En avril 2020 a débuté l’acquisition du groupe Lagardère par Vivendi. Au terme de l’OPA déclenchée deux ans plus tard, la structure annonçait son intention de céder Editis, dont il était propriétaire depuis 2018. Ce 8 mars, les résultats 2022 du groupe seront dévoilés, alors que depuis le 15 février, les offres des repreneurs sont désormais clôturées. Sauf que le projet de vente ne convainc pas vraiment.
Le 08/03/2023 à 12:24 par Nicolas Gary
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08/03/2023 à 12:24
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Le cabinet Secafi, mandaté pour accompagner les représentants du personnel d’Editis, a délivré un nouveau rapport, accablant autant que révélateur. Il met à mal le modèle de sortie du groupe éditorial du périmètre de Vivendi, tel que dévoilé fin juillet 2022 : d’un côté, la cotation d’Editis en bourse, avec distribution des parts aux actionnaires de Vivendi. De l’autre, la vente des parts du groupe Bolloré — soit 29,5 % de l’entreprise.
Si l’avantage pour les actionnaires est limpide, le cabinet souligne que cette opération est « historiquement assez rare », bien que Vivendi y ait déjà eu recours, avec UMG. En outre, le passage par Euronext Growth pour la cotation prodigue quelques commodités : les exigences sont simplifiées, bien qu’il protège moins les porteurs de parts minoritaires.
Ce choix de Vivendi découlerait, estime Secafi, de ce que « l’acquéreur [peut] monter jusqu’à 50 % du capital sans avoir à déclencher d’OPA ». Et ce, contre les 30 % imposé par Euronext Paris.
Pour autant, ce système présente plusieurs « facteurs de risques » qu’identifie le cabinet. Ils touchent tant au secteur d’activité, qu’à la situation financière (dont la difficulté à obtenir financements ou refinancements). Il soulève également des questions juridiques et réglementaires : « Le principal risque concerne le dossier Epac. Une convention de garantie est en cours d’élaboration pour assurer la couverture totale de ce litige par Vivendi à hauteur des demandes d’Epac », note Secafi.
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Mais surtout, la sortie du périmètre de Vivendi implique les différents accords passés avec les autres structures – Havas, Canal Plus, Prisma Média, pour exemple. De même « deux contrats de licences et un pacte d’actionnaires contiennent des clauses spécifiques en cas de changement de contrôle ». Enfin, plusieurs fonctions corporate, qu’assure Vivendi, incomberont à Editis — avec divers surcoûts annuels, estimés à plus de 4,4 millions €.
Reste que les « acteurs mondiaux de l’édition cotés en Bourse sont rares et majoritairement tournés vers l’édition professionnelle, scientifique et technique », pointe Secafi. Le temps long de l’édition engage des projets sur des périodes de 12 à 24 mois. Et un auteur ne devient souvent bankable qu’au terme de plusieurs années, considérant d’ailleurs que chaque nouveau livre est une nouvelle aventure.
D’autre part, le rapport précise que le secteur du livre demeure stagnant depuis une vingtaine d’années. Et plus encore, « les attentes des marchés financiers (forte croissance, notamment sur Growth) semblent peu compatibles avec un secteur où l’avenir se construit de manière solide, mais lente ».
Impossible de passer outre les risques, donc, dans le projet de cotation-distribution. Et Secafi enfonce le clou :
« Un contrôle insuffisant du capital peut entraîner une instabilité de la gouvernance et une remise en cause du projet stratégique. Ce risque serait fortement accru en cas de diminution du poids de l’actionnaire de référence au capital, consécutivement à des ventes de titres sur le marché, au-delà de la période de “lock up” de 3 ans (conservation des titres). »
– Rapport Secafi
De même, toute variation du cours en bourse aura des répercussions sur l’entreprise, laquelle aura des obligations de transparence l’amenant à communiquer des informations à ses concurrents. Entre pertes d’opportunités corrélées à la présence au sein de Vivendi et dysnergies, le devenir d’Editis s’annonce mouvementé.
