Depuis le 28 novembre, les bibliothèques, aux côtés des services d'archives et centres de documentation, font partie des seuls lieux culturels de proximité à être ouverts au public, malgré le contexte sanitaire. Ce sort réservé aux établissements de lecture publique, qui reconnaît leur caractère essentiel, en vient toutefois à peser sur certains professionnels des bibliothèques, qui craignent pour leur santé et soulignent une fatigue générale. À ce contexte viennent souvent s'ajouter des revendications plus larges, sur les conditions de travail.
Le 09/04/2021 à 16:32 par Antoine Oury
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Publié le :
09/04/2021 à 16:32
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Malaise dans les bibliothèques ? La semaine passée, l'Association des Bibliothécaires de France (ABF), qui pèse pourtant ses mots, avertissait, dans un communiqué, de « l'épuisement » de certains professionnels de la lecture publique, en particulier « dans les départements les plus touchés » par la crise sanitaire.
L'organisation professionnelle décrivait ainsi des « équipes fragilisées par la circulation du virus, des ressources humaines à flux tendu quand les absences pour convalescence, isolement ou fermetures des établissements scolaires se succèdent et impactent les fonctionnements quotidiens des services ».
La conclusion de l'ABF venait rappeler qu'« aucune solution unique ne saurait être imposée quant à l’ouverture des bibliothèques et à la mise en œuvre de leurs services ». Mais, après les décisions gouvernementales, la situation des bibliothèques reste inchangée, dans les faits : la plupart des établissements restent ouverts au public.
Pour formaliser les craintes du personnel, les organisations syndicales ont eu recours, ces dernières semaines, au « droit d'alerte pour danger grave et imminent ». Celui-ci permet de signaler à « l'autorité administrative compétente [...] toute situation de travail » susceptible d'entraîner « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », et d'engager le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à mener une enquête.
Le syndicat CGT de la Bibliothèque nationale de France y a eu recours à la fin du mois de mars, s'inquiétant d'un troisième confinement « plus strict que celui de l'automne dernier », mais de « mesures de prévention mises en place à la BnF [qui] sont en deçà de celles de novembre et décembre 2020 ». Le syndicat demandait la fermeture de salles de lecture, plus de télétravail et des Autorisations Spéciales d'Absence (ASA).
Avec 18 cas confirmés en mars sur l'ensemble de ses sites (et 60 signalements sur la même période, pour 2400 agents environ), contre 10 en février, la Bibliothèque nationale de France a indéniablement connu une augmentation des cas de Covid, comme en Île-de-France. Plusieurs mesures sanitaires sont venues renforcer le dispositif déjà en place : une fermeture de salles de lecture à partir du 13 avril, une jauge réduite de 50 %, une présence de 3 jours sur 5 pour les agents dont les tâches ne sont pas télétravaillables ou encore la possibilité de déclarer sur l'honneur la garde de ses enfants, pour obtenir une Autorisation Spéciale d'Absence.
La pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire peuvent entrer dans le cadre légal du droit d'alerte, dans le cas où les mesures sanitaires dictées par les pouvoirs publics ne sont pas appliquées, par exemple. Mais le recours à ce droit reste complexe dans le contexte actuel : toutefois, comme son nom l'indique, il sert aussi à attirer l'attention de l'administration.
À Paris, cette même stratégie d'alerte, puis d'exercice du droit de retrait, avait été mise en œuvre avec succès par les agents, avec le soutien d'une partie de leur direction, aboutissant sur « des dispositions d'aménagement » de la part de la Mairie de Paris.
À la BnF, toutefois, les organisations syndicales ont voté contre le schéma d’organisation du travail proposé par la direction lors du CHSCT qui a suivi le droit d'alerte de la CGT, jugeant les mesures insuffisantes.
Un autre syndicat CGT, celui des Territoriaux de Plaine Commune (Seine-Saint-Denis) a aussi utilisé son droit d'alerte, après un CHSCT le 24 mars dernier, organisé suite à une courte grève d'une partie des agents. « Au moins 10 médiathèques ont fermé et de nombreux collègues se sont déclarés grévistes dans les autres établissements », indique le syndicat CGT.
À l'issue de ce CHSCT, les agents restent inquiets, malgré les propositions de l'administration, nous indique Gildo Vieira, agent territorial syndiqué à la CGT. « Par exemple, de nombreux collègues ne comprennent pas que l'on ferme des établissements de quartier. Sur les 22 médiathèques de Plaine Commune, 8 seront ouvertes, ce qui réunit le public en un plus petit nombre de lieux. » D'autant que certains établissements sont traversés par d'importants flux de visiteurs, par moment. À Stains, on compterait ainsi jusqu'à 120 personnes dans un seul établissement, certains après-midis, selon des agents.
Ces mouvements de visiteurs exposent les bibliothécaires, selon le syndicat, qui estime que les 3/4 des contaminations des agents ont eu lieu en bibliothèques ces trois dernières semaines, qui ne représentent pourtant que 15 % des effectifs de l'intercommunalité.
