Association parisienne créée en 1986, la Maison des écrivains et de la littérature (Mél) se consacre à la promotion de la littérature contemporaine et patrimoniale, à travers diverses actions et autres événements. Ces dernières années, la situation économique de la structure a interpellé à plusieurs reprises, laissant croire à un désengagement des pouvoirs publics. Mais la gestion de la Mél se trouve aujourd'hui mise en cause.
Le 26/01/2022 à 11:16 par Antoine Oury
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Publié le :
26/01/2022 à 11:16
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Engagée dans une procédure de « licenciements collectifs pour cause économique » selon son président, Jean-Yves Masson, la Maison des écrivains et de la littérature (Mél) traverse une mauvaise passe. Une de plus : régulièrement, ces dernières années, l'association a fait état de difficultés financières, attribuée à « l'érosion des subventions publiques ».
En juillet 2021, près de 80 auteurs signaient ainsi une lettre ouverte au président de la République, l'exhortant à garantir l'avenir de l'association. Ce dernier était en effet « gravement compromis par le cabinet du Ministère de la Culture qui a bloqué toute négociation sur notre budget », assure Jean-Yves Masson à ActuaLitté.
D'après la direction de la Maison, les ennuis économiques seraient liés à une modification qu'a opérée la rue de Valois : auparavant financée par le Centre national du livre, la Mél tire désormais ses aides des Directions régionales des affaires culturelles (Drac), et en premier lieu de celle de la Région Île-de-France. De fait, la Mél y organise la majorité de ses actions.
Toujours selon la gouvernance, qui se confiait au Point en septembre 2021, les autres Dracs refuseraient de participer au financement de la Maison, mettant celle-ci dans une position délicate...
Le modèle économique, en matière d'aides publiques, a connu un profond changement : avant 2018, la Maison bénéficiait d'une large subvention du CNL, qui a pu atteindre 714.000 €, comme le rappelle la gouvernance de l'association. Année après année, cette subvention s'est toutefois réduite : elle était de 678.300 € en 2015, puis 644.000 € en 2016, avant de plafonner à 550.000 € en 2017.
En 2018, l'association quitte le giron financier du Centre national du Livre, sur décision du ministère de la Culture, pour se rapprocher de la Drac Île-de-France. Elle assume alors le versement d'une importante subvention. Soit 400.000 € en 2019, précise la Drac ÎdF, « la plus importante allouée par la DRAC à une association au titre de la politique du livre ».
Le ministère de la Culture supervise cette transition du CNL vers la Drac, en indiquant à la Mél que 100.000 € supplémentaires attendent l'association pour le travail qu'elle mènera avec les autres Drac.
C'est ici que la situation se complique : « Il apparaît que la MEL n’a quasiment pas réussi à travailler avec d’autres régions que l’Ile-de-France et conclure des partenariats avec les DRAC », affirme la Drac Île-de-France. La gouvernance de la Maison, de son côté, indique que ces 100.000 € « n’ont jamais pu être entièrement perçus auprès des DRAC de province, en dépit des négociations menées ».
Depuis 3 ans, ces 100.000 € « mis de côté » par le ministère de la Culture pour les actions avec les Dracs ont tout de même été versés à la Maison des écrivains et de la littérature, « compte tenu de la situation difficile dans laquelle s’est trouvée, chaque année, l’association », analyse la Drac IdF. En 2020, seuls 90.000 € ont été versés.
Selon la gouvernance de l'association, le ministère de la Culture aurait fait savoir, en versant la subvention exceptionnelle de 2021, que « toute réévaluation de la dotation de la MEL était à exclure et que celle-ci ne devrait plus se retrouver en déficit en fin d’année. Une reconstitution du fonds de roulement de la trésorerie est également nécessaire », indique Jean-Yves Masson, président de la Mél.
D'après la gouvernance de l'association, le schéma financier proposé par les pouvoirs publics pour son financement et l'ultimatum du ministère de la Culture seraient à l'origine des licenciements collectifs envisagés. À l'intérieur de la structure, toutefois, un autre discours se fait entendre, qui rapporte une « souffrance des équipes et des arrêts de travail récurrents ».
Des alertes qui ne sont pas restées inaperçues auprès des pouvoirs publics : la convention d’objectifs triennale 2020-2022 signée par la Drac Île-de-France et la Mél prévoyait ainsi la conduite d'un audit « sur la gouvernance de la structure et les problèmes récurrents de trésorerie liés aux importantes difficultés de gestion de l’association ». « Il s’agissait d’auditer le modèle économique de l’association, porté par une gouvernance qui la met régulièrement en risque de cessation de paiement et fragilise une équipe de chargés de mission reconnus pour leur professionnalisme », nous précise le cabinet de la Drac Île-de-France.
