FLP2022 – Rencontre au sommet, certes, mais surtout, rencontre de la dernière chance. La rupture menaçait d’être définitive entre les éditeurs indépendants, les régions et le Festival du Livre de Paris, dont la première édition se déroulera du 22 au 24 avril. Se considérant comme exclus de l’offre commerciale, les premiers ont exercé une très forte pression sur l'événement. Voici qu'une ultime proposition intervient pour apaiser les esprits.
Le 03/02/2022 à 09:23 par Nicolas Gary
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03/02/2022 à 09:23
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Tout a débuté avec une présentation des espaces commercialisés pour occuper le Grand Palais Ephémère : des coûts difficiles à assumer pour de petites structures et un modèle économique qui, intégrant pleinement les libraires, réduits les recettes envisageables pour un éditeur exposant. Pour les éditeurs indépendants, cela devenait intenable : « Le modèle économique que vous avez imaginé consiste à reprendre celui de la librairie, mais à faire payer le loyer par les éditeurs », écrivait la Fédération des Éditions Indépendantes.
Une première tentative de conciliation, en réponse au courrier des éditeurs, surgissait : les 9000 m2 disponibles ne permettraient, dans tous les cas, pas d’accueillir autant de diversité que la Porte de Versailles. « C’est certes frustrant et imparfait, mais nous devons tous composer avec ce principe de réalité. »
Mais cette réponse n'a fait qu'attiser les braises : la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill) dégainait un communiqué rageur. « Festival du livre de Paris : en 2022, ce sera sans les régions », indiquaient communément la Fill, les 13 régions ainsi que les agences régionales du livre. Et, de fait, les éditeurs indépendants.
« Ce constat est d’autant plus regrettable dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons : après deux annulations, ces mêmes éditeurs auraient eu grand besoin de cette vitrine parisienne, et les études montrent un engouement renouvelé des lecteurs pour le livre en général, ainsi que pour une offre variée », soulignait le courrier.
Autrement dit, la rencontre de ce 1er février était attendue de toutes parts, pour définir la suite des événements. D'autant que, dans l'intervalle, l'édition printanière de L'Autre salon – qui réunit justement des éditeurs indépendants – a choisi de calquer ses dates sur celle du Festival du livre de Paris. Avec la volonté affichée de jeter un peu d'huile sur le feu.
L’absence des régions, qui occupaient un bel espace et, hors coûts de stand, représentaient quelque 600.000 € de location de moquette, débouchait sur un sérieux manque à gagner. Le pari d’un Festival gratuit pour le public, orienté à travers trois grandes thématiques, et totalement recentré sur les éditeurs, les excluait de fait. Une absence qui signifiait également la disparition des éditeurs régionaux, lesquels profitaient de la manne pour exister lors des précédentes éditions.
Alors, que faire ?
Si les éditeurs profitent de l’hébergement sur les stands de leur région, chacun des opérateurs a ses propres objectifs, et contraintes. En somme, les représentants des uns et des autres arrivaient à la réunion posée à l’initiative des organisateurs du Festival, avec ses propres appréhensions. Mais force est de constater qu’ils ont découvert une proposition commerciale pensée pour satisfaire au mieux les attentes. Un pas, en somme, vers la résolution des problématiques.
Selon le document commercial, deux dispositifs sont prévus : le premier, Coup de projecteur, est opéré en partenariat avec le CNL. Si ce dernier soutient, à l’année, les maisons indépendantes, il offrira ici une aide supplémentaire. Régine Hatchondo, présidente du Centre, explique à ActuaLitté que « le Centre disposera cette année d’un petit emplacement — cela arrangeait bien les organisateurs, qui manquent de place. Une partie de notre investissement sera par ailleurs fléché vers le financement des coûts pour les petits éditeurs. »
Le Centre va injecter 150.000 € dans l’événement, mais à cette heure, l'enveloppe allouée pour les espaces dédiés aux éditeurs indépendants reste en discussion. En comparaison, l’édition 2019 avait coûté au Centre près de 370.000 €, stand compris, avec quelques dizaines de milliers d’euros de chèques lire distribués en sus. On ignore, à ce titre, si ces bons d'achat existeront de nouveau.
