#Presidentielle2022 - La culture a-t-elle disparu des débats autour de la présidentielle ? Si la guerre d'Ukraine et ses conséquences sur le pouvoir d'achat ont résolument bousculé le rythme de l'élection, les questions culturelles tentent tout de même de se frayer un chemin dans les conversations. À Paris, un cycle de conférences intitulé « weare_ Présidentielle ! » a permis à quatre candidats de développer leur programme. Quid du livre, dans tout cela ?
Le 01/04/2022 à 18:30 par Clémence Leboucher
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01/04/2022 à 18:30
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Dans huit jours, le Premier tour de la présidentielle. Une certaine fébrilité s'empare de la société. Meetings, débats, interventions télévisées : les douze candidats, dont les programmes ont successivement été dévoilés ces dernières semaines, jouent des coudes pour déjouer les sondages, qui placent pour le moment Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dans le peloton de tête.
Pourtant, à l'heure des comptes, une petite voix s'élève entre les débats bruyants, les tweets assassins et les tiktoks peu « ministériels » de Jean-Baptiste Djebbari : mais où est la culture ? Plus précisément, comme le titre Télérama le 26 mars 2022 : Ils ont oublié la culture. Semble-t-il.
L'édition et le livre en font d'ailleurs les frais - peu de mesures consacrées au monde littéraire sont présentes dans les programmes des candidats. Si notre dossier spécial consacré aux propositions des candidats pour le livre permet de faire le point sur les différentes mesures énoncées, la lettre ouverte partagée par l'ABF (Association des Bibliothèques de France), les mesures-phares proposées par la Scam ou encore les questionnements du Syndicat National de l'Editionn, tous s'adressant aux candidats, n'auront eu que peu d'écho.
Cette semaine, une initiative, que nous présentions mardi, a permis d'aller à l'encontre de ces constatations. La République en Marche, La France Insoumise, Les Verts, et Reconquête! : quatre partis se sont succédés au 73 Faubourg Saint Honoré durant quatre jours. Une absence imprévue : celle des Républicains, victimes d'une épidémie de covid à moins de deux semaines de l'élection. Quatre candidats, ou plutôt leurs porte-parole : c'est peu, mais ils sont, selon les mots d'Eric Newton, PDG de weare_, les seuls à avoir répondu à l'invitation.
Ce sont quatre hommes, également : Jean-Marc Dumontet (LREM), Ugo Bernalicis (LFI), Frédéric Hocquard (Les Verts) et Benjamin Cauchy (Reconquête!), puisque la Républicaine Florence Portelli, cas-contact de Valérie Pécresse, n'a pu se présenter à l'événement. Frédéric Martel, producteur de l'émission Soft Power sur France Culture, a mené les échanges, relayés par Claire Bommelaer (Le Figaro) lors de l'entretien avec Ugo Bernalicis.
Le club weare_, projet créé depuis 2 ans, réunit tous les acteurs des industries créatives et culturelles. Grands patrons, créateurs et entrepreneurs forment un ensemble, une programmation éclectique et une manière de promouvoir la French Touch, la technologie et le numérique. L'occasion, entre deux phrases sur les industries, le cinéma et le jeu vidéo, de tirer quelques probables mesures et réflexions sur le monde du livre et de l'édition.
Le salon du club weare_, où se sont succédés les porte-paroles des candidats (ActuaLitté, CC BY SA)
Tandis que le quinquennat Macron s'achève, et que les mesures annoncées en 2017 pour la culture n'ont, pour le moment, pas toutes été remplies, son porte-parole Jean-Marc Dumontet estime le mandat d'Emmanuel Macron « honorable ».
Les réponses apportées au Covid – année blanche, mobilisation de 13.6 milliards d’euros en faveur de la Culture depuis le début de l’épidémie, aide au patrimoine – n'auront cependant pas aidé à redorer l'image présidentielle perçue par le monde culturel. « On attendait de Macron qu’il soit une figure de proue des combats culturels », avoue-t-il, lui-même directeur de plusieurs théâtres, dont le Théâtre Antoine et le Point Virgule. Il explique d'ailleurs que le programme ne sera pas annoncé « en bloc » et que le Président, dont la campagne est bousculée par la guerre en Ukraine, souhaite « créer une impulsion, un mandat utile ».