Or, les services de l'État relèvent que cet audit n'a jamais été réalisé. De son côté, la gouvernance dément : « Nous avons adressé aux services de la DRAC Île-de-France, le cahier des charges de l’audit demandé [...] au printemps dernier. À ce jour, nous n’avons pas eu de retour. »
Toujours sur la gestion de la structure, deux paroles s'opposent encore. D'un côté, la Drac ÎdF indique avoir incité « la direction de la MEL à recentrer les missions de l’association au regard des contraintes budgétaires constatées ». De l'autre, la gouvernance assure que « [ses] interlocuteurs institutionnels affirmaient par ailleurs que le nombre de rencontres d’éducation artistique et culturelle devait être maintenu, voire augmenté », dans un contexte budgétaire moins généreux.
La procédure de licenciements collectifs, qui concernerait deux à trois emplois, a été présentée au CSE de l'association. Avant l'intervention du conseil d'administration, l’inspection du travail, saisie, se prononcera également.
Ce n'est pas la première fois, dans l'histoire récente de la Mél, que la direction de cette dernière est pointée du doigt : en 2017, une ancienne présidente, Cécile Wajsbrot, avait remis sa démission en dénonçant l'attitude de la directrice, Sylvie Gouttebaron, en poste depuis 2005, entrée selon ses termes en « conflit ouvert avec une autorité de tutelle qui accorde à la MEL plus de la moitié de ses ressources met la maison en péril ». Ce « conflit ouvert » avait débouché sur la rupture avec le CNL.
Nous reproduisons en fin d'article la réponse rédigée que nous a communiquée la gouvernance de la Maison des écrivains et de la littérature après l'envoi de questions à Jean-Yves Masson, président et Sylvie Gouttebaron, directrice de l'établissement.
Le président de la Mél, Jean-Yves Masson tient à préciser qu'« il ne faut pas confondre les actions nationales et les actions qui relèvent des marchés que nous avons remportés avec la région Île-de-France, qui n'est pas la DRAC ». « Ces marchés (“Leçons de littérature”, “Prix littéraire des lycéens et apprentis d'IdF”) augmentent certes le nombre de nos actions, mais ils sont couverts par d'autres fonds que ceux que nous verse la DRAC Île-de-France. Ces marchés occupent entièrement trois de nos salariés. »
Il ajoute que la majorité des actions de la Mél ne se déroulent pas en Île-de-France. « Voici les statistiques des dix dernières années pour notre programme “L'Ami littéraire” à destination des lycées, qui justifie pour l'essentiel notre subvention de fonctionnement », indique-t-il. Ces chiffres font tout de même état d'un programme dont les actions sont majoritairement organisées dans la région Île-de-France, par rapport aux autres régions.
2012-13 : 796 rencontres dont 188 en Île-de-France (soit 23,6 %). Régions ayant reçu le plus grand nombre de rencontres : Rhône-Alpes (92), Midi-Pyrénées (64), Basse-Normandie (53).
2014-15 : 699 rencontres dont 153 en Île-de-France (soit 21 %). Régions ayant reçu le plus grand nombre de rencontres : Pays de la Loire et Champagne-Ardenne (29 rencontres chacune).
2015-16 : 667 rencontres dont 164 en Île-de-France (24 %). Régions ayant reçu le plus grand nombre de rencontres : Aquitaine-Poitou-Charente-Limousin : 100, Auvergne–Rhône-Alpes : 74, Nord-Pas de Calais-Picardie (pas encore appelée Hauts de France) : 67.
2017 (à partir de cette année les statistiques ont été établies par années civiles et non plus par années scolaires) : 589 rencontres dont 122 en Île-de-France (soit 20,7 %). Régions ayant reçu le plus grand nombre de rencontres : Auvergne–Rhône-Alpes (58), Grand Est et Occitanie (44 chacune).
2018 : 474 rencontres dont 98 en Île-de-France (20,6 %). Région la plus visitée : Auvergne–Rhône-Alpes (61).
2019 : 284 rencontres dont 61 en Île-de-France (21,47 %). Année de crise majeure pour notre structure. Je rappelle que ce chiffre ne concerne toujours que « L’Ami littéraire ». La MEL a organisé 650 rencontres en tout cette année-là, mais ce chiffre ne s’explique que par les marchés obtenus de la Région Île-de-France.