NDLR : Le CNL a communiqué à ActuaLitté les éléments suivants :
Suite aux échanges avec l’organisateur en décembre, le CNL a décidé de ne pas réserver un stand important comme il le faisait par le passé afin de garder un maximum d’espaces pour les maisons d’édition, ce que souhaitait aussi l’organisateur du salon. Pour autant il a été décidé de transformer en subvention l’intégralité des frais de réservation antérieurs, soit 90.000 euros auxquels s’ajouteront 40.000 euros de chèque LIRE qui accompagneront les activités d’éducation artistique et culturelle menées dans le cadre du festival. Cette subvention n’est pas encore votée et sera présentée au CA du CNL en mars.
Le CNL porte une attention particulière à la place réservée aux petites et moyennes maisons d’édition. Le CNL a accordé 3,6 M€ aux petites et moyennes maisons d’édition pour compenser l’impact de la crise sanitaire sur les deux dernières années. Le dispositif de soutien pérenne à la promotion des maisons d’édition est par ailleurs amélioré à compter du 1er janvier 2022.
Le principe du Coup de projecteur se décline comme suit : 6 maisons intégreraient la thématique Imager le monde (9e Art, jeunesse), 6 autres Habiter le monde (vie pratique, développement personnel, etc.) et 12 pour Raconter le monde (Littérature et Essais). En tout, 24 « maisons émergentes », pour une offre à 2900 € HT, et un module d'exposition évidemment très réduit.
Si le CNL « ne prendra pas part au choix des éditeurs présents », confirme sa présidente, les critères de sélection sont laissés à la libre appréciation… de qui voudra. Toutefois, certaines conditions restent posées : publier au moins 5 titres par an, avoir deux années d’existence (le document complet est en fin d’article). D’autres exigences pourront faire grincer des dents — comme le CA entre 300.000 et 1 million € réalisé en librairies…
Or, pour convaincre, le FLP met les bouchées doubles : la remise octroyée aux libraires — qui, rappelons-le, vendront les livres durant la manifestation, et non plus les éditeurs directement depuis leur stand — descend de 40 %, taux moyen, à 25 % pour ces éditeurs indépendants.
Car viennent les deux solutions pour les régions : la première est un module aménagé – 35.000 € pour la région, 27.500 € pour l’agence régionale du livre et 1500 € par maison, avec 5 maisons maximum par espace.
Une seconde option est proposée : un kiosque des régions. Cette fois, 12 maisons peuvent être accueillies. Coût de 50.000 € pour les régions, 38.000 € pour les ARL et 1000 € par maison. Le Festival ambitionne de créer désormais une Allée des Régions — qui serait l’ultime réponse garantissant d’un côté de satisfaire leurs demandes, de l’autre, d’apporter un flux financier supplémentaire.
allée des Régions
Sur ces propositions, il reviendra désormais à la FILL de présenter les solutions aux régions partenaires — mais d’ores et déjà, certaines ont fait savoir qu’elles accepteraient. La réponse officielle doit intervenir ce 8 février, après un aller-retour entre la Fill et la Fédération des Éditions Indépendantes. Si les derniers à décider resteront les chefs d’entreprises, le FLP a au moins le mérite de proposer une alternative à l’absence totale des indés. La FEI n’a, auprès de ses membres, qu’un avis consultatif, tout au mieux.
À LIRE: Festival du livre de Paris, que proposera l'édition 2022
Pour autant, ce programme est-il suffisant ? Sollicitée, la FEI ne souhaite pas faire de commentaires, attendant ses échanges avec la Fill. De son côté, l’organisation du Festival croit « prudent d’attendre les réponses des ARL et de la FEI avant tout commentaire », nous indique Jean-Baptiste Passé, directeur de l’événement.
De fait, avec 24 éditeurs susceptibles de profiter du Coup de projecteur, la représentativité demeure faible. Et pour ce qui est des espaces consacrés aux régions, ils n’apportent là encore qu’une réponse partielle : sur le seul espace IDF de Livre Paris, on comptait près de 85 maisons. Si ces mêmes indépendants se plaignaient de ce qu’offrait la précédente version du salon du livre, le principe de sélection — dont personne ne souhaite réellement prendre la responsabilité – pose de nouvelles questions.
