Dans l'ouvrage Inclusi(·f·v·e·s). Le monde du livre et de l'écrit : quelles diversités ?, les auteurs n'ont pas voulu s'arrêter au stade du constat. Nous avons voulu montrer, comme le prouvent les témoignages réunis ici, que des solutions très concrètes existent, que des initiatives positives sont en place, que des acteurs et actrices de la chaîne du livre œuvrent pour une meilleure inclusion de toutes et tous dans la production et la réception d’écrits. Que c’est possible. Par Étienne Galliand.
Le 01/03/2022 à 11:42 par Auteur invité
1 Réactions | 578 Partages
Publié le :
01/03/2022 à 11:42
1
Commentaires
578
Partages
Pour bâtir ce numéro, nous avons fait le pari d’une pluralité d’entrées sur le sujet. Ainsi, nous proposons aux lectrices et aux lecteurs différents angles d’approche : « Femmes et genre », « Autochtones », « LGBTQ+ », « Groupes sociaux-économiques exclus ». Dans la rubrique « Femmes et genre » sont regroupés des articles et des témoignages qui s’inscrivent dans une perspective féministe. Il y est question d’égalité, d’inclusion (en particulier de l’écriture inclusive, analysée dans l’article savant de Patrick Charaudeau) et de lutte contre le patriarcat.
La parole est offerte à des personnes issues des milieux universitaires et professionnels qui pensent et agissent en faveur d’une plus grande diversité de genre au sein du monde du livre et de l’écrit. Isabelle Boisclair nous rappelle dans son article sur l’insertion des femmes dans le champ littéraire au Québec au XXe siècle que, si d’immenses progrès ont été accomplis, le projet d’inclusion est cependant loin d’être terminé. En République tchèque, les éditions wo-men publient des ouvrages qui donnent la parole aux personnes les moins écoutées de la société, et tout particulièrement aux femmes (lire le témoignage de Barbora Baronová).
La maison d’édition féministe Women Unlimited, implantée dans le Nord de l’Inde, a placé l’expérience des femmes et la lutte pour l’égalité entre les genres au cœur de sa production éditoriale (comme le montre le témoignage de Ritu Menon). Lori Saint-Martin dresse quant à elle un constat sévère de la diversité dans le monde de la traduction, où les autrices et auteurs des pays développés et quelques écrivain·es issu·es de la diversité (mais écrivant dans une langue dominante ou publié·es dans les centres intellectuels du Nord) sont fortement surreprésenté·es, au détriment de tous les autres.
Enfin, Karine Rosso et Camille Toffoli présentent la librairie coopérative féministe L’Euguélionne de Montréal, un établissement maintenant connu des deux côtés de l’Atlantique.
Parce que ce volume de Bibliodiversité s’est construit à cheval entre Europe et Amérique du Nord francophones, nous avons choisi de nous interroger sur la possibilité, pour les personnes issues des peuples premiers, d’exprimer leur culture et leur vision du monde à travers des livres… Il était donc indispensable d’essayer de comprendre la place qu’occupent les Premières Nations dans le monde du livre et de l’écrit au Québec.
Au-delà même de ces réflexions et témoignages spécifiques, l’autochtonie interroge partout les pratiques éditoriales et auctoriales : symbole de la lutte pour l’existence de cultures minorées et opprimées, elle questionne les capacités d’une société à donner une réelle place à l’altérité. Marie-Hélène Jeannotte revient pour nous sur l’histoire et l’actualité de l’édition des peuples premiers au Québec, alors que Daniel Sioui nous présente les éditions Hannenorak (page 126) et que Louis-Karl Picard-Sioui nous raconte l’histoire du Salon du livre des Premières Nations (page 137). Arianne Des Rochers, traductrice, évoque quant à elle son expérience de traduction auprès d’autrices et d’auteurs autochtones – expérience qui questionne le mode de fonctionnement actuel de la traduction dans le milieu de l’édition.
Les minorités LGBTQ+ sont à l’origine de mouvements d’émancipation et de conquête de droits très importants au XXe et XXIe siècle, au moins dans les sociétés occidentales. En ce sens, leur visibilité et l’importance de leur participation au monde du livre et de l’écrit permettent aussi de mesurer la réalité d’une vraie diversité dans les structures de production de contenus écrits et du capital symbolique. Invertido Ediciones, au Chili, s’est donné comme mission de représenter au mieux dans son catalogue toute la richesse et la diversité des littératures LGBTQ+, comme nous l’explique Manuel Retamal.
Luc Pinhas, dans un article très fouillé, retrace pour nous l’histoire récente des imprimés gais en France et au Québec – et, à travers elle, toute la richesse qu’ils représentèrent avant que le numérique ne prenne le relais. En plus de Violette and Co, il sera aussi intéressant de rendre une visite à la mythique librairie LGBTQ+ parisienne, Les Mots à la Bouche, guidé·es par Éva Sinanian.
Parfois ce sont des groupes entiers qui semblent absents du monde du livre et de l’écrit : les ouvriers et ouvrières, les personnes les plus défavorisées et/ou migrantes, voire les personnes issues de l’immigration, etc. Il fallait donc aussi proposer un angle d’approche du sujet de l’inclusion basé sur une entrée socio-économique où le livre peut être considéré comme un outil au service des luttes sociales et économiques.