2020 : 520 rencontres dont 123 en Île-de-France (23,6 %). Régions les plus visitées : Auvergne–Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine (72 chacune), Occitanie (58), Hauts de France (43).
crédits photo : Google Maps
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
7 Commentaires
Diams
27/01/2022 à 09:02
Quelqu'un d'autre que moi a la ref. du premier sous-titre?
curieux
27/01/2022 à 10:09
une association subventionnée qui gagne des marchés publics, c'est quand même très curieux. Ou sont les principes d'égalité de concurrence entre une entreprise privée et la MEL (locaux; charges, salaires pris en charge par l'état et la Drac) lors d'une réponse à ces marchés quand on sait que le prix proposé représente 40 à 50% de la note globale.
Aradigme
27/01/2022 à 11:14
Jamais entendu parler de la Mél avant cet article, ce qui me surprend pour une institution qui a pour but, selon ses propres termes de: "fédérer les écrivains et de les représenter, de les défendre et, à travers eux, de promouvoir la littérature." (Ce message est répété deux fois à l'identique dans l'introduction sur son site web).
Si je suis bien les indications, elle a récupéré en 2005 environ 700.000 Euros d'argent public et employait alors 9 personnes. Elle se plaint à présent d'en employer 11 et de ne plus toucher que 400.000 Euros de la part des contribuables. Mais pour quel résultat? L'intention généreuse est bien affichée, mais les faits manquent à l'appel sur leur site web.
La liste de ses quelque huit cents adhérents (payants, eux aussi - 40€ par an), ne compte guère de noms célèbres.
Voyons-nous là une de ces institutions parisiennes créée pour une audience limitée et dont le fonctionnement bénéficie avant tout aux membres de son premier cercle? Je m'interroge.
Dora
27/01/2022 à 17:42
Dommage que l'IGAC n'ait pas trouvé le temps en 18 ans de procéder à un audit de ce qui s'appelait La Maison des Ecrivains en 2005 lorsqu'il établissait son rapport favorable sur ses activités.
Rappelons qu'en 2005, si mes souvenirs sont bons, une nouvelle direction arrivait en les présences de Sylvie Gouttebaron comme directrice et Jean-Michel Maulpoix comme président. Dés lors tout changea, le terme de "gouvernance" s'imposa faisant siffler aux oreilles un son jusque là inconnu aux neuf salariés qui se partageaient jusque-là le travail en toute responsabilité et bonne intelligence.
L'année qui suivit vit partir dans l'incompréhension trois de ces salariés qui avaient créé et qui géraient depuis dix ans les programmes salués par l'IGAC. Leur travail était dénigré par la "gouvernance" car, notamment, jugé "trop social"- alors qu'il justifiait la part la plus importante des subventions. On cliva, dans ces lieux, la littérature et la société. On voulut oublier les régions - trop social, les régions, n'est-ce pas? On se centra en effet sur Paris et ses lieux prestigieux, on fit moins de choses mais plus luxueuses et pour ce faire on embaucha, débaucha, réembaucha...
Depuis, d'année en année, le cahin-caha s'installa, générant quelques tohu-bohu au début puis de plus en plus nombreux. Un quatrième cadre ancien n'y tenant plus partit à son tour etc...
Et nous y voilà. Dommage, vraiment, que l'IGAC ait fermé les yeux pendant 18 ans.
Titmarsh
27/01/2022 à 23:37
Copinage, sinécures et vol d'argent public... on est en France, en république bananière...
lacsap
28/01/2022 à 11:23
La Mèl aurait pu, aurait dû être un partenaire essentiel dans le déploiement d'une politique d'éducation artistique à l'échelle nationale en coopérant avec les Drac, et par leur intermédiaire avec les intercommunalités, souvent acteurs dans ce domaine. Force est de reconnaître que, depuis quinze ans, elle est aux abonnés absents. Les statistiques d'intervention sont énigmatiques. On découvre avec deux ans de retard des interventions dont personne n'a entendu parler. Des interventions toujours ponctuelles, sans prise en compte des enjeux des territoires. C'est vrai que le Ministère et le CNL ont manqué de courage pour dénoncer cette situation que lui faisaient pourtant remonter les conseillers livre. Botter en touche comme l'a fait le CNL n'est pas très élégant, ni courageux, mais cela permet au moins de crever l’abcès. Il ne faut pas que la Mèl disparaisse, mais il faut profiter de ce moment difficile pour refonder une dynamique, des méthodes.
Dora
30/01/2022 à 13:11
On ne peut mieux dire. Et c'est un triste gachis.