A LIRE : Plus de Pass culture et un “métavers” européen dans le programme de Macron
Face aux pauvres annonces du président-candidat en matière de culture, ses concurrents tentent de mobiliser leurs propositions. Pour Frédéric Hocquard (EELV), aucun doute : il faut « sanctuariser le soutien à la création » et « rééquilibrer les prérogatives et aides entre l’Ile-De-France et les régions ». Objectif : ne pas augmenter les taxes, mais réfléchir à une meilleure répartition de valeur. Même constat pour Benjamin Cauchy, représentant d'Eric Zemmour : le candidat de Reconquête! souhaite proposer « une alliance entre l’État, les régions, le ministère de la Culture et de l’Éducation » afin de rééquilibrer les dépenses liées à la culture.
Pour l'ancien gilet jaune, la culture ne peut être pas pensée comme une « arme idéologique ». Cela, après une blague douteuse : montrant ses notes bleu-rouge, il s'exclame : « Vous voyez, chez Reconquête!, on aime la couleur… »
Après une diminution des « charges » sociales, le parti du polémiste propose également de baisser le prix des envois postaux de livres afin d'améliorer la « diffusion de l’excellence culturelle française ». Fustigeant « wokisme » et « cancel culture » qui seraient « plébiscités par le ministère de la Culture, et par les différents organismes culturels », il souhaite soutenir le « génie français » de la création, face à un public très concerné : la salle est remplie d’entrepreneurs.
Si aucun intervenant n'a cité le Centre National du Livre, organe central dans l'industrie, le monde littéraire a surtout été évoqué par le biais du Pass Culture. Mesure-phare du quinquennat en matière de culture, il n'est, pour Benjamin Cauchy, qu’« un gadget qui coûte cher ». Ugo Bernalicis dénonce lui, le « clientélisme de Macron en fin de mandat ». « C’est un peu comme le chèque carburant : on donne quelque chose, mais finalement, ça revient à l’Etat. »
Et, tandis que 50 % des crédits alloués par le Pass Culture sont utilisés pour les livres, le manga revient dans de nombreux discours. « Je détesterai une condescendance envers le manga. Si le libraire fait bien son job, on gagne un probable futur amateur de roman, ou de livre de peinture », anticipe Jean-Marc Dumontet.
Conclusion : la culture, c'est important. Elle doit même, pour Frédéric Hocquard, « participer au tournant écoresponsable ». Il cite le film Don't Look Up, mais la mesure semble pouvoir s'appliquer au livre. Ugo Bernalicis, finalement, s'insurge contre « l’uniformisation culturelle des plateformes » comme Amazon ou Netflix. Une manière de s'opposer à Amazon, dont la politique tarifaire abusive est poursuivie en justice ?
Des sujets bien épineux, après le camouflet imposé par le Syndicat National de l'Edition à Roselyne Bachelot. Jean-Marc Dumontet, qui concède à ActuaLitté une condition « financièrement instable » des auteurs, avoue ne pas pouvoir faire de promesses pour le moment : « La situation est inextricable ». Il déplore tout de même la faible rémunération des écrivains et artistes. « Beaucoup d’entre eux ont un travail à côté : ce n’est pas normal. Etre artiste-auteur doit devenir un métier à part entière ». Mais pas de solution, à court terme : « Nous n’avons pas les ressources suffisantes pour accéder aux revendications des auteurs. »
A LIRE : Les éditeurs “plantent” Roselyne Bachelot : un camouflet qui passe très mal
Le représentant de La France Insoumise propose en réponse une « caisse commune aux artistes et auteurs », avec l'idée « de faire circuler les subventions » nous précise-t-il, s’insurgeant contre la logique de marché. Frédéric Hocquard, interrogé par ActuaLitté sur la question sociale et salariale des écrivains, est catégorique : « Il faut un statut pour les auteurs. » Et de rappeler : « En 1936, il y a eu la création d’un statut pour les intermittents du spectacle. L’objectif, ce n’est pas juste d’élargir l’intermittence : c’est d’agir contre la précarité. » Pour cela, pas de secret : « La question du financement doit être revue. »
Benjamin Cauchy, qui a centré son discours sur la promotion culturelle de la « culture française » et contre « l’idéologie dominante », n’aura rien apporté sur la question du statut et de la situation sociale des artistes-auteurs.