Pour autant, plusieurs opportunités contrebalancent l’ensemble : le repreneur, dont l’identité devrait être communiquée cette semaine, investirait sans recours à une dette d’acquisition — du fait de l’achat d’une part de capital, entre 150 à 200 millions €.
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En outre, l’introduction en bourse renforcerait la position d’Editis par le biais d’une augmentation de capital de 100 millions €, tout en réduisant l’endettement. À ce jour, elle est évaluée à 130 millions, avec 491 millions € de fonds propres. Entre liquidités et possibilités de collectes de fonds, le devenir financier n’est pas si sombre.
Ainsi, Secafi formule six préconisations, à l’attention tant de Vivendi que du repreneur.
1. faire des promesses raisonnables aux investisseurs et ne pas exposer Editis à une baisse importante de son cours de bourse.
En somme, ne pas raconter une histoire qui soit trop éloignée de la réalité ou trop séduisante.
2. obtenir du repreneur un engagement d’acquérir une part du capital proche de 50 %, voire supérieure via une OPA, et la conserver pendant au moins 5 ans.
À ce titre, le risque de voir un investisseur tiers non invité, décidé à exercer une influence en montant au capital, aurait une incidence néfaste.
3. choisir un repreneur avec un projet industriel solide pour Editis, s’appuyant sur les recommandations formulées par ses représentants du personnel.
Si, pour Vivendi, le montant du rachat importe, il ne saurait être le seul critère de choix. Les instances représentatives du personnel avaient déjà formulé une série de recommandations, qu’il importera de prendre en compte. Et ce, afin de garantir que le projet stratégie du repreneur obtiendra l’adhésion des salariés.
4. obtenir du repreneur l’engagement de ne pas céder des pans d’activité pendant au moins 5 ans.
Toujours dans cette perspective de préservation de l’identité d’Editis, il sera fondamental de préserver l’ensemble des 53 maisons du groupe, ainsi que sa filiale de diffusion-distribution, Interforum.
5. associer les salariés à la réussite du projet d’entreprise et au partage de la création de valeur.
6. aller au-delà des obligations légales en matière d’association des salariés à la gouvernance de l’entreprise.
Autant de sujets qui impliqueront prudence et diplomatie.
Dans une précédente édition de La Lettre A était avancé que Vivendi poussait les repreneurs à revoir leur offre de reprise. Et ce, attendu qu’aucune ne satisferait le groupe que dirige Yannick Bolloré. Québecor et Reworld Media resteraient en lice, de même que le triumvirat associant Stéphane Courbit, Daniel Kretinsky et Pierre-Edouard Stérin. En revanche, Mondadori aurait désormais quitté l’arène.
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Pour les candidats est venu le temps non des cathédrales, mais du due diligence — phase de consultation des informations et d’audit d’Editis, donc de disposer d’un regard le plus exact possible. Or, cette séquence ouvrant les grands livres des comptes, elle ne conduit que rarement à une réévaluation par le haut des propositions formulées.
Et surtout, ces examens conduiraient à ralentir le processus de cession, donc à retarder la transaction finale… Rappelons qu’en ayant ouvert une enquête approfondie, la Commission européenne a également repoussé la date de rendu de sa décision quant au rachat de Lagardère. Initialement fixée au 19 avril, elle est désormais attendue pour le 23 mai.
Chose intéressante : Yannick Bolloré et Arnaud de Puyfontaine avaient indiqué que les investissements de Vivendi depuis le rachat d’Editis se chiffraient à 334 millions € – confirmant une information déjà communiquée par ActuaLitté. certainement trop pour accepter de ne pas rentrer dans ses frais.
Le rapport est disponible en consultation et/ou téléchargement ci-dessous :
Crédits photo : siège d'Editis - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
1 Commentaire
Rendre à César ce qui lui appartient
09/03/2023 à 19:37
Bonne pub pour Secafi !! Pour information c’est un travail collectif fabriqué par les représentants du personnel et non pas par secafi ! Ce document est le résultat d’un travail commun entre tous les membres des instances du groupe (élus et Ds). Secafi a ensuite retranscrit ces recommandations dans ce document pour que les repreneurs en prennent connaissance. Il faut rendre à César ce qui lui appartient !!