Mais plus habilement, on note que l’idée de faire exposer des « champions de régions », ou ces fameux éditeurs émergents, fait sortir certains acteurs au détriment d’autres. En somme, l’offre commerciale de FLP introduit une brisure entre les déclarations précédentes de la Fill — un salon sans les régions —, en ouvrant la porte à ces dernières. Le consensus qui régnait alors se trouve mis à mal – dans un concept vieux comme le monde : diviser pour mieux régner.
La dernière ombre au tableau persiste : qu'en penses les grandes maisons ?
crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Festival du Livre de Paris 2022 : entre renouveau et contestations
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
11 Commentaires
GEORGES GRARD
03/02/2022 à 13:57
Tout ceci est du show! La réalité est que l'autoroute de la Culture a gagné du terrain (chez les libraires qui sont noyés par les livres des gros bras de l'édition, dans les médias qui sont exclusivement liés aux "Toujours les mêmes" et dans les salons du livre "supermarchés" type Salon du livre de Paris, salon du livre jeunesse de Montreuil où ils n'offrent que des miettes aux indépendants...) Merci aux organisateurs de salons littéraires qui sortent des sentiers re-battus et offrent aux éditeurs indépendants un coup de projecteur salutaire et de vrais rencontres avec le lectorat . Il y a également à dénoncer une inégalité scandaleuse dans le traitement des indépendants selon les régions. En Île de France, aucune aide d'aucune sorte!
Georges Grard, pour GRRR... ART Editions, 225 titres en catalogue et 22 ans d'existence!
Les Editions du Net
03/02/2022 à 14:59
Les petits éditeurs membres du SNE attendaient fébrilement depuis mi-décembre l'offre commerciale des "Ilots" pour pouvoir participer au Festival du livre de Paris et ils découvrent aujourd'hui qu'ils sont tous réservés aux éditeurs membres de la FILL!!!
Comment est-ce possible que le SNE privilégie les éditeurs d'une autre association au dépend de ses propres membres, qui paient chaque année une cotisation élevée ???
C'est simple les éditeurs de la FILL ont fait un chantage en annonçant il y a 3 jours un boycott de la manifestation et le SNE a cédé au détriment de ses propres membres qui seront donc absents puisqu'il n'y a plus de place pour eux.
SamSam
03/02/2022 à 15:29
A la place des indés, j'irai pas. Manière de montrer à ces organisateurs de chaises musicales, que le roi est nu, que leur fiesta entre gros dealiers de liitérature industrielle n'a rien à voir avec le goût de la littérature. Et accessoirement que l'Etat Macron est, dans l'édition comme ailleurs, un fossoyeur.
Laetitia VENTURA
03/02/2022 à 15:47
Comme nous l'avons déjà expliqué et partagé sur les réseaux sociaux, nous n'avons ni besoin du Festival de Paris, ni de leurs libraires, ni du SNE pour exister. Le CA minimum de 300 000 € (en librairies, s'il vous plaît !) excluant, de fait, les ME au statut d'autoentreprise ou autodiffusées... et je peux vous dire que ces dernières réalisent un travail bien plus soigné que certaines grandes enseignes... et ce choix qui reste à faire sur les présents va effectivement diviser les ME indépendantes. Je m'étonne encore que personne n'ait parlé de conflit d'intérêts, quand on sait que le nouveau responsable de ce festival a un passé (excusez-moi du jeu de mots) de diffuseur et de libraire.
Même avec une participation plus réduite et une remise de 25% aux librairies, il faudra vendre plusieurs milliers de livres pour rentabiliser un tel évènement... au final, ce n'est, au mieux, qu'un espace publicitaire, au pire, qu'un festival casse-gueule qui va voir disparaître quelques indépendants qui auront mal calculé leurs coûts (oui, encore un jeu de mots). Faire travailler toute la chaîne du livre, oui, mais pas à n'importe quel prix. Ma maison d'édition prône l'idée un peu oubliée de tous : sans éditeurs, pas de librairies, et sans auteurs, pas d'éditeurs, et non l'inverse. En décidant d’octroyer des Droits d'Auteur deux fois plus importants que les grandes ME, notre marge de manœuvre est, certes, plus faible, mais nous restons fidèles à nos valeurs.