Une question un peu délicate puisque, comme l’a rappelé Frédéric Martel - au micro et dans un tweet - sa collègue d'extrême-droite Marion-Maréchal Le Pen semble peu respecter le droit d'auteur. Le 30 mars, la nièce de Marine Le Pen a republié un article entier du Canard Enchaîné, pratique pourtant interdite et sanctionnée. « Oui, il faut sanctuariser la protection au droit d’auteur », corrige alors Benjamin Cauchy.
Jean-Marc Dumontet assure, lui, vouloir continuer son action « contre les sites pirates » et « défendre le droit d’auteur en Europe ».
Auprès de ActuaLitté, et sur la place consacrée par LFI aux librairies et maisons d'éditions indépendantes, Ugo Bernalicis atteste de son combat « contre les entrepôts Amazon », à l’instar de son action dans les Hauts-de-France, où il est député. « Le prix unique du livre, que nous souhaitons bien entendu conserver, permet de s’opposer aux logiques capitalistes et de favoriser une meilleure rémunération des membres du secteur. »
Si le monde de l'édition est, selon le Sénat, « en ébullition » face à la menace d’une forte concentration médiatique et éditoriale liée à la fusion Edithachette, les candidats ont tenté d'apporter des réponses à cette question. Questionné par ActuaLitté sur le mouvement #StopBolloré, Benjamin Cauchy fustige le « buzz contre un seul homme ». « Plus il y a de concurrence, plus la fiscalité s’améliore. C’est plutôt bon pour la pluralité culturelle. »
A l'inverse, Ugo Bernalicis l'assure : si Jean-Luc Mélenchon passe, fin de la concentration et de la concurrence déloyale. « Il faudra agir immédiatement, à la fois contre la concentration verticale et horizontale. » nous explique-t-il. Pas d'objection pour celle diagonale, très en vogue ? Les actionnaires ne pourront détenir en même temps médias écrits, audiovisuels, et web. Fin, également, des OPA de la part des détenteurs de médias - un véritable coup d’arrêt pour Edithachette, donc.
Si Canal+ est, selon Jean-Marc Dumontet, un « naufrage éditorial », on peut tout à fait lier ses mots à la politique du propriétaire du groupe Bolloré, et par conséquent, à ses filiales dans l'édition. Le référent culture de LREM est favorable à un « droit d’information fiable » : il faut, selon lui, « privilégier les journalistes qui recoupent leurs sources » et « imaginer de nouveaux dispositifs contre les hébergeurs qui font leur propre justice », comme Twitter.
La liberté d'expression reste donc présente en filigrane dans chaque mesure liée à la culture. François Martel l’a également perçu, demandant à Benjamin Cauchy, au détour d’une énième critique du « wokisme » : « Comment force-t-on les artistes à ne pas soutenir les opinions woke ? Est-ce réellement de la liberté d’expression, de publication ? ». Au porte-parole de Reconquête! de répondre « On soutiendra, à parts égales, ce genre d’artistes comme ceux qui font rayonner le patrimoine français ». Avant de critiquer le concept de créolisation, largement plébiscité par le candidat de La France Insoumise : « Jean-Luc Mélenchon est soumis intellectuellement. »
Sur ce sujet, le représentant de Yannick Jadot sera plus mesuré : il préconise une alliance et un « métissage avec les minorités » pour lutter « contre les mécanismes de domination ». Et de conclure : « Il n’y a pas de place pour les ennemis de la République. »
Plateformes, concentration, médias et libertés : entre rap, cinéma et industries créatives, le livre aura donc assez peu trouvé sa place dans ces débats. Quelques informations sur les mesures probables de quatre candidats seulement ne sauraient d'ailleurs résumer l'intégralité des propositions pour le monde littéraire. De Philippe Poutou à Marine Le Pen, nombre d'entre eux ont permis, grâce à la révélation de leur programme, d'anticiper les possibles évolutions du secteur en cas d'élection.
