroslav à la date du 13 avril.
Un engagement personnel la plupart du temps corrélé à une passion pour le livre et les histoires, comme celle d’une librairie de la capitale albanaise Tirana qui existe depuis 30 ans. Celle-ci a vu passer la guerre de Yougoslavie, les interdictions d’État… et a accompagné les évolutions du pays situé entre la Grèce et le Monténégro. Les écrits d’une nation dévoilent aussi la sensibilité propre à chaque culture traversée : « La littérature devient un outil de dialogue, une porte d’entrée pour ouvrir à d’autres sujets de conversations », développe le couple.
Leur voyage au long cours, sans nécessité de résultats et « sans mot d’ordre », effleurant « la notion de lenteur, de douceur », entretient un rapport aux choses, similaire à l'activité du petit libraire indépendant. Dans leur travail, « ils ne cherchent pas la plus grande rentabilité, sinon on n'est pas libraire ». Les paysages et autres parcs nationaux découverts seraient ces nouveaux arrivages avec leur lot de surprises et d’émerveillement. « Choisir les livres, c’est aussi suivre son instinct, se laisser mener parfois, et accepter de ne pas pouvoir tout lire, comme, dans ce voyage, tout découvrir », continue Zoé David-Rigot.
Lorsque les cyclo-voyageurs divulguent leur origine française, même si Jaroslav est un francophone né en Slovaquie, on évoque d’abord avec eux la littérature française traduite et des auteurs favoris du pays de Balzac. C’est ensuite la révélation de cette littérature nationale et de ces écrivains, très connus chez eux, mais totalement inconnus en France, car peu ou pas traduits du tout. De quoi donner des idées de projets éditoriaux pour l’avenir ? Zoé et Jaroslav n'écartent aucune option.
Zoé David-Rigot. À vélo entre les lignes. Jaroslav Kocourek.
En passant par des villes et villages périphériques d'un territoire, le contact devient plus difficile. Souvent, la majorité de la population n'est pas anglophone. Une contrainte, mais aussi le moyen d'éviter la dimension plus mondialisée des enseignes des capitales européennes.
Le couple cite l’exemple d’un libraire serbe avec lequel un interprète fut nécessaire. Sa librairie était seulement tournée vers les livres, ne proposant aucune offre de papeterie et autres fournitures en tout genre. Un choix plutôt rare pour les structures de ce type qui sont implantées dans des provinces plus ou moins reculées. « Il nous a raconté comment il est arrivé à se passionner pour la littérature, son intérêt pour la philosophie, tout ce qui fait les choix des ouvrages qu'il présente dans ses rayons », décrit Zoé David-Rigot.
Ce dernier s’est en revanche braqué, poursuit-elle, « dès qu’on a évoqué avec lui des sujets plus politiques, comme les questions de distribution, la communication entre les différents maillons de la chaîne du livre dans son pays, il a décidé d’écourter la discussion ». En Hongrie, à l’inverse, « la libraire interrogée a été très ouverte et critique face au gouvernement Orban », ajoute-t-elle, révélant les multiples approches dans le métier.
En cause, notamment : le choix de dissoudre le ministère de l’Éducation hongrois depuis 2010 : « C’est intéressant de voir d’un côté une libraire très politique, engagée, heureuse d’en discuter avec nous, et de l’autre quelqu’un qui a souhaité abréger la conversation », s’étonne Zoé David-Rigot. À Brno, en République tchèque cette fois-ci, une librairie jeunesse est formelle : ce n’est pas de la faute des enfants s’ils ne lisent pas assez, mais celle des adultes qui ne donnent pas un bon exemple en ne lisant pas suffisamment…
Les librairies exprimeraient-elles aussi l’identité politique d’un pays ou ses problématiques ? En tout cas, selon le couple, elles possèdent clairement une dimension politique parce qu’elles charrient, par leur offre, les questions d’éducation, ou encore d’accès à la culture et au savoir.
Jaroslav Kocourek. À vélo entre les lignes.
Un voyage de cette sorte, ce sont également des projets qui se heurtent à la réalité du terrain. Comme celui d’un podcast autour de ces rencontres : « Quand des deux côtés, on ne parle pas dans sa langue maternelle, mais une langue seconde comme l’anglais, l’écoute est rendue difficile », décrit Jaroslav Kocourek. L’écueil est puissant quand, comme en Albanie ou en Turquie, les interrogés ne maîtrisent pas l’anglais.
Zoé ajoute : « Il manque tout ce qui s’exprime par le geste quand on essaye de se comprendre, et, quand chacun ne parle pas sa langue, on est forcé de rester en surface des choses. » Les deux baroudeurs sont passés de l’entretien à deux micros à l’enregistrement par un dictaphone, afin de s’appuyer dessus, avec les photos, pour les retranscrire à l’écrit.
Autre problématique, cette fois pour arriver en Mongolie en traversant l’Europe : il faut obligatoirement passer par la Russie… « Il faudrait qu’on fasse un visa dans notre pays d’origine, la France, donc prendre un vol retour, puis revenir », confie l'ancienne libraire. L’Azerbaïdjan est également fermé. Le couple pense à présent à contourner par la Chine, ce qui nécessiterait de recourir à l’avion, outre les questions de visa.
Conscients que l’adaptation est une vertu des plus cruciales pour une longue aventure, ils songent à traverser la Chine en vélo, avant d’arriver au Vietnam, et de découvrir le Pakistan et l’Inde : « Le but n’était pas d’aller en Mongolie à tout prix, mais de voyager », confirme Jaroslav Kocourek.
À LIRE : Voyage et littérature, Karine Tuil en passeuse de lectures
Et de conclure, philosophe : « On essaye de ne pas avoir d’attente au départ, et de rester toujours réalistes. On est abreuvés d’images Instagram qui nous montrent une vision idyllique du voyage, c’est faux. Voyager, c’est se perdre dans les montagnes, se retrouver au milieu de la neige, chercher où pouvoir dormir au sec, trouver où manger ; et quelques fois, profiter de moments suspendus… »
Encore des mots qui seraient de belles métaphores pour parler du périple dans un roman aux allures d’odyssée.
À vélo entre les lignes. Jaroslav Kocourek.
Crédits photo : À vélo entre les lignes. Jaroslav Kocourek.
DOSSIER - À vélo, entre les lignes : visiter des librairies, de Paris à Oulan Bator
2 Commentaires
Denis Griesmar
15/04/2023 à 16:48
Ces sempiternelles références à l'anglais sont le symptôme d'un problème grave, et l'arasement de toutes les langues et de toutes les cultures par le globish n'ouvre pas sur le monde. Il y a quand même moyen de se comprendre autrement. (Note : l' "e-mail" est un courriel).
Frederic Nef
11/08/2023 à 15:00
merveilleux