Sur ce festival, nous laissons donc la place aux grandes maisons d'édition et aux librairies de Paris qui semblent avoir déjà bien du mal face à la crise sanitaire et à la modernisation de l'édition (à en juger par les alliances et rachats récents).
ELIXYRIA Editions, 5 ans d'existence, 180 titres de fiction, de l'imaginaire aux livres illustrés jeunesse... et c'est pas fini !
L.S.Ange, 7 ans d'expérience (directrice de collection et éditrice), 10 ans d'expérience en tant qu'auteur... et c'est pas fini non plus :) .
koinsky
04/02/2022 à 09:20
Sans auteurs pas d'éditeurs, et non l'inverse.
guiset
03/02/2022 à 16:02
on favorise toujours les grosses ecuries qui ont deja les moyens de leur developpement alors que les petites structures sont bonnes a prendre des cotisations, des abonnements, payer des redevances mais ne sont jamais aidées, invitées officiellement par des fonctionnaires ou des salariés divers dont l'interet litteraire est contestable a part defendre leur poste, et leur fonction
Ainsi ces strutures ARL ne servent a rien, ne produisent rien, et ne representent rien
que de fonctionnaires inutiles !!!
SamSam
04/02/2022 à 10:01
Erreur, c'est pas les fonctionnaires qui merdent, c'est la structure et surtout la mission fixées à ces structures, par la racaille politique au pouvoir.
Bouffon 1er, comme ses prédecesseurs, pousse les ARL comme il pousse les ARS. L'objectif est de rendre de plus en plus difficile la Culture conçue comme intérêt général, de la manière que la mission des ARS, implicite, est de détruire le soin public. Les fonctionnaires sont une nécessité, une garantie de l'intérêt général quand ils travaillent pour l'intérêt général. Qui voudrait d'ailleurs d'un soin, d'une police, d'une éducation sans fonctionnaires, si ce n'est Bouffon 1er qui à tous moyens pour se payer des écoles privées, des cliniques, des flics privés à prix prohibitifs...
jerry
03/02/2022 à 17:39
région ou pas qui paye le contribuable comme d habitude
une bataille entre subventionnés incapable de vivre sans l aide de l état ou d une région
Thierry Depeyrot
03/02/2022 à 19:28
Pfffffffff... De la branlette intellectuelle ! 2.900 € (HT), offre présentée comme une fleur aux petits éditeurs "indépendants" (indépendants de quoi d'ailleurs ?), c'est du foutage de gueule.
Je suis auteur/éditeur d'un livre sur la Bièvre qui en est à 3.000 exemplaires vendus, juste avec mes petits bras et mon petit réseau de libraires et kiosques.
Je l'ai proposé au CNL pour présentation au Salon du Livre mais ces derniers, sous des prétextes fallacieux, ne lui a jamais donné sa chance.
Bon, ce n'est pas très grave, ça me laisse une belle marge, même si je les vends moins vite... mais sûrement.
Alors, bon courage aux pigeons qui alimentent des mecs qui n'ont que pour seul talent de vivre de celui des auteurs...
Alex
04/02/2022 à 18:46
Plus ils proposent plus c'est pire.
Plus on voit le mépris de petits.
Ma lettre de non renouvellement de mon adhésion au SNE part aujourd'hui.
Voncent Gimeno-Pons
05/02/2022 à 03:50
Avec ce retour au Grand Palais (même éphémère), dans le cadre d'un salon dont l'appellation "Festival" n'a aucun sens, avec le retour sans nul doute de tous les grands groupes ey la disparition en contrepartie de l'édition indépendante (une proposition pour 24 éditeurs, c'est d'un ridicule à toute épreuve), des régions qui vont payer pour que des éditeurs n'aient pas de stand ni de présence mais quelques ventes librairie...
Tout cela est plus que honteux.
Vincent Gimeno-Pons, délégué général du Marché de la Poésie de Paris