« Le public porte mal le masque, voire ne le porte pas, et il arrive souvent que l'on soit contraint de s'approcher des postes multimédias, par exemple, en présence d'un usager », indique Gildo Vieira. À la fin du mois de mars, plusieurs agents ont fait valoir leur droit de retrait, avant que l'annonce de la fermeture des écoles ne conduise à de nouvelles règles en matière d'autorisation d'absence, l'administration accélérant aussi la mise en place du prêt à emporter.
À Nîmes, nous explique une bibliothécaire, la crise Covid a « renforcé une certaine agressivité de la part de certains lecteurs ; quelque chose que l'on ne peut quantifier, un reflet du stress quotidien, une excuse à être pressé, exigeant, mal embouché, un peu plus râleur que d'habitude ». « Bien sûr, on retient toujours les pires des propos, les pires des comportements », reconnaît-elle.
Un accueil du public compliqué par les absences liées au coronavirus ou non. « [D]es collègues ont été malades, absents de 15 jours à 5 semaines, selon les symptômes. Heureusement, pas tous en même temps ! Nous avons pu absorber leur absence. Mais nous faisons beaucoup de service public et pas beaucoup de travail de fond sur les collections, les actions culturelles, etc. », souligne encore cette professionnelle. Une version « dégradée » du métier qui pèse sur le moral des professionnels.
Dans ce contexte particulier, le dialogue social devient un peu plus difficile à mener, indiquent certains professionnels. À Plaine Commune, les négociations autour du travail du dimanche battent ainsi leur plein, débouchant sur plusieurs mouvements de grève.
À Nîmes, c'est la suppression d'un jour de fermeture payé, celui du samedi de Pâques, qui a poussé les agents à la mobilisation, le samedi 3 avril dernier. « La grève a été suivie de façon assez inégale, mais a permis de fermer la médiathèque Marc Bernard toute la journée et Carré d'art seulement l'après-midi », indique une participante. Une autre action devrait avoir lieu prochainement.
Outre ces revendications locales, les agents de la lecture publique s'opposent en nombre à des mesures de plus grande envergure, notamment la réforme de la fonction publique ou le maintien du gel du point d'indice, qui détermine le salaire des fonctionnaires.
En rappelant qu'« aucune solution unique ne saurait être imposée » pour l'ouverture des bibliothèques, l'ABF s'adresse à la fois au gouvernement et aux collectivités territoriales. Le premier peut orienter les décrets, pour ordonner les ouvertures ou fermetures, quand les secondes restent les tutelles des établissements, avec un fort pouvoir de décision malgré tout.
Après une année complète, pratiquement, de fermeture des équipements culturels, les bibliothèques paraissent indispensables aux collectivités pour maintenir une activité culturelle. Mais, à tous les niveaux, l'attention accordée aux remontées du terrain semble toutefois défaillante, comme le souligne un billet de blog sur Mediapart, très relayé par l'interprofession : « [Les bibliothèques] se sentent cependant oubliées des débats, qu'ils soient politiques ou culturels, ou qu'ils portent sur les conditions dans lesquelles les personnels y sont engagés », peut-on y lire.
Ainsi sollicité et peu écouté, il n'est pas dit que le premier réseau culturel de proximité sorte indemne de la crise sanitaire...
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0 ; Guilhem Vellut, CC BY 2.0
2 Commentaires
Toto
11/04/2021 à 14:45
Que les conditions soit dégradées, c'est clair. Que tout le monde soit fatigué, tendu, malade, agents comme usagers, c'est une évidence. Que les décideurs ne s'en soucient pas, ce n'est pas une surprise. Les bibs, tellement essentielles qu'elles doivent rester ouvertes à tout prix, tellement négligeables qu'aucune attention n'y est portée.
Cela étant dit, il convient de rester dans la réalité. 18 cas pour 2400 agents à la BnF, c'est peanuts. Surtout si, comme ailleurs, les contaminations ont en réalité eu lieu dans le cadre personnel et non sur le lieu et dans les heures de travail. Les mesures annoncées (réduction des jauges, fermeture des salles, télétravail 3j/5) sont bien supérieures à ce que connaissent la plupart des bibliothèques territoriales, qui n'abusent pas du droit de retrait pour autant.
L'exemple de Stains n'est pas parlant non plus : 120 visiteurs mais sur combien de m2 ?
Le syndicat qui estime que 3/4 des contaminations ont eu lieu en bib : quelles sources, quelle méthodo ? Pas de mise en perspective dans l'article....
Passons sur Nîmes et le samedi de Pâques férié...
dude
04/09/2022 à 13:34
Pas habitués au rythme stressant du privé et au management par objectifs sans doute. Certes, ce métier n'est pas très bien payé, mais c'est loin d'être le bagne, c'est même une bonne planque. Le seul point sur lequel je pourrais les plaindre question conditions de travail, ce sont tous ces SDF qui viennent squatter les bibliothèques pour roupiller. Le silence hum ! mais les odeurs.