Dossier : Présidentielle 2022 : les propositions des candidats pour le livre
Propos recueillis les 28,29 et 31 mars 2022
Crédits : Discours de Léon Blum, © Galllica
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Kujawski
04/04/2022 à 08:52
Très surpris par le titre de ce papier. Le livre « peinerait à toucher le cœur des candidats » - pour le dire autrement, le livre dans l’indifférence de candidats égaux dans leur vacuité. Ou comment ramener « Actualitté » à un média mainstream réduit à brocarder la « classe politique », comme la plupart des autres.
Deux points sur lesquels je souhaite attirer l’attention de la signataire du papier : pour ce qui concerne le candidat Mélenchon, un programme culture comprenant des entrées sur les livres à été publié, libre à elle de s’en informer. De plus, « Actualitté » a publié, et c’est à son honneur, un questionnaire adressé aux candidats sur les livres, auquel, entre autres (Jadot, Arthaud), Mélenchon a répondu. Si Mme Leboucher le souhaite, on le lui enverra. Enfin, le même « Actualitté » a aussi publié des tribunes dans lesquelles des idées de Mélenchon quant aux livres (par exemple, quant à Bolloré) ont été développées. Que Madame Leboucher n’hésite pas à s’y plonger.
A quoi bon un titre et un article racoleurs, qui vont contre le média dans lequel on écrit ?
Cela dit, en plein respect pour l’abondant et, très souvent, fructueux travail du même « Actualitté ».
Team ActuaLitté
04/04/2022 à 09:48
Bonjour et merci pour votre regard autant que pour cette analyse.
De fait, au sortir de ces différentes présentations, par les porte-parole des candidats – et ce, malgré les programmes que nous avons effectivement détaillés, pour chacun (à l'exception de Valérie Pécresse qui ne souhaite manifestement pas répondre), il ressort que le livre n'était pas évoqué du tout lors de ces échanges.
Comprendre : pas spontanément, et il a fallu les interventions et questions, hors conférence officielle, de notre journaliste, pour que le sujet apparaisse soudainement.
Aussi le titre n'est pas mainstream (ce qui en soi serait un reproche assez étonnant : où serait le problème à oeuvrer pour le grand public) et moins encore brocardant (je vous renvoie aux échanges qui ont eu lieu durant cette semaine), mais reflète bien le manque manifeste d'intérêt.
Pour le dire en enfonçant le clou : si l'on s'en tient à ces prises de parole officielles, le livre n'était pas un enjeu.
De là à se demander pourquoi certains programmes lui accordent une réelle place, quand les porte-parole ne profitent pas d'opportunité d'interventions publiques pour abonder, je vous laisse le soin de la réponse !
Excellente journée
Kujawski
04/04/2022 à 10:26
Merci pour votre réponse. Reste que "Weare" a pour but de "promouvoir la French Touch, la technologie et le numérique", et qu'Ugo Bernalicis est le mieux placé pour parler de ces domaines au nom de la France Insoumise. Si nous avions su que les livres figureraient au programme de ce colloque, un(e) autre représentant(e) plus spécialisée(e) aurait également fait le déplacement - et nous n'en manquons pas.
Rien qui, au passage, vous autorise à écrire que "peu de mesures consacrées au monde littéraire sont présentes dans les programmes des candidats", ce qui est faux en ce qui nous concerne, ni à publier un titre qui laisse entendre une indifférence des candidats à la présidentielle vis-à-vis des livres, ce qui est également faux, en tout cas pour ce qui nous concerne.
Soit dit, en respect réaffirmé pour "Actualitté".