Certains ont choisi d’accorder une visibilité plus importante aux gens « d’en bas », comme le revendiquent, par exemple, les éditions éponymes, fondées en 1976 en Suisse par Michel Glardon et dirigées depuis 2001 par Jean Richard , pour « révéler l’envers du décor, (…) dans la perspective des exclus et des exploités ». D’autres se battent pour convaincre les professionnels du livre de participer à des programmes de formation et de sensibilisation à la diversité, véritables stages d’inclusion appliquée – comme Every Story Matters en organise, nous le verrons avec Yannick Geens, depuis la Belgique.
Il y aurait pu avoir d’autres angles d’approche (quelle place donner aux autrices et auteurs en langues minorées ou vernaculaires ; tou·t·es les lectrices et lecteurs ont-ils un accès, sinon égalitaire, du moins réel, aux productions éditoriales ; etc.) – mais même imparfaite, l'approche pluraliste que nous proposons reste sans doute une des spécificités de cet ouvrage. Bien entendu, certains textes sont profondément transversaux, ou auraient pu être placés dans une ou plusieurs autres rubriques que celle qui a finalement été privilégiée. Nous demandons aux lectrices et aux lecteurs de bien vouloir garder à l’esprit que cette organisation (forcément insatisfaisante) n’a pas pour objectif d’ériger des catégories en ensembles figés, mais de rassembler des textes apparentés pour en faciliter la lecture.
Et puisque nous évoquons ici la forme que prend ce volume de la revue, laissez-nous préciser notre position en matière d’écriture inclusive et de féminisation des textes que nous publions : nous avons choisi avant tout de respecter la volonté des personnes qui nous confient leurs écrits. Nous pensons en effet que les formes d’écriture relèvent de la liberté auctoriale ; et si des modifications typographiques, de formulation ou d’organisation de structure sont proposées aux autrices et auteurs, ils en disposent librement.
Pour les textes que nous produisons directement – celui de cette introduction, essentiellement –, nous avons pris le parti d’utiliser des formules épicènes, à chaque fois que cela est possible, d’utiliser les doublets et les accords de proximité (avec une note explicative de bas de page à la première occurrence, car très souvent ces accords sont encore perçus comme des « coquilles » par les lecteurs). La nécessité de féminiser les professions ne fait pas le moindre doute, alors que l’usage du point médian reste discuté… En matière d’écriture inclusive comme d’inclusion, il s’agit de ne pas rester figer sur des positions de principe et de se donner la possibilité d’évoluer.
Pourquoi faut-il promouvoir « l’édition inclusive » ? Parce que le niveau de représentativité, d’inclusion du monde du livre et de l’écrit n’est actuellement pas satisfaisant et que cela impacte le légitime besoin d’expression de toutes et tous, parce que cela a des effets sur la bibliodiversité d’un écosystème éditorial et littéraire donné. En outre, le secteur pourrait bien en tirer un véritable bénéfice, commercialement – comme tend à le montrer l'étude désormais célèbre de McKinsey (Diversity wins: How inclusion matters).
L’édition inclusive interroge donc la réalité de la démocratisation du secteur et la disponibilité des outils de production, de création et de diffusion pour toutes les « catégories » de populations, en particulier celles qui sont socialement, ethniquement, sexuellement, en matière de genre, culturellement, économiquement ou linguistiquement minorées.
Mais où inclure ? Faut-il inclure les groupes et personnes minorées dans le système éditorial et littéraire existant ou, au contraire, remettre en cause les fondements même de ce système, puisqu’il est (au moins partiellement) créateur d’exclusion et d’invisibilisation ? C’est un débat à part entière – entre une vision réformiste et une approche plus révolutionnaire – que nous nous garderons bien de trancher. Peut-être peut-on dire au moins que cela dépend des cas de figures, du système éditorial et littéraire considéré et que le contexte, en la matière, nous donne sans doute des indications sur le positionnement à privilégier…
Pour finir, laissons de nouveau la parole à Rodney Saint-Éloi – avant d’entrer plus avant dans cet ouvrage somme toute (malgré ses imperfections) unique en son genre :
J’écris/édite pour dire que tout ceci n’est qu’un début. Et que la tâche de toutes et de tous est de continuer, en lisant ou relisant ces textes qui vous sont offerts, sans complaisance ni forfanterie, simplement pour vous inviter dans l’aventure qui consiste à voir ce qui se cache derrière cet étrange mot dit inclusion.
Bienvenue dans ce volume de Bibliodiversité !
Par Étienne Galliand, éditions Double ponctuation, membre du Comité éditorial de la revue Bibliodiversité (France). Extrait du livre Inclusi(·f·v·e·s) - Le monde du livre et de l'écrit : quelles diversités ? réalisé en partenariat avec l'Alliance internationale des éditeurs indépendants.
Cofondateur de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants en 2002, Étienne Galliand dirige les éditions Double ponctuation, une maison spécialisée en sciences humaines et sociales. Du fait de son parcours professionnel et de ses centres d’intérêts, il approfondit sans cesse sa compréhension de la notion de diversité éditoriale. Avec Laurence Hugues (Alliance internationale des éditeurs indépendants) et Luc Pinhas (spécialiste français de l’édition), il anime la revue Bibliodiversité.
crédits photo : 5671698 CC 0
Paru le 22/02/2022
253 pages
Double ponctuation
17,00 €
1 Commentaire
Biblioraton
02/03/2022 à 14:25
Ce que je trouve intéressant, c'est d'étudier l'inclusion à partir de différents thèmes : femmes, exclus, LGBT... Dommage qu'il n'y ait apparemment pas plus de choses sur l'inclusion des personnes handicapées. Mais j'achèterai le livre car c'est une réflexion très importante que l'on doit mener aujourd'hui, en